Mai 68 : la cheffe de gare de Saint-Lothain obtient un jour de congé hebdomadaire…

Les petites gares ont longtemps été confiées à des femmes sans le statut cheminot, les agents de PAG, les points d'arrêt gérés... La fille de l'une d'elles raconte ce qu'était ce quotidien immuable, entre le déjeuner interrompu par le train, le poisson frais du vendredi, le remplaçant qu'il fallait payer pour prendre un congé...

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« Tiens, ils ont refait les fenêtres... Ce sapin, c'est mon père qui l'a planté, enfin repiqué... Et cette haie, elle n'existait pas, à la place il y avait les escaliers de la gare... » J'accompagne Orane Chalvet, ancienne éducatrice spécialisée, sur les lieux de son enfance, la gare de Saint-Lothain, village vigneron du Jura, entre Poligny et Lons-le-Saunier. Rencontrée à l'occasion d'un spectacle, elle m'avait raconté comment sa mère, qui travaillait sept jours sur sept comme agent de PAG, ou point d'arrêt géré, avait, en mai 1968, protesté et obtenu un jour de congé hebdomadaire...

Qu'est-ce qu'un agent de PAG ? « Certaines gares sont tenues, non par un agent du cadre, mais par une gérante. Ces dispositions permettent d'économiser des bouts de chandelles en faisant faire le travail par des gens sous payés n'ayant pas le statut de cheminot », explique sur son site Gilbert Gillet, cheminot bourguignon décédé en 2009 (voir ici puis onglet vocabulaire et jargon).

En fait, Charlotte, la mère d'Orane faisait le boulot d'une cheffe de gare. Certes une petite gare, mais où s'arrêtaient sept trains par jour : « il y avait les écoliers le matin, des gens partant travailler à Lons ou Poligny. Il y avait deux trains le matin, le premier était vers 7 heures, un vers midi : quand on rentrait de l'école, elle avait toujours le train au milieu du repas... Il y en avait deux le soir, le dernier vers 18 heures 30 ou 19 heures. Beaucoup passaient sans s'arrêter, comme le Strasbourg-Vintimille... »

« Tous les vendredis, la gare
se transformait en poissonnerie... »

La famille était arrivée là en 1956 après la faillite du magasin de chaussures qu'elle tenait à Poligny : « le chef de district avait dit qu'il cherchait quelqu'un pour tenir la gare de Saint-Lothain, avec une maison gratuite et un jardin... » Le père travailla aussi pour la SNCF. Également sans statut, il était garde-barrière à l'autre bout du village : « il bossait en 3/8 douze heures par jour, payé huit. La nuit, c'était interdit de dormir, c'était la hantise des gardes-barrières... Il avait trois passages à niveau, le PN14, le PN15 et le PN16... Aujourd'hui, le PN14 a été remplacé par un pont sur la nationale 83... »

Le petit logement de la gare - salon, cuisine et deux chambres - était à l'étage. Le rez-de-chaussée accueillait le bureau et la salle d'attente. Prenant jusqu'à trois quarts d'heures par train, le travail consistait à vendre les billets, peser les colis... « La gare des trains de marchandise, qu'on appelait les patachons, était un peu plus loin et là qu'il fallait récupérer les colis. Ma mère avait observé qu'il y avait des poissons dans les patachons, et tous les vendredis, la gare se transformait en poissonnerie pour les gens de Saint-Lothain !

« Lyon-Perrache ou les Brotteaux ? »

Au début, il y avait encore des trains à vapeur. Avant leur arrivée, Charlotte courrait dans le jardin dépendre le linge. Orane se souvient que le sifflement la terrorisait... Devenue adolescente, elle fait l'assistante avec sa sœur : « On ne vendait pas les billets, mais nous attendions les trains. On mettait le calot bleu de chef de gare, un calot pointu... On avait aussi un guidon : un manche en bois avec un drapeau rouge... On appuyait dessus pour le mettre au vert et on le levait : le train pouvait partir... Ma mère faisait aussi les billets des vacanciers. Je l'entends encore : Lyon-Perrache ou les Brotteaux ? Elle organisait l'ensemble des trajets, avec les correspondances, pour le Portugal ou ailleurs avec le Chaix... Tous les mois, elle faisait ce qu'elle appelait ma fin de mois, et pendant deux ou trois jours, parfois la nuit, elle faisait les comptes dans le grand registre où elle marquait tout ce qu'elle vendait... »

Arrive mai 68. Charlotte réclame et obtient un jour de congé. Ce sera le dimanche... Orane se souvient que sa mère n'avait pas de vacances : « Quand elle voulait prendre un jour, elle payait son remplaçant... On avait droit à un voyage gratuit par an pour toute la famille, le reste du temps, on payait... Ce statut, c'était celui de toutes les femmes qui tenaient les gares des petits villages... A Lons ou Poligny, c'étaient des hommes... Je ne sais comment c'était sur le reste de la France, sans doute pareil... »

 

 

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