Sandrine Kiberlain : « Ma fille et moi on est très proches »

L’actrice incarne une mère dont la dernière fille s’apprête à quitter la maison, dans le film de Lisa Azuelos, Mon bébé. « C’est un déchirement de les voir partir, mais c’est aussi une ouverture », ajoute la réalisatrice. Rencontre.

La jeune actrice Thaïs Alessandrin (au centre) avec ses « deux » mères sur le tournage : la vraie, Lisa Azuelos, et celle de cinéma, Sandrine Kiberlain.

Les copines et les amours dans Comme t’y es belle, l’adolescence avec LOL, Lisa Azuelos fait des films « dans l’air du temps ». « Je ne fais pas de différence entre ma vie et ce que je fais », confie la réalisatrice. Sa vie, c’est celle d’une mère de trois enfants, dont la petite dernière, Jade, 18 ans et toujours accrochée à son doudou, passe le bac et veut aller ensuite étudier au Canada. Elle en a donc fait un film, Mon bébé (sortie le 13 mars), dans lequel sa fille Thaïs Alessandrin joue la fille de Sandrine Kiberlain.

« Je n’ai pas eu le choix », assure Lisa Azuelos, qui ne pouvait faire autrement que de confier ce rôle à sa propre fille, tellement cette histoire est inspirée de leur vie commune. « C’est complètement du vécu, l’idée c’était de fabriquer un film qui ait l’air de sortir du souvenir », dit la cinéaste, qui met en scène ces petits moments de la vie familiale, les jeux, les câlins, les petits déj… Et la future solitude de la maman qui va se retrouver dans une maison vide, pestant sur l’ingratitude des enfants, ces sales gosses adorés.

Pour de vrai, la jeune Thaïs Alessandrin est partie dans une université canadienne : « Avec le film, on a tellement anticipé ce départ qu’au moment où je suis partie c’était complètement naturel », confie-t-elle, « Ce qui est étrange quand on part et qu’on commence notre vie indépendamment de nos parents, c’est que d’un coup on perd les piliers les plus importants de nos vies. La famille c’est la seule chose qui dure toujours, tout change tout le temps, tout va très vite, et perdre le seul pilier qu’est la famille, ça déstabilise ».

« J’avais envie de parler de ces liens de famille qui font du bien »

Bien des spectatrices-et-teurs se retrouveront dans cette douce comédie familiale, qui évoque avec tendresse ce temps qui passe, les enfants qui grandissent puis s’en vont voir ailleurs. « C’est un film qui pouvait être très triste, très lourd, où il ne se passe finalement pas grand-chose », précise Lisa Azuelos, qui s’est notamment inspirée de l’excellente série This is us, une histoire familiale racontée avec des allers-retours dans le temps. « C’est un travail sur la mémoire et l’anticipation d’une nostalgie heureuse, ces souvenirs communs fabriquent le tissu familial, qui ne se déchirera jamais parce qu’on a vécu tout ça en commun. En fait, l’amour, c’est une habitude, c’est cette évidence d’amour qui fait que les liens familiaux sont si exceptionnels. Il y a beaucoup de films français qui parlent de ces liens de famille qui font mal, j’avais envie de parler de ces liens de famille qui font du bien », ajoute la cinéaste.

« J’aurais adoré être moins mère », affirme Lisa Azuelos, en femme moderne éprise de liberté. « Mais non », intervient sa fille Thaïs. « Mais si », rétorque maman qui a l’agaçante manie de filmer tout le temps sa fille. « C’est quand même mon métier de filmer, c’est une passion pour moi de capter, c’est un journal intime mais filmé », se justifie la réalisatrice, « Quand je la vois grande, je la vois encore petite, par flashs, la mémoire joue avec nous pour créer un lien continu sur une vie discontinue ».

« Si j’ai un tel besoin de parler du rapport mère-fille, c’est que ça correspond à un manque chez moi », assure Lisa Azuelos, fille de Marie Laforêt. « Je n’ai pas vraiment eu ce rapport mère-fille », précise-t-elle, « Pour moi, le rapport parent-enfant, c’est avec mon père, j’ai été élevée par mon père ». Dans Mon bébé, il est d’ailleurs question de l’hospitalisation du grand-père. « J’avais envie de parler aussi de ce moment-là, il y a une double séparation », dit-elle, « La vie c’est quand même un grand terrain pour apprendre la séparation, mais le fait que les enfants vont partir, c’est une séparation anticipable. On a envie que ça arrive et en même temps on n’a pas envie que ça arrive, on est tiraillé entre deux feux. C’est un déchirement de les voir partir, mais c’est aussi une ouverture pour autre chose, c’est aller vers la vie, l’autonomie, c’est un moment que je trouvais intéressant à filmer ».

Sandrine Kiberlain : « Je vivais la même chose »

S’il y a beaucoup d’elle dans le personnage de cette « mère très mère » dont le « bébé » s’en va, Lisa Azuelos a trouvé son double en Sandrine Kiberlain. « C’est 100% moi, 100% Sandrine, et 100% une autre », dit la réalisatrice. « On a créé ensemble ce personnage, il y a mon corps, ma voix, mon rythme, j’ai proposé à Lisa une allure très libre, elle est drôle malgré elle, elle est sans filtre », ajoute Sandrine Kiberlain, qui se reconnait des points communs avec Lisa. « On a la même façon d’être à l’écoute de nos enfants, de les mettre en priorité, ça reste la chose la plus importante pour nous », dit l’actrice, « Nous sommes des femmes indépendantes, énergiques, boulimiques de vie, on a une vraie joie de vivre, on a ça en commun ».

« J’attendais le rôle d’une femme très réaliste, très contemporaine. Il y avait tellement de choses dans lesquelles je me reconnaissais, il y avait mille choses à faire, de fantaisie, d’émotion, je suis la messagère, mais c’est aussi une situation que je vis chez moi, ma fille passait le bac », raconte Sandrine Kiberlain, « Je vivais la même chose et je préparais le futur où elle va sans doute quitter la maison, ce film m’a permis sans doute d’adoucir ce passage qui est quand même une sacrée étape. Je me suis dit que j’avais beaucoup de chance de recevoir en fiction l’histoire que j’étais en train de vivre, c’est une étape dont on ne parle pas, le départ de nos enfants ».

« Ma fille et moi on est très proches, très complices », confie l’actrice, maman d’une grande Suzanne, dont le père est Vincent Lindon. « J’ai refusé des choses, des tournages loin de Paris jusqu’à ce que ma fille ait douze ans, mais c’est elle qui m’a poussé à me libérer de cette emprise », dit-elle, « Je n’aurais jamais pu imaginer la mère que je suis devenue, j’ai vraiment considéré ma fille tout de suite comme une personne ». On pense alors à cette scène de Pupille, le bouleversant film de Jeanne Herry, où Sandrine Kiberlain joue une travailleuse sociale qui parle à un nouveau-né en attente d’adoption. « Au fur et à mesure, je me suis découvert la mère que j’étais, en ne cherchant absolument pas à convenir aux exemples multiples de mère parfaite, et ça continue à être une découverte, je ne sais pas la mère que je serai quand elle aura trente ans », dit-elle.

Dans Mon bébé, elle est aussi une amusante mère de comédie, rôle pour lequel elle a reçu le Prix d’interprétation au Festival de l’Alpe d’Huez. « L’humour est une partition que j’adore jouer », assure la comédienne, qui s’était particulièrement lâchée dans 9 mois ferme d’Albert Dupontel. « Je jouais déjà là-dessus il y a longtemps, dans des films plus confidentiels, c’est devenu plus évident de faire le rapprochement entre ces rôles-là et moi, je jonglais toujours entre des rôles à la Woody Allen ou des marquises folles et l’infante fragile ».

Logiquement, Mon bébé se termine avec une scène d’au revoir à l’aéroport où, avant de partir, la fille glisse son diadème d’enfant dans les cheveux de sa mère, désormais libre de « redevenir la reine de sa propre existence ».

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