Comme il en a la faculté juridique, le CHSCT
La constitution de cette délégation qui doit se réunir la semaine prochaine, est le résultat d'une transaction entre le recteur et les sept représentants des personnels siégeant au CHSCTA
La différence entre délégation et enquête
Entre une délégation et une enquête, il y a plus que des nuances. La délégation intervient en quelque sorte dans la routine en effectuant « des visites de services à intervalles réguliers » en fonction de missions confiées par le CHSCT. Différente de l'enquête administrative menée sous la seule égide de la hiérarchie, l'enquête du CHSCT est de droit en cas d'accident du travail ou de maladie professionnelle « ayant entraîné mort d'homme », précisent les articles 6 et 53 du décret du 28 mai 1982.
Accepter la constitution d'une enquête aurait été pour le rectorat reconnaître de facto que le suicide du professeur avait un caractère professionnel, ce qui n'est pas sa thèse. Accepter un simple groupe de réflexion n'aurait pas été plus acceptable pour les représentants du personnel car ils n'auraient pas pu investiguer ou échanger avec leurs collègues du lycée, ce qui est rendu possible dans le cadre de la délégation. Ils acceptent dont cette délégation qui devrait leur donner accès à l'enquête administrative dont pourraient être expurgés les éléments relatifs à la vie privée. C'est ce que suggère la formulation « strict respect des personnes et des familles ».
« L'administration dans l'illégalité » pour la secrétaire du CHSCT
Reste, souligne Nadine Castioni, que « l'administration est dans l'illégalité par rapport au CHSCT académique qui aurait dû être informé de cette enquête administrative, le CHSCT départemental l'a été, mais pas le CHSCT académique qui est saisit pour tout ce qui concerne les lycées. On est aussi la seule académie sans médecine de prévention, ce qui est illégal. Le rectorat dit qu'il ne trouve pas de médecin, mais il y a absence de volonté de sa part ».
La secrétaire du CHSCT, qui a « demandé une réunion extraordinaire dès le lendemain du suicide », en est persuadée : sans médiatisation de l'affaire, « il n'y aurait pas eu de réunion extraordinaire ». Dans son communiqué, le rectorat assure au contraire que l'instance a été « organisée dans le plus court délai possible après réception du rapport de l’enquête ordonnée par le recteur le 9 juin ».
Un point particulier demeure à éclaircir : y a-t-il eu ou non plainte déposée par la jeune fille ou sa famille ? Deux réponses contradictoires nous ont été exprimées : oui, selon le recteur, non, selon les syndicats. Procureure de la République du Tribunal de grande instance de Vesoul, Claude Ruard nous a indiqué ce jeudi 2 juillet : « a priori, je n'ai pas été saisie de plainte ». Elle précise qu'il n'y a « pas de plainte pénale déposée auprès d'un service de police ou de gendarmerie ». Une plainte a-t-elle été déposée au parquet ? « Non ».
Aucune action judiciaire ouverte
Cependant, une confusion bien compréhensible ne permet pas d'être totalement affirmatif. Le tribunal de Vesoul est en plein déménagement et des vérifications sont en cours, tant au parquet qu'au rectorat, pour chercher la trace d'une éventuelle plainte. Un signalement a bien été effectué par le proviseur du lycée à l'inspecteur d'académie, mais Mme Ruard n'en a pas eu communication. Celle-ci doit notamment s'effectuer dans le cadre de l'article 40 du code procédure pénale « bien connu de l'Éducation nationale en cas de violences ou d'abus sexuels sur enfants ».
Il n'y a donc pas d'action judiciaire ouverte : « il faut pour cela connaissance des faits », explique la magistrate, « sans information officielle, plainte de la jeune fille ou de ses parents, ou signalement, le parquet n'agit pas car il n'est saisi de rien. Il peut quand même y avoir enquête à partir d'actes portés à sa connaissance, mais si l'auteur présumé est décédé, l'action est éteinte... Ce qui n'empêche pas un minimum d'enquête pour vérifier les faits dénoncés... »
Un récent débat parlementaire en écho
Voir l'analyse du texte sur Café pédagogique.
Cette douloureuse histoire donne un écho tout particulier aux débats ayant animé l'Assemblée nationale pas plus tard que le 24 juin dernier. On discutait en seconde lecture d'un texte visant à transposer en droit français une directive européenne sur la procédure pénale. La ministre de l'Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, a alors proposé un amendement destiné à systématiser l'information de la justice vers son administration en cas de poursuites, de renvoi devant un tribunal ou mise en examen pour violences ou atteintes sexuelles sur des enfants, tout en n'oubliant pas le principe de la présomption d'innocence...
L'objectif est d'éloigner des enfants les coupables, mais aussi les personnes suspectées, ce qui pose des questions juridiques fondamentales. Le rapporteur de la loi, le député Dominique Raimbourg (PS) émettait des réserves craignant « des gens que l'on accuse à tort ».
On est certes, au lycée de Cournot de Gray, dans une situation différente, ne serait-ce parce que la justice ne semble pas avoir été saisie. Ce qui est plus terrible encore. Et illustre la nécessité de combiner respect du droit, délicatesse et professionnalisme... Sans pour autant tomber dans la paranoïa.