Marée anticapitaliste…

Dès qu'ils le peuvent, nombreux sont nos contemporains qui s'extraient des relations marchandes. Au nom du sens de la vie ou des clameurs de la poésie.

« Les écrivains qui ont recours à leurs doigts pour savoir s'ils ont leur compte de pieds, ne sont pas des poètes, ce sont des dactylographes », slamait en 1970 Léo Ferré dans [la] Préface du recueil Poètes vos papiers qu'il avait écrit en 1956... Un texte proclamant – déjà – que « la poésie est une clameur », que « les plus beaux chants sont des chants de revendications »...

De quoi, certainement, réjouir les manifestants de ces dernières semaines qui en connaissent un rayon sur le sujet.

De quoi interpeller les commentateurs ne jaugeant qu'à l'affluence d'un défilé ou au nombre de grévistes la réussite ou l'échec d'une mobilisation. Ce sont évidemment des indicateurs, mais allez mettre en équation une clameur, la beauté d'un chant, la signification d'un événement... Quant à en tirer la conclusion que ceux qui n'en sont pas approuvent la réforme de la SNCF ou la politique du gouvernement, ce serait aller très vite, trop vite, en besogne.

Ce qui frappe en ce printemps, ce ne sont évidemment pas les foules contestataires qui submergent les rues. On entend d'ailleurs de vieux militants regretter qu'au vu des enjeux, il n'y ait pas tant de râleurs publics que ça. Ce qui frappe, c'est plutôt l'installation dans la durée de multiples et constantes contestations dont beaucoup sont des constructions. Certaines sont à bas bruit mais fondamentales comme les initiatives de défense des communs, l'investissement dans l'agriculture vivrière ou de proximité − souvent biologique, des habitats combinant intimité et espaces partagés, les coopératives de consommateurs... D'autres sont plus visibles car touchant aux services publics, au droit des travailleurs, des femmes, des LGBT, à la culture, la biodiversité, les solidarités...

Toutes ont un dénominateur commun plus ou moins appuyé mais constant : la critique du capitalisme. Denis Baud, animateur des comités bisontins de LREM, effectuant une visite de courtoisie à la Fête de l'Huma 25, samedi 26 mai à Besançon, l'a bien compris. Lors d'un échange impromptus avec des militants communistes, il a lâché : « la différence entre vous et nous, c'est que nous on accepte le capitalisme. »

On ne peut pas lui reprocher de se cacher derrière son petit doigt.

Les règles du pays sont de fait celles du jeu capitaliste, comme ceux de l'Union européenne et d'autres régions du monde. Cela ne fait pas pour autant de tous les citoyens des adeptes béats d'un système qui ne sait pas faire grand chose d'autre que compter. La preuve, dès qu'ils le peuvent beaucoup s'en extraient, au nom du sens de la vie ou des clameurs de la poésie. A moins que ce ne soient le sens de la poésie ou les clameurs de la vie.

Quoi qu'il en soit, c'est justement cela que défendent les manifestants de tous poils, qu'ils défilent pour la santé, les trains, la justice au travail, la place du vélo, ou contre Macron et ses décisions de Robin des Bois à l'envers, comme le disait Cécile, militante associative bisontine impliquée dans son quartier et l'éducation populaire rencontrée lors de la Marée populaire qu'on aurait pu rebaptiser plus sobrement marée militante...

L'expression aurait sans doute été moins attrayante, moins vivifiante... N'empêche, c'est de vie, de vitalité, de fraternité, de culture, bref de poésie dont a besoin la société pour se tirer du mauvais pas où l'entraîne le capitalisme financier, actionnarial, consumériste qui organise depuis trop longtemps la guerre de tous contre tous...

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