Retour d’Angers et du Festival Premiers Plans

Le cinéma de genre fait son apparition dans les préoccupations de jeunes cinéastes à l’instar de La Nuit a dévoré le monde, et The Cured. Jusqu'à la garde, de Xavier Legrand, traite des violences conjugales comme peu de films osent le faire. Zoom sur la trentième édition d’une manifestation qui allie une compétition cosmopolite présidée par Catherine Deneuve, une programmation inventive, un public nombreux, une belle rencontre avec Agnès Varda...

lanuit

Le Festival Premiers Plans d’Angers, qui fêtait cette année ces trente ans, est devenu une référence par sa programmation où la compétition et le cinéma de patrimoine rassemblent chaque année plus 75.000 spectateurs pour une ville de 148.000 habitants.

L’édition 2018 révélait quelques pépites d’un cinéma européen audacieux dans le traitement de sujets peu abordés, comme la place de l’intime dans un pays en déliquescence (Strimholov) ou encore une plongée dans les communautés juives et kabardes du Caucase du Nord dans les années 90 (Tesnota, une vie à l’étroit). De son côté le cinéma français renonce de plus en plus aux fictions nombrilistes et s’ouvre sur des sujets de société (la violence conjugale, les ressorts de la mémoire etc.). Depuis Grave, de Julia Ducournau, présenté l’an dernier, on constate que le cinéma de genre fait aujourd’hui son apparition dans les préoccupations de jeunes cinéastes à l’instar de La nuit a dévoré le monde de Dominique Rocher.

Le Jury était présidé par Catherine Deneuve.

Le cinéma nordique

Cette année, la compétition révélait quelques œuvres venues du Nord : Winter brothers, de Hlynur Palmason (Grand Prix du Jury – Premiers Longs Métrages Européens, ex-æquo avec Tesnota, une vie à l’étroit, de Kantemir Balagov) nous plonge dans l’univers d’une mine dans laquelle travaillent deux frères : l’un, Emil, fabrique des alcools frelatés qu’il revend aux travailleurs jusqu’au moment où surgit un drame. Entre les plans étouffants de l’intérieur de la mine et la beauté ancestrale des paysages, le réalisateur tisse une tragédie âpre et violente. « J’ai voulu travailler sur des sentiments primitifs, sur une matière très physique », expliquait le cinéaste. Le film prend corps dans du vacarme et de l’obscurité, des plans éclairés par des lampes torches, et d’autres, en pleine lumière, sur fond d’hiver islandais. L’étrangeté naît de l’aveuglante lumière blanche du calcaire et des bruits des wagonnets, figures obsédantes d’un lieu où le drame peut arriver. (Sortie en salles le 21 février).

The Rules for everything, de Kim Hyortoy, film sur le sens des choses dans l’univers, le développement personnel, la certitude de la mort, a désarçonné le public par sa forme composite. Néanmoins, ce premier film à plusieurs entrées, révèle d’intéressantes et cocasses ruptures de narration, un côté BD assumé et des références au film Le Septième sceau d’Ingmar Bergman.

Enfin Valley of shadows, du norvégien Jonas Matzow Gulbrandsen, restaure à l’écran le conte Pierre et le loup dans des paysages somptueux et une musique envoûtante. Au-delà des qualités esthétiques et d’un aspect trop maitrisé de l’image, le film ne réserve pas de grandes surprises.

La Russie et l’Ukraine

Strimholov, admirable film de Marina Stepanska (Prix Jeanne Moreau : prix du public – Premiers Longs Métrages Européens), dessine les contours d’une histoire d’amour sur fond d’Ukraine post-révolutionnaire. Après avoir connu une courte célébrité musicale, Anton, ex-alcoolique, sort de cure et rencontre la belle Katya sur fond de désespoir et d’incommunicabilité. Le grand talent du film se déploie dans de fragiles séquences de grande lumière où les deux protagonistes, s’isolent de la Grande Histoire pour quelques rares instants de douceur. La lumière transparente, l’encadrement d’une fenêtre dessine, une approche solaire de l’amour en dehors des désastres du monde.

Tesnota, une vie étroite, film russe de Kantenir Balagov, réalisateur âgé de 26 ans, relève de la prouesse. Des fiançailles juives ouvrent le film. Plans rapprochés d’une table couverte de victuailles. La caméra se rapproche. La communauté familiale est réunie. Ilana, la sœur, s’échappe quelques instants de la grande table, comme si, déjà, le climat familial l’étouffait. Elle rejoint ensuite Nassim, son fiancé. Par une ellipse, on apprend que David, frère d’Ilana, et Léa, sa fiancé se sont fait kidnapper par des Kabardes qui réclament une forte rançon.

Les parents s’adressent à la communauté juive sans pouvoir réunir la somme. C’est alors qu’un ami de la famille se propose de les aider s’ils consentent à donner leur fille en mariage à leur fils. Ilana s’enfuit encore et découvre que Nassim et ses amis regardent des images de tortures perpétrées sur des soldats russes par des islamistes tchétchènes. La jeune fille déchirée entre sa famille et Nassim, cristallise tout l’enjeu de ce film dont on taira ici l’issue. Un film dont la force et le propos ne sont pas sans évoquer Little Odessa, de James Gray.

Pays-Bas, Italie, Luxembourg...

Broers, de Bram Schouw, remarquable film des Pays Bas, met en scène deux frères réunis par un road trip improvisé, et, séparés ensuite par les aléas de la vie. Tel Icare, le premier consomme sa vie en se brûlant les ailes et le second, plus mesuré, suivra sa trace ensuite jusqu’à une fin très épurée où il devra à son tour trouver sa propre voie. « Je suis fasciné par les rebelles et par la façon dont nous les regardons voler vers le soleil. Je pense à Amy Winehouse ou Jim Morrison. Nous les regardons s’envoler vers une mort prématurée », expliquait le réalisateur.

Représenté en compétition par un seul film, le renouveau du cinéma italien n’en était pas moins bien exposé avec Il figlio Manuel, du réalisateur Dario Albertini. Après avoir réalisé le documentaire La Repubblica dei ragazzi, sur un foyer d’accueil, le cinéaste utilise la fiction pour confronter un jeune homme à la réalité de sa sortie d’un foyer. A l’opposé de ce qui est véhiculé habituellement, il choisit de ne pas se réfugier dans la délinquance, mais d’aider sa mère à obtenir l’assignation de résidence à sa sortie de prison. La construction, le parti pris de filmer au plus près le jeune homme donne au film une anxiété dans la vacance des images, une force dans l’approche des sentiments et des difficultés du personnage. A cet égard, les séquences où Manuel parvient à peine à respirer en disent long sur l’amour filial et sa peur de ne pas réussir à faire face à la situation.

Autre bonne surprise de la compétition, The cured, de David Freyne, prend le pari audacieux de parler de politique à partir du film de zombie. Des années après que l’Europe ait été ravagée par un virus qui transforme les humains en monstres cannibales un antidote est enfin trouvé. La suite donne lieu à toutes sortes de péripéties et à un film haletant, rythmé et très bien construit autour de l’idée de ségrégation, rejet…

Enfin Gutland, de Govinda Van Maele, film Luxembourgeois montre comment l’arrivée d’un saisonnier dans une communauté rurale va peu à peu changer le cours des choses. Mais contrairement aux apparences, le village cache bien frivolités sexuelles et des cadavres dans la fosse à purin.

Le cinéma français : audace et zombies...

Les Garçons sauvages, de Bertrand Mandico, n’a pas été primé. Il n’en est pas moins un des plus audacieux et des plus poétiques de la sélection. Ses héros sont des garçons de bonne famille, confiés à un capitaine chargé de les remettre dans le droit chemin le temps d’une croisière sur un voilier. Il s’en suit un voyage fantastique, lorgnant à la fois du côté de Jean Genet et du très beau Querelle de Fassbinder. C’est un film hybride, fantasmatique sur la métamorphose : « Le film est né d’un désir romanesque, une sorte de pulsion qui m’a poussé à le réaliser. C’est un film que j’avais envie de voir, alors, je l’ai fait. J’avais aussi le fantasme d’une île peuplée de femmes... » (Sortie en salles le 28 février).

La Nuit a dévoré le monde, de Dominique Rocher, fait partie des rares films de zombies du cinéma contemporain français. Un homme se réveille. Il est seul parmi les morts-vivants. Il doit s’organiser pour assurer sa survie : « J’ai voulu adapter le livre de Pit Agarmen parce que le personnage principal était misanthrope et cela m’intéressait. D’une certaine façon, il est Robinson Crusoé ». Un plan de survol montre l’immeuble comme une île déserte en plein cœur de Paris. « On a voulu créer des zombies avec un reste d’humanité. Le personnage principal a la possibilité de les faire revenir s’il veut ne plus être seul ». Un étrange dialogue s’installe avec un zombie (le génial Denis Lavant), le seul avec lequel il est encore possible de parler.

La violence de l'oubli

Dans Sparring, de Samuel Jouy il est question d’un boxeur qui abandonne la boxe. Avant de raccrocher les gants, il devient sparring pour accompagner un grand champion. Il ne s’agit pas précisément d’un film sur la boxe mais sur le doute et sur l’échec, peut-être aussi la difficulté de se forger une identité, que l’on soit boxeur ou cinéaste.

Citons encore Les Versets de l’oubli, du cinéaste Alireza Khatami, grand film sur la violence de l’oubli mettant en scène un gardien de la morgue qui se souvient de tout, sauf des noms. Dans ce cimetière, une femme cherche sa fille disparue il y a trente ans. Au cours du récit, on comprend que suite à la torture et au refus de dénoncer ses amis, le gardien de la morgue a appris à ne pas se souvenir des noms. Le film est tourné au Chili, mais ce pays ne sert pas de référence au propos : « ne voyez aucune référence au Chili, la question de la mémoire est partout ; en 1962, en Algérie il y a eu aussi des cadavres sans nom ».

Léa Drucker (photo Michèle Tatu)

Enfin Jusqu’à la garde, de Xavier Legrand, a été longuement ovationné lors de la compétition. Le cinéaste avait été remarqué par un court-métrage, Avant que de tout perdre, en 2014 : il avait acquis une notoriété en étant nominé aux Oscars et récompensé aux Césars. Jusqu’à la garde, son premier long métrage, Lion d’Argent à la Mostra de Venise, a obtenu le Grand Prix du Jury - Premier Long Métrage Français.

 

 

 

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