« Santiago, Italia », même combat !

« Je ne suis pas impartial », assure Nanni Moretti dans ce documentaire intense, où il raconte une « belle histoire d’accueil et de courage », lorsque l’Italie sauvait les réfugiés chiliens fuyant la dictature de Pinochet.

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L’heure est aux documentaires politiques importants, puisqu’après le bouleversant Silence des autres, réalisé par Almudena Carracedo et Robert Bahar, qui évoque l’Espagne meurtrie par les crimes du franquisme, c’est la solidarité italienne face à la barbarie des sbires de Pinochet que raconte Nanni Moretti dans Santiago, Italia (sortie le 27 février). Ces films ont en commun de réclamer « ni pardon ni oubli », d’évoquer des épisodes récents mais oubliés de l’histoire moderne, et de donner la parole à ceux qui les ont vécus.

C’est lors d’un voyage à Santiago du Chili que l’ambassadeur italien a raconté « cette belle histoire italienne d’accueil et de courage » à Nanni Moretti, qui la fait à son tour raconter par les acteurs et témoins qu’il a filmés pendant 40 heures d’entretiens. En 1973, après le coup d’Etat de Pinochet, l’ambassade d’Italie à Santiago fut le refuge inespéré de centaines de personnes menacées, pourchassées, par le nouveau régime du dictateur. Les « asilados » se souviennent avec émotion comment ils sont passés par-dessus le mur de l’enceinte de l’ambassade, et ont trouvé un abri dans cette grande demeure, avec un beau jardin, une piscine… En un an, six cents Chiliens y seront accueillis avant de prendre l’avion vers l’Italie.

Le futur cinéaste italien (Aprile ; La chambre du fils ; Le Caïman ; Habemus papam ; Mia Madre…) avait alors vingt ans, et participait aux manifs de solidarité avec le peuple chilien. « Avec un peu de désenchantement mais je les ai toutes faites », assure-t-il. Dans ce documentaire intense, les témoignages sont forts et racontent d’abord cette « période inoubliable » que fut l’avant putsch, la joie d’un pays qui acclamait son poète Pablo Neruda et son président Salvador Allende. Pour toutes les gauches du monde, « l’expérimentation joyeuse et démocratique » du Chili était alors l’exemple à suivre.

L’irresponsabilité de l’Italie d’aujourd’hui

Mais le putsch militaire contre le gouvernement « marxiste », du 11 septembre 1973, fut bien plus que « la fin d’un rêve », c’était le début du cauchemar : le pays libre se transforme en « pays atroce », la junte impose la peur et la terreur. Rafles, enlèvements, assassinats… tous les moyens sont bons pour exterminer ceux qui avaient soutenu Allende, la villa Grimaldi devenant une sinistre maison des tortures. Seule opposition morale, celle d’un cardinal chilien, et seule porte de secours, celle ouverte par quelques diplomates, dont deux italiens.

« Je suis une victime », ose un ancien tortionnaire interviewé par Moretti. « Je ne suis pas impartial », lui répond-il, seul moment où le cinéaste apparait vraiment dans le film. Certains réfugiés politiques chiliens ont fait le reste de leur vie en Italie, et en racontant cette histoire d’il y a 45 ans, Nanni Moretti parle aussi clairement de l’Italie d’aujourd’hui, dirigée par un gouvernement populiste, dans lequel un certain Matteo Salvini est ministre de l’Intérieur, et alors que débarquent d’autres réfugiés sur les côtes méditerranéennes (quand ils survivent à la traversée).

C’est donc un autre désenchantement qu’évoque Moretti, sur ce qu’est devenu son pays en moins d’un demi-siècle, son irresponsabilité, la perte de valeurs telles que la générosité, la solidarité. « Santiago, Italia », même combat !

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