La petite foule est compacte et multicolore ce dimanche 27 septembre sur les premières marches de la place Marulaz. On bavarde tranquillement à l'ombre des platanes en attendant son tour. Ou on jette un coup d'oeil aux livres, fascicules et autres brochures qui disent qu'un autre monde est non seulement possible, mais qu'il existe là, sous nos yeux, dans nos mains. Pas de grand soir à attendre. Seulement des moments à partager, à inventer. A peine plus loin, des petits groupes se sont installés. Les uns le parvis de la fontaine, d'autres sous d'autres arbres, certains assis par terre, d'autres attablés comme à la cantine. Ceux-là sont, pour la plupart, déjà servis et jouent du coup de fourchette.
Plus bas, la file d'attente avance lentement vers la grande table qui fait office de buffet. On entame la conversation avec Michèle : « Je viens les beaux jours, moins l'hiver. C'est une copine qui m'a emmenée la première fois. C'est sympa, utile pour ceux qui ont du mal à joindre les deux bouts. On passe un moment agréable, convivial... » Hamid est de ceux-là : « Ça fait 20 ans que je suis SDF. On galère de plus en plus côté climatique, se battre pour un coin de manche, un abri... J'aime bien ici, c'est sympa. Et puis on est en France, on ne crève pas la dalle... » Marie-Thé, prof d'anglais à la retraite est là : « Je viens pour rencontrer des gens que je ne verrais jamais si je restais enfermée... J'ai déjà servi, je compte m'investir pour faire à manger. Je suis militante, adhérente à Amnesty-International, je parraine un enfant népalais, je suis à Palestine Amitié... »
« Sept ou huit personnes pour faire la cuisine, trois pour la récupération sur le marché... »
Ses animateurs bisontisn tiennent un blog : voir là.
Michèle, Hamid et Martie-Thé résument assez bien ce qu'est le resto-trottoir. Cédric est bien placé pour témoigner du fonctionnement : « Je suis dans le collectif quasiment depuis le début, il y a six ou sept ans. C'est un collectif d'individus. On tient une réunion par mois et on s'organise en fonction des présents. On fait un planning, on est rodé. Il faut sept ou huit personnes pour faire la cuisine le samedi, trois pour la récupération sur le marché, éventuellement une pour récupérer sur d'autres lieux comme la biocoop. Pour le dimanche, il faut être une dizaine afin de faire le service, gérer la vaisselle, sortir les tables... Plus on a de coups de main, mieux c'est ».
Comment justement donner un coup de main ? « Le mieux, c'est de venir manger un dimanche pour voir comment ça se passe ». Si affinités, il suffit ensuite de proposer sa participation en assistant à la réunion, chaque premier mercredi du mois, à 19 heures, à la librairie libertaire l'Autodidacte, juste en face. C'est ce qu'a fait Aline, venue ce jour-là avec ses deux enfants : « J'étais venue il y a quelque temps donner un coup de main quand mon emploi du temps me le permettait. Aujourd'hui, je veux montrer aux enfants que des échanges peuvent se faire sans argent : moins de biens matériels, plus de liens... ».
« On ne voit pas souvent les élus ! »
Thomas, père au foyer, est dans une optique voisine : « Je viens pour l'ambiance et le principe, un échange hors système monétaire. J'emmène parfois mes enfants de 7 ans. Je suis à la lisière de donner un coup de main ». Renan est venu « rencontrer du monde ». Il est de la génération précaire et dit sa révolte de « voir des retraités dans la misère ». Il sourit : « je viens de trouver du travail, ça va moins être la galère... » Pierre théorise le resto-trottoir : « ça me plait ce concept, c'est pertinent ». Assis sur le parapet d'une devanture, Jean-Marie a posé sa canne anglaise à côté de lui. Il dit regretter son prénom à cause de qui on devine, laisse parler sa radicalité : « on ne voit pas souvent les élus, le maire ne vient pas. Le dernier socialiste, c'était Jaures, les autres ont toujours trahi... »
Raphaël, Marguerite et quelques autres sont venus du Jura. Membres du collectif contre le center parcs de Poligny, ils ont prévu d'expliquer leur refus en compagnie de militants engagés dans la bataille contre le center parcs de Roybon, en Isère. Marguerite s'est affublée d'ailes de fée Clochette. Une idée a vite germé dans son esprit : pourquoi pas un resto-trottoir à Poligny ? Sa fille de quatre ans s'est emparée des craies et participe aux dessins sur trottoir. A l'ombre des arbres du fond, ceux qui ont fini de manger rincent leur vaisselle. Elle sera ensuite lavée par les membres du collectif.
On récupère, on cuisine, on partage... Cela rappelle une formule que les Bisontins ne sont pas prêts d'oublier : on fabrique, on vend, on se paie...