Poesia sin fin, pour ouvrir le festival latino-corazon

Après La Danza de la realidad, film sur son enfance chilienne, Alejandro Jodorowsky revient sur son adolescence, l’âge ou contre vents et marées il déclare « Je suis un poète ». Le film sera présenté à l’inauguration du Festival latino-corazon de Besançon.

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Comme dans La Danza de la realidad (2013), la mère d’Alejandro chante ses répliques et le père, redevenu boutiquier humilie les petits voleurs. Alejandro adolescent entêté décide d’être poète. Le film suit ses péripéties à Tocopilla et à Santiago jusqu’à son départ à Paris. Quelqu’un lui dira : « une vierge nue illuminera ton chemin avec la passion d’un papillon ardent ». Début d’une quête éclairée par ces mots.

La poésie est un acte

Le cinéaste, âgé de 86 ans ose tout. A l’ouverture du film, ce sont des photos de l’époque qui décorent les rues de Tocopilla et évoquent le passage du temps. Par la suite, il n’hésite pas à faire apparaître et disparaître du champ de drôles de ninjas. D’emblée il montre les ficelles de son film sans les masquer par des trucages. Car le décor planté est celui d’un monde carnavalesque coloré et turbulent. « Poesia sin fin »  foisonne en trouvailles esthétiques à l’instar du « Café Iris » peuplé de poètes silencieux tout de noirs vêtus, de serveurs patibulaires, où l’adolescent exalté rencontre Stella Diaz, poétesse fellinienne avec à la chevelure rouge et la poitrine opulente.

Outre ces virées nocturnes avec elle, le cinéaste nous convie à des expériences poétiques à l’instar de celle où l’adolescent doit traverser le monde sans éviter les obstacles ; emporté par ce désir, il prendra cette idée au pied de la lettre et le fera avec son ami Enrique Lihn en marchant tout droit dans la rue, en escaladant les voitures, et pour parvenir à leurs fins traversant un garage et même un appartement habité.

Un monde libre

La poésie selon Jodorowsky n’est pas seulement l’écrit ; elle est bien réelle et transforme le monde empruntant les voies du burlesque et les autres formes de spectacle, les marionnettes, le cirque, le théâtre. Son film fonctionne comme une mosaïque, un collage où abondent ses souvenirs familiaux (ses parents immobiles assis sur des chaises à bascule sous une épaisse couche de poussière blanche) et un peu plus tard, son attrait pour la liberté, figuré par la robe maternelle, - seul objet préservé d’un incendie de la maison d’enfance, - qui s’envole vers le ciel, tractée par une volée de ballons.

Pour être poète, il doit laisser derrière lui cette famille obsédante où le père pense qu’être artiste c’est être « pédé », et où la mère fête l’anniversaire d’un fils mort étouffé par une tarte aux fraises en mangeant le même dessert ! Excédé par une fête de famille, Alejandro furieux coupe un arbre et par cet acte symbolique, tue la généalogie pesante susceptible, par sa force souterraine, de freiner son accès à sa vocation de poète.

Bousculer l’ordre des choses.

Eloge de l’excès, le film ne se dérobe pas devant l’imaginaire du cinéaste qui assemble des séquences, sans peur de l’étrangeté ; sous sa caméra les marionnettes prennent vie et disent ce que les humains ne savent plus se dire ; un clown parle du rejet de l’étranger, un couple de nains se fait la promesse de « s’aimer et de grandir ensemble » ; un manchot qui ne peut pas caresser sa femme se fait aider par des volontaires. Dans son monde rien n’est difforme et l’amour prend les sentiers qu’il veut, comme la séquence ou Alejandro fait l’amour avec une naine. La différence exalte une beauté secrète.

Chacun cherche son chemin, sa vérité, son expérience du monde avec la poésie comme une force centrifuge qui bouscule l’ordre des choses. Le film croise d’autres univers, fait un clin d’œil au film « Les enfants du paradis », à Pablo Neruda, à Fellini. Bunuel aussi. Car dans son univers les images et les mots dévoilent, - au-delà de ce qu’ils sont, - une danse avec la réalité, avec chez le cinéaste, une forme poétique de résilience. Ensuite, Jodorowsky, réconcilié avec son père, quittera le Chili tourmenté pour partir à Paris où il rencontrera André Breton et les surréalistes. Ce sera son prochain film.

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