Rétrospective Dominique Cabrera en accès libre

La Cinémathèque du documentaire du Centre Pompidou organise du 5 au 14 mai une rétrospective en ligne de la cinéaste Dominique Cabrera. Article d'après un entretien réalisé lors des 80 ème Rencontres de Pontarlier.

Les séances en ligne sont gratuites et sur inscription sur le site de La Cinémathèque du documentaire.

Dominique Cabrera est bien connue en Franche-Comté où elle a tourné deux films : « Le Lait de la tendresse humaine », une fiction sur le baby blues tournée dans le Haut-Jura et « La Folle embellie » (Prix du Jury Œcuménique à Berlin) réalisé en Haute-Saône. Ce dernier film fait vivre une utopie, celle de la psychiatrie alternative. La réalisatrice met en scène une bande d’internés, qui devant l’avancée de l’armée allemande en juin 1940, s’échappe d’un asile pour trouver une vie nouvelle.

Dans plusieurs films, elle traite de l’histoire croisée de la France et du Maghreb (« De l’autre côté de la mer », « Grandir »).

Les grèves de la SNCF lui inspirent « Nadia et les Hippopotames » : Nadia est une mère de famille RMiste qui rejoint, le temps d’une nuit, un petit nombre de cheminots grévistes pendant le mouvement social de 1995. Son cinéma entre documentaire et fiction ou parfois les deux rejoint un mouvement actuel du jeune cinéma d’auteur dont la forme hybride engage à une nouvelle lecture.

La réalisatrice est venue deux fois au Ciné-Club Jacques Becker pour présenter ses films. Lors de la dernière rencontre en 2019, Factuel Info s’était entretenu avec elle en se baladant dans sa filmographie à l’issue de la projection de « Corniche Kennedy une adaptation du livre de Maylis de Kérangal

Quand on lui demande depuis quand elle filme, Dominique Cabrera répond d’abord par une boutade : « Depuis toujours il me semble, d’abord sans caméra puis avec… Oui mais, quand a eu lieu le déclic, l’idée de prendre une première fois une caméra ? Pour moi, il n’y a pas eu de déclic. Le désir et l’admiration pour un être, un paysage, une situation, des mots, la volonté de maintenir un instant en vie peut-être. Je me souviens d’un jour où très petite j’ai été comme submergée par un paysage. Je me souviens d’une promesse faite à moi-même : ne pas oublier ce moment. Je m’en souviens toujours. Toujours, maître mot du cinéma peut-être, avec vivant ».

Quand elle a commencé sa carrière, à la fin des années 80, le monde du cinéma était encore très masculin. Comment trouver sa place ?  « J’avançais vers mon désir comme je le pouvais avec des obstacles bien sûr, intérieurs, sociaux. Mais je traçais… Maintenant je vois les barrages invisibles, les voies de garage, la violence feutrée pour tous. Mais aussi les alliances, les amitiés, l’amour du cinéma… »

 « Le monde se glisse dans tous les récits… »

Dominique Cabrera cinéaste engagée a réalisé « J’ai le droit à la parole », un film sur un exemple de démocratie participative. Ensuite, elle a filmé les banlieues dans « Chronique d’une vie ordinaire » et « Une poste à la Courneuve », avait-elle envie de révéler les choses ou de les changer ?

« Révéler oui. Changer les choses, j’ai l’impression que ça vient d’ailleurs que du cinéma. Même si je pense que dire, montrer, clarifier, c’est un vrai travail politique dans le cinéma. Faire des films m’a amené à travailler avec d’autres, à explorer des formes, à formuler pour les autres donc pour moi des enjeux, à trouver des solutions narratives. C’est ce travail dans la société et cette lutte pour la forme qui à mon sens peut faire bouger. »

Grâce aux petites caméras, Dominique Cabrera filme l’intime. D’abord des journaux filmés, ensuite « Grandir » un film qui a pour point de départ le mariage de son frère. Pendant dix ans elle va filmer sa famille jusqu’à la mort de son père : « C’était les miens. Je voulais leur rendre hommage, les faire vivre dans une vérité. Il y avait le désir au-delà des miens, de rencontrer d’autres, des frères et sœurs en sensibilité, des spectateurs avec qui partager. J’ai fait ce film pour montrer les miens, rêver avec eux, faire vivre leur vie comme concrète, partager à ma manière leur lutte pour le cistre, plonger dans cette matière-là, à cet endroit de la société d’où je venais. »

Filmer sa famille, est-ce toucher à l’universel, à d’autres vies ? « Le monde et l’époque se glissent dans tous les récits. Au cinéma aussi, on fait sans le vouloir le portrait de son temps. On ne sait jamais ce qu’on filme…»

La question politique nouée dans les corps

Adaptation de “Corniche Kennedy”, livre de Mailys de Kérangal, le dernier film de Dominique Cabrera est une fiction. À Marseille des jeunes gens plongent dans la mer, s’envolent pour être de plus en plus fort. Suzanne, une jeune bourgeoise les regarde avec envie depuis la villa côtière où elle habite. Le film semble, — au-delà de la quête de liberté des jeunes plongeurs, et des désirs de la jeune femme —, évoquer la lutte des classes : « J’ai voulu filmer Marseille. La mer d’abord. Le ciel. L’espace des rochers d’où les jeunes plongent. Le danger et la grâce. Filmer cela, les jeunes des quartiers populaires, la poésie de Maylis de Kérangal et de leur langue. Le bleu, les corps, c’était une matière formidable. La question politique était comme nouée dans les corps et dans l’espace ». Dans ce film Dominique Cabrera met en scène des jeunes non professionnels et une actrice Lola Creton : « j’ai cherché de l’aide pour améliorer le scénario, les situations, les dialogues. J’ai eu la chance de rencontrer un groupe de jeunes plongeurs sur la corniche. Parce que c’était eux et parce que c’était moi, une amitié est née de fil en aiguille, de mots en images, de conversations en temps partagés. Ils m’ont demandé à jouer dans le film car ce roman, c’était leur histoire. Ils m’ont autant choisie que je les ai choisis ».

Et le choix de Lola Creton ? « Je cherchais une jeune fille pour incarner la ‘bourgeoise’ et j’ai eu la vision de Lola. Il m’a semblé qu’elle serait idéale par son décalage géographique et social pour jouer quelqu’un d’une autre classe sociale. Elle a joué le jeu. Elle a été aussi en rapport direct avec les jeunes de Marseille. Même génération. Et échanges profonds. Ils avaient beaucoup de choses à partager ».

Le lien pour visionner la rétrospective : https://agenda.bpi.fr/cycle/cinematheque-du-documentaire/

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