« Quand on a ouvert le service en 2008, j’étais content d’aller travailler. Aujourd’hui… »

Les réquisitions préfectorales du personnel des urgences de l'hôpital de Lons-le-Saunier, apportées de nuit par des gendarmes, sont très mal vécues par les intéressés et leurs familles. Alors qu'un nouveau préavis de grève nationale est posé pour le 6 juin dans les services d'urgences du pays, le docteur Eric Loupiac, délégué du Jura de l'association des médecins urgentistes de France, dit sa lassitude et sa colère : « Aujourd'hui, on ramasse les jeunes, que se passera-t-il quand les anciens craqueront ? »

smur

Médecin urgentiste à l'hôpital public de Lons-le-Saunier, Eric Loupiac est délégué départemental de l'AMUF-CGT. Il avait rendez-vous lundi 3 juin avec la direction de l'Agence régionale de santé (ARS) à qui il avait réclamé l'ouverture d'une négociation sur la situation dramatique locale. Des infirmières ont appris, en étant réveillées en pleine nuit par des gendarmes, qu'elles étaient réquisitionnées pour travailler dès le matin alors qu'elles devaient être en repos...

Parmi les points que vous entendiez remettre en cause, il y avait cette très contestée proposition de fermeture de la seconde ligne de SMUR...

Oui. L'ARS a proposé à la place d'embarquer 300 kg de matériel, un demi-mètre cube, dans l'ambulance des sapeurs pompiers au moment de partir en intervention... Ce n'est pas envisageable. On ne fait pas d'urgences sans être prêt ! Les véhicules prêts à partir ont été inventés par les pompiers de Paris en 1967...

Vous deviez en discuter aujourd'hui, et puis non. Que s'est-il passé ?

J'avais demandé une négociation au directeur de l'ARS. On y était le 5 avril, ça a été un dialogue de sourds, comme le 19 février. On nous écoute et rien ne change. On a demandé une médiation, il m'a été répondu : voyez avec le directeur de l'hôpital. J'ai répondu qu'il était étranglé par les plans d'économie imposés par l'ARS et qu'il n'avait pas les moyens de répondre à nos revendications.... Dimanche, le directeur de l'hôpital nous a invité à la voir, sans l'ARS. On n'y est donc pas allé... Et en plus, il n'avait pas invité l'intersyndicale !

Comment le SMUR s'articule-t-il avec le service d'urgences ?

Dans les petits hôpitaux, le personnel du SMUR est aussi celui des urgences. Quand on supprime une ligne de SMUR, on supprime du personnel des urgences. Or, l'activité a doublé en dix ans et le personnel a diminué d'une infirmière...

C'est quoi l'effectif des urgences ?

Théoriquement, un groupe de garde, c'est trois médecins 24 heures sur 24, plus un quatrième la journée, mais ce n'est pas souvent le cas. Il y a six infirmières pour les urgences et l'UHCD, unité d'hospitalisation de courte durée, cinq la nuit...

Des infirmières ont été réquisitionnées, on leur a envoyé les gendarmes...

Je l'ai aussi été par l'hôpital, assigné quand ils m'ont vu traverser la cour pour aller en réunion... L'assignation est du ressort de la direction de l'hôpital, la réquisition est décidée par le préfet. C'est particulièrement violent, on n'attend pas 6 heures du matin comme pour les perquisitions...

Des médecins urgentistes, praticiens hospitaliers semblent en manque puisqu'il faut parfois les remplacer, comme à Dole, par des médecins payés à la vacation 1500 euros, soit beaucoup plus cher que s'ils étaient titulaires...

Ça dépend des services d'urgence. On paie les gens 1200 euros, parfois 1500 ou 1600... Les tarifs officiels ne sont pas toujours respectés. Un praticien hospitalier gagne 4000 à 7500 euros par mois, plus des indemnités, pour 48 heures de travail hebdomadaire.

Les vacataires sont donc payés deux à trois fois plus !

Presque... La solution serait de faire revenir les gens dans l'administration hospitalière, donc travailler à l'attractivité, ce qui revient à réévaluer à la hausse le statut de praticien hospitalier, financièrement et du point de vue des conditions de travail... Par exemple, quand on a ouvert le service en 2008, j'étais content d'aller travailler. Aujourd'hui... A l'époque, on n'avait pas de problème de recrutement.

Que faudrait-il faire selon vous ?

Il ne faut plus d'hospitalisation sur brancard, que personne ne reste plus de 24 heures en unité d'hospitalisation de courte durée. Il faut se recentrer sur notre corps de métier, que l'ARS créé des lits de soins continus : certains sont prévus mais ça doit se faire et aller plus vite que prévu. Il faut aussi recréer des lits dans l'hôpital alors qu'on en a fermé plusieurs dizaines. Il faut arrêter de transformer des lits d'hospitalisation en lits de soins de suite et de réadaptation (SSR), qu'on revienne à des lits de courts séjours pour qu'on arrive enfin à un mode de fonctionnement normal et on n'aura pas peur d'avoir une mortalité accrue… 

Cette peur se base sur quoi ?

Plusieurs enquêtes nationales et internationales estiment la surmortalité de 9 à 30% quand il n'y a pas de lits et que les gens attendent aux urgences. L'idéal, ce qu'on aimerait, c'est l'application du référentiel SAMU 2011 pour les urgences de France, et là, le personnel reviendra. On a eu des internes en congés de maladie car ils n'ont pas supporté ce qui se passe.

On gère la pénurie ou est-ce une pénurie organisée ?

Un peu les deux. Il n'y a pas de recours aux remplacements en raison du plan d'économies. Les conditions de travail sont erratiques. La veille d'un congé-maladie, on s'aperçoit qu'il manque une infirmière aux urgences alors l'administration dit qu'elle ferme la seconde ligne de SMUR. On est dans une situation de pénurie.

Comment faire face autrement que sur l'énergie ?

C'est une bonne question… Je me demande… Vu le déficit de personnel, il y a mise en danger de la population. On nous répond que les patients sont détournés sur Dole qui n'est pas dimensionné pour ça. J'ai demandé, au nom de l'intersyndicale, l'ouverture de négociation à M. Pribile (NDLR : directeur général de l'ARS), j'attends toujours… Je crains des suicides. On ramasse des gens en larmes. Je mets en cause tous ceux qui ont conduit à cet état de fait, ils ont tous une part de responsabilités…

La seconde ligne de SMUR est-elle ou non fermée ?

Elle l'est de temps en temps… Il y a une volonté de la direction et de l'ARS de la fermer définitivement. Demain (mardi), ça va être l'enfer. On ne peut même pas manger, pisser, boire… C'est absolument intolérable.

Il y a eu des articles dans la presse régionale et nationale. Quel est leur effet ?

Ça fait du bruit, mais je n'ai toujours pas entendu M Pribile prévoir de venir négocier.

On sent dans votre voix que vous êtes à bout…

Ça fait une semaine que je suis avec ça. J'aimerais que les autorités administratives et la tutelle en prennent conscience. Aujourd'hui, on ramasse les jeunes, que se passera-t-il quand les anciens craqueront ? Je me demande s'il n'y a pas une volonté de faire dysfonctionner… Ça fait plus de six mois qu'on est mobilisé dans l'indifférence totale de l'ARS, du ministre, du président…

Pourtant, il y a quelques jours, on recensait plus de 60 services d'urgences en grève dans le pays.

On est à 180 selon le collectif inter-urgences. Et ça ne se passe pas qu'en France : on demande aussi en Allemagne aux médecins d'augmenter la cadence… 

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