Sylvie Mansion : « les médecins sont en position de force »

La directrice de l'Agence Régionale de Santé a présenté son pacte « territoire-santé » lors d'une séance publique du Conseil général du Jura mercredi . Un débat a suivi sur la coopération entre professionnels de santé et le manque de médecins dans la région.

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« L'évolution des dernières années n'est pas satisfaisante. La logique comptable qui a prévalu n'était pas la bonne. Dans le domaine de la santé aussi, nous sommes très attachés à la notion de service public. Et comme vient de le rappeler la ministre de la Santé, Marisol Touraine, l'hôpital ne peut pas être géré comme une entreprise .» Christophe Perny, président du Conseil gênéral du Jura accueille par ces mots la directrice de l'Agence Régionale de Santé (ARS), Sylvie Mansion, à Lons-le-Saunier, venue présenter le pacte « territoire-santé » pour la région. Sylvie Mansion n'aime pas le terme de « désert médical » et selon elle, « le problème n'est pas le financement mais les médecins qui font défaut. »

Maisons de santé et communauté hospitalière

Des témoins ont été invités à rendre compte des pratiques vertueuses de mutualisation et d'association. Directeur de l'hôpital de Lons, Olivier Perrin dirige aussi la Communauté hospitalière de territoire qui réunit les établissements de Lons, Saint-Claude, Champagnole, Morez et Orgelet. Elle « nécessitait une direction commune tout en préservant l'autonomie des établissements pour jouer la confiance ». La coopération s'est menée en 2011-2012 dans les secteurs de la chirurgie, la maternité, les urgences et la prise en charge des personnes âgées. Les équipes en place, les élus et les représentants du personnel y ont concouru, d'après le directeur. Il a toutefois manqué des temps partagés médicaux et des internes issus d'une coopération avec le CHU de Besançon.
Anne Sophie Pin a fait ses études à Rennes et éprouvé un coup de coeur pour le Jura. Jeune médecin aux Bouchoux et à Septmoncel, son métier « est une vocation mais pas un sacerdoce ». Elle entend le concilier avec sa vie de famille. L'isolement est sans aucun doute un frein à l'installation, aussi elle considère que « l'offre de soins doit être organisée. Dans le pays du Haut Jura, nous avons formé une association, défini un projet de santé labellisé par l'ARS en 2012. Un premier relai santé a été mis en place à La Pesse avec deux médecins et trois infirmières qui fera aussi intervenir psychologues, éducateur thérapeutique… Un autre relai devrait voir le jour à Septmoncel. Mais nous sommes inquiets. Deux médecins seront à la retraite dans cinq ans ».
Pour faire venir leurs futurs remplaçants dans le Haut Jura, deux médecins se sont formés pour être maîtres de stage. Le but est d'attirer de jeunes médecins en formation de Besançon. « Des subventions du Conseil général seraient les bienvenues… » Tous les étudiants de 2ème cycle en Franche-Comté effectuent déjà un stage de sept semaines en cabinet de médecine générale. Par contre, l'ARS reconnait que les bourses d'engagement de service public ne fonctionnent pas.
Phillipe Chazerand représente une des Maisons de santé pionnières dans la région. Ouverte en 1983, celle de Pagney  compte notamment quatre médecins, deux dentistes, deux infirmières. Elle est à l'origine de la Fédération des Maisons de Santé Comtoises qui en regroupe 22 autres. Thierry Faivre-Pierret, vice-président en charge des solidarités et de la santé, la trouve « excellente ». Pour certains la formule « n'est pas la panacée ». Pour Clément Pernot, le maire et conseiller général de Champagnole (groupe de la droite et du centre), il n'y a pas de problème de démographie médicale et les médecins libéraux de son canton sont « réticents à entrer dans des Maisons de santé chapeautées par l'ARS ». Il s'inquiète toutefois que cent lits soient « menacés à l'hôpital et que de plus en plus de Jurassiens aillent se faire soigner ailleurs ».
Un maire se déclare préoccupé pour sa commune puis découvre qu'un projet de regroupement est à l'oeuvre à 5 km de son village… Pour d'autres, le regroupement dans un lieu unique n'est pas indispensable, ce qui compte c'est de travailler ensemble. Philippe Chazerand précise : « notre projet est fondé sur une éthique. Nous ne sommes pas un cabinet médical, nous travaillons vraiment ensemble dans des groupes de pairs, préparons l'accueil des stagiaires et intégrons dans nos pratiques l'éducation thérapeutique du patient. » Il s'adresse aux élus : « soyez attentifs à votre zone, soyez des facilitateurs, la Fédération peut aider à monter des projets ». Trente Maisons de santé sont ouvertes en Franche-Comté, quarante sont en projet. L'ARS avec le Conseil régional, la Mutualité Sociale Agricole et la Fédération des Maisons de santé les soutient avec « une équipe d'appui ».

« La France n'a jamais compté autant de médecins »

Mais un malentendu persiste. Les Maisons de santé doivent-elles être des projets de professionnels de la santé ou des projets d'élus ? Entre ceux qui considèrent que rien de fiable ne peut se faire hors la motivation et l'engagement des médecins et ceux qui pensent que les élus ne peuvent se détourner de la question, on n'est pas amené à trancher. Selon le député Jean-Marie Sermier (UMP), « les élus ne doivent pas être en dehors des premières réflexions ». Pour la directrice de l'ARS, « la solution est un portage mixte, mi-public mi-privé, et les projets doivent être pensés en amont pour éviter des projets pharaoniques. » Pour Christophe Perny, « les Maisons de santé doivent émaner des professionnels mais les collectivités ne peuvent pas ne pas s'impliquer. Pour avoir une vision à la bonne échelle des problèmes il faut des projets d'élus, avec un s. »
« La région est la première de France pour ce qui concerne la densité des Maisons de santé, reprend Sylvie Mansion, mais il faut une nouvelle génération de Maison de santé avec davantage de spécialistes, davantage de généralistes et d'équipement. Une Maison de santé, c'est d'abord des professionnels qui veulent exercer leur métier autrement. » Mais la région manque de professionnels. Selon les calculs de l'ARS, la baisse du nombre de médecins va se poursuivre jusqu'en 2024. « Retenez bien cela, poursuit Sylvie Mansion, la Franche-Comté est au 11ème rang de la démographie médicale (nombre de médecins) ! Mais la France n'a jamais compté autant de médecins. C'est le problème de la répartition qui se pose. Les médecins sont en situation de force. Je n'ai pas la main sur le numerus clausus ».
A un médecin qui évoque la possibilité de contraindre les jeunes médecins, dont l'essentiel de la formation est financé par l'argent public, à s'installer dans les zones où ils font défaut, rien ne sera répondu. C'est notamment la télémédecine qui est appelée en renfort (et la collectivité territoriale pour équiper de réseaux internet) « en aucun cas pour prendre la place des personnels ». A suivre… La directrice de l'ARS poursuit : « Maladies chroniques et petites urgences doivent échapper à l'hôpital public pour qu'il retrouve son coeur de métier. » Pour Christophe Perny, l'engagement de campagne de François Hollande de « garantir un accès aux soins urgents en moins de 30 minutes d'ici 2015 est important, encore faut-il que l'on n'attende pas trois heures une fois que l'on est sur place ». Personne ne contestera que les moyens donnés à l'hôpital public sont vitaux. La directrice de l'ARS avait annoncé d'emblée que la question hospitalière serait abordée plus tard. Il en aura été question régulièrement. Difficile de la séparer de la question territoriale. Pour ce qui concerne le département, Christophe Perny a prévenu : « l'époque d'une réponse à la demande est terminée, il faut maintenant répondre aux besoins. Une carte des besoins sera établie à notre niveau. »

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