Ski de fond et raquette : la mutation des sites nordiques

Région de moyenne montagne, la Franche-Comté est une destination touristique hivernale secondaire. La chute de la pratique du ski de fond dans les années 1980-2000 semble être enrayée, mais le regain constaté concerne peu les catégories populaires ou les hébergements collectifs

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Entre Vosges et Jura, la Franche-Comté n'est paradoxalement pas une grande destination touristique hivernale. Si le tourisme emploie jusqu'à 14.300 salariés, soit 2,6% de l'emploi régional, c'est en été que cela se passe. Et le mois le plus bas en matière d'emplois dans le secteur, c'est janvier, avec 8000 salariés. Décembre et février ne font guère mieux.

670 millions d'euros ont pourtant été dépensés par les touristes dans la région en 2013 si l'on en croit le comité régional du tourisme. Plus de 4 millions de nuitées ont été enregistrées par les différents types d'hébergement marchand. On ne parle donc pas des hébergés par la famille ou les amis, des propriétaires des 34.850 résidences secondaires dont 8,3% appartiennent à des étrangers, la moitié étant Suisses.

Six touristes sur dix vont en montagne

De quelques jours à quelques semaines, ça fait plusieurs centaines de milliers de visiteurs dont 52% sont, selon l'observatoire régional du tourisme, là pour se détendre, 33% pour la culture, 27% pour faire du sport. Six touristes sur dix viennent en montagne : un tiers hors station, un bon quart dans une station. Ils dépensent en moyenne 35 euros par jour en été, 39 euros en hiver... 37% sont employés, 20% cadres supérieurs ou professions libérales, 17% exercent une profession intermédiaire, 14% sont ouvriers, 9% inactifs. Ces chiffres montrent une sur-représentation des cadres/professions libérales et des employés, une sous-représentation des ouvriers.

Début de saison difficile, rattrapé depuis
La quasi absence de neige la première semaine des vacances de Noël a donné quelques frayeurs aux professionnels des sports d'hiver. Ils ont retrouvé le sourire pour la seconde semaine, ont serré les dents début janvier quand la neige est repartie, puis affichent un large sourire depuis. « On a été plein dès le 1er janvier. La neige de culture a payé. La station a rattrapé le retard », dit Gérard Dèque, le maire de Métabief, par ailleurs directeur du village de vacances Azuréva. Seule ombre au tableau : « un problème de stationnement qu'on devrait solutionner dans deux ans ».
A Mouthe, l'office de tourisme souligne de « bons taux de remplissage des hébergements ». Aux Rousses, on était à 100% cette semaine et pas loin pour les semaines à venir.

La plupart de ceux qui viennent en montagne pendant les vacances de février sont là pour la neige. L'hiver dernier, on estimait l'impact économique du ski alpin en Franche-Comté à 750.000 journées-skieurs et le chiffre d'affaires des remontées mécaniques à plus de 10 millions d'euros Près de 15 millions en 2008-2009, mais 5 millions en 2006-2007.... C'est plus du double du ski de fond et ses 340.900 journées-skieurs pour 1,74 million d'euros de redevance. Un chiffre très proche du produit des redevances ski de fond et raquettes pour le Doubs et le Jura : 1,686 million selon l'Espace nordique jurassien.

Un euro de redevance ski de fond génère douze euros de dépenses

Pour les Montagnes du Jura (Doubs, Jura et Ain), ce sont 2,375 millions qui ont été collectés l'hiver dernier, dont 2,146 pour le seul ski de fond, indique le directeur de l'ENJ, Nicolas Gotorbe. Et donc 229.000 euros pour la redevance raquette... là où elle a été instaurée. Si, comme l'indique l'ENJ, un euro investi dans la redevance génère douze euros dépensés sur le territoire, ce sont près de 21 millions d'euros que les activités nordiques ont injecté dans l'économie montagnarde franc-comtoise durant l'hiver 2013-2014.

Des études réalisée en 2010 pour les Hautes Pyrénées et 2012 dans les Alpes du Nord ont conclu qu'un euro dépensé en remontée mécanique générait 6 à 7 euros de dépenses en station. Si les résultats peuvent être extrapolés au massif jurassien et aux Vosges saônoises, le ski de piste aurait généré 60 millions de recettes en Franche-Comté. Avec la vingtaine de millions du nordique, les skieurs et raquetteurs auront dépensé plus de 80 millions, soit 12% des 670 millions apportés par le tourisme. Et on ne parle pas de ceux qui viennent à la neige sans chausser les skis ni les raquettes !

Les hébergements collectifs faiblement occupés
51% des 255.000 lits touristiques de la région sont situés dans le Jura.
Les hôtels ont enregistré 1,9 million de nuités (83,4% de client français), les campings 1,3 million (44,5% de Français), les gîtes 196.000 (85,8% de Français).
Les hébergements collectifs ont accueilli 701.700 nuités (90,8% de Français) avec un taux d'occupation moyen de 32% qui monte à 42% en juillet, 46% en août, 48% en février...

Petits sites plus équilibrés économiquement

Malgré tout cet argent, peu de sites nordiques équilibrent leurs comptes grâce à la seule redevance. « Elle est insuffisante pour financer les infrastructures », dit Nicolas Gotorbe. « Certains sites parviennent au petit équilibre, c'est-à-dire recettes-dépenses sans compter les remboursements d'emprunts. Ce sont souvent des petits sites sans pisteurs secouristes, vivant avec des bénévoles, comme le Retord ou la Haute-Joux... En revanche, de gros sites comme Métabief, les Rousses ou la Communauté de communes du Larmont (NDLR : Pontarlier) sont déficitaires ».

Pour certains, ces finances tendues expliquent qu'on fasse payer une redevance pour la raquette. C'est le cas de Pierre-Paul Monneron, président de la section jurassienne du Syndicat national des accompagnateurs en montagne. Les sites qui l'ont fait assurent que le redevance correspond au balisage, au damage, à la cartographie du plan des pistes, aux secours...

La redevance raquettes pas toujours bien acceptée

Faire payer l'usage des pistes de raquettes ne passe pas toujours, comme l'admet notre interlocutrice de l'office de tourisme de Mouthe : « ça passe moins bien que pour le ski de fond ! » Aux Rousses, la chargée de communication Mylène Chanois explique que « ça rassure les gens peu sportifs d'être sur des pistes balisées, damées... Ils sont prêts à payer. La demande de pistes travaillées est même de plus en plus importante ».

Nicolas Gotorbe cite aussi la participation au financement des salles hors-sac que les randonneurs en raquettes utilisent autant que les skieurs. Du coup, la redevance raquette s'étend... en venant du sud vers le nord. Dans l'Ain, tous les sites nordiques la pratiquent. Dans le Jura, la Haute-Joux-Foncine reste l'unique site sans redevance. Dans le Doubs, la gratuité est encore la règle, sauf à Chapelle-des-Bois, Mouthe et sur le Mont d'Or. 

La mutation des sites nordiques

Reste que l'on peut tout à fait pratiquer la raquette hors-piste si l'on ne veut pas payer de redevance. On aura cependant intérêt à bien connaître ses capacités d'orientation et savoir lire une carte de randonnée ! On évitera aussi les sapinières pour ne pas gêner l'alimentation des grands tétras.

En fait, cette tendance accompagne une mutation en cours des sites nordiques. Le constat a été fait d'une profonde désaffection populaire pour le ski de fond au tournant des années 1980-1990 avec la généralisation de la technique du pas de patineur, ou skating. Elle a nécessité des pistes plus larges, tracées par des machines beaucoup plus chères. Mais elle a aussi chassé de ces pistes les skieurs promeneurs qui ne demandaient pas tant de sophistication, n'avaient pas forcément l'envie ou les moyens d'investir dans des équipements (skis, chaussures, vêtements...) devenus relativement onéreux. 

Ski de fond : la baisse des pratiquants enrayée

Quand on constate que le tourisme hivernal est peu pratiqué par les ouvriers et que le taux d'occupation des hébergements collectifs n'est que de 48% en février (32% en moyenne annuelle), on se dit qu'il y a peut-être quelque chose à faire pour que les activités nordiques redeviennent populaires.

Pour l'heure, la baisse du nombre de pratiquants semble avoir été stoppée : « les cartes ski de fond à la saison sont en augmentation de 4 à 5% pour la quatrième année consécutive », dit Nicolas Gotorbe. « Les loueurs, les clubs nous le disent, le nombre de licenciés augmente... Les vendeurs de matériel vendent davantage de skis de fond. Une grande surface de sport dijonnaise réfléchit à créer un rayon ski de fond... »

L'approche marketing des CSP+

Les sites se sont adaptés, se sont mis à une approche marketing : « pour attirer des nouveaux clients sur les espaces nordiques, la meilleure solution n'est plus de les sortir sur une piste de 2 ou 3 km, mais de leur proposer un espace ludique avec des bosses, des tunnels, un slalom en accès libre. Les gens travaillent la technique sans s'en rendre compte. On apprend ainsi aux enfants par le jeu et l'amusement... » 

Nicolas Gotorbe admet que la « cible CSP+ catégories socio-professionnelles supérieures... à fort pouvoir d'achat» ainsi visée est en contradiction avec ce « côté populaire qu'on a perdu. Ce n'est pas évident de trouver l'équilibre entre une attente forte et des prix peu élevés. La décision politique du Conseil national du nordique, c'est le financement des activités par la redevance... »

Or, comme elle ne suffit pas à équilibrer les budgets, la question d'une baisse des dépenses risque de se poser, d'entraîner une réflexion sur la spécialisation, tant des sites que des pistes. Refaire par exemple de la place au ski de fond classique (ou alternatif) avec des pistes dédiées qui ne seraient pas empiétées par les skateurs sur les pistes mixtes. Voire des sites dédiés au ski classique... Outre un geste plus accessible tout en pouvant être très technique, voire sportif, le classique se contente d'engins de traçage plus simples et surtout moins chers que pour les pistes de skating.

Spécialiser les sites entre sportif, contemplatif, randonnée ?

Nicolas Gotorbe connaît les objections qui traversent le milieu : « Toutes ces réflexions restent sur le papier. l'ADN du Jura, c'est la diversité. Les gens vivent grâce à elle et ne veulent pas la perdre. On pourrait avoir moins de portes, mais se pose un problème politique : les élus veulent que les pistes traversent leur village, passent devant tel restaurant ou tel hôtel... On a du mal à travailler la spécialisation des portes d'entrées entre site plutôt sportif, contemplatif ou de randonnée. On continue à faire de tout sur chaque site, c'est une des raisons pour lesquelles on a du mal à optimiser la gestion des sites... Chapelle des Bois restera diversifiée... La Combe Derniers que la Communauté de communes des Hauts du Doubs ne considère pas comme prioritaire n'est pas damée régulièrement : la question a été posée de la dédier au classique, mais c'est hors de question pour les élus locaux... »

L'Espace nordique jurassien a mis en ligne une enquête visant à connaître les pratiquants des activités nordiques et leurs préférences. La consulter ici.

N'y a-t-il pas un manque d'engouement des jeunes pour le ski de fond classique, voire un manque de formation ? Car c'est un fait que relève la Transjurassienne : « la course classique réunit à peine 1000 participants d'une trentaine de pays, la course skating plus de 3000 dont la plupart sont Français... Mais le classique revient tranquillement... Avant 1986, il n'y avait quasiment que des pistes dédiées au classique. Aujourd'hui des dameurs ne veulent pas en entendre parler... »

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