« Lune de miel » en Pologne

Un film drôle et triste, mélancolique, au ton léger pour évoquer des choses graves… « J’ai écrit après avoir fait ce voyage », confie la réalisatrice Elise Otzenberger, qui a tourné un film « plein de délicatesse », une expédition mélancolique sur les traces de sa famille.

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« Le film raconte une histoire qui m’est arrivée dans la vraie vie, cette invitation inattendue en Pologne sur les traces de nos familles, celle de mon mari et la mienne », racontait Elise Otzenberger, aux Rencontres du Cinéma de Gérardmer, où elle présentait en avant-première son premier long-métrage, « Lune de miel » (sortie le 12 juin). L’histoire d’un couple de Parisiens, Anna et Adam (incarnés par Judith Chemla et Arthur Igual), parti assister à une commémoration dans le cimetière juif d’un village polonais, à Zgierz, celui d’où est originaire leur famille.

Un voyage qu’ont réellement réalisé la réalisatrice et son mari trois semaines après leur mariage, d’où le titre du film, la Pologne étant effectivement un drôle d’endroit pour une « Lune de miel ». « Quand on a reçu l’invitation, on n’a pas hésité, on s’est dit que c’était un signal fort, c’est une question qui m’agitait pas mal, je n’étais pas très optimiste sur ce qu’on allait trouver », précise Elise Otzenberger. « J’ai écrit après avoir fait ce voyage, l’idée de raconter cette histoire est devenue nécessaire et évidente. Il y a de l’invention et de la fiction, mais il y a des éléments qu’il était important de respecter ».

« Il y a une tradition d’antisémitisme en Pologne »

Sur place, le couple ne vit pas cette expédition de la même façon : Anna se « sent polonaise » et se convainc elle-même de ressentir des sensations dans le pays de ses ancêtres. Adam a juste froid. « J’ai épousé un juif antisémite », dit-elle. « J’ai épousé Rabbi Jacob », répond-il. Tous deux sont heurtés par ce Shoah Tour organisé comme une attraction pour touristes, les vrais-faux restaurants juifs « typiques », des étoiles juives et croix gammées vendues parmi les souvenirs… « La commercialisation de cette chose-là n’y pose pas de problèmes, évidemment c’est très choquant », constate la réalisatrice. « Il y a une tradition d’antisémitisme indéniable en Pologne, c’est aussi un drôle de pays, par rapport à leur propre identité, c’est un pays catholique, très traditionnaliste ».

« J’ai été élevée dans une famille pas du tout religieuse », précise Elise Otzenberger, qui fut actrice avant de passer à l’écriture, puis à la réalisation de ce film « plein de délicatesse ». Cette « Lune de miel » est un voyage drôle et triste, une quête mélancolique, au ton léger pour évoquer des choses graves, qui doit beaucoup à ses comédiens (dont Brigitte Roüan, Isabelle Candelier, Antoine Chappey, André Wilms), et en particulier à Judith Chemla. « Je savais qu’elle avait cette fantaisie, c’est une actrice rare, je la trouve tellement émouvante », dit la réalisatrice, « Je voulais des acteurs qui aient de la fantaisie mais qui puissent incarner aussi bien la comédie que le drame, je voulais que ce couple soit amusant, fantaisiste, j’ai l’impression que notre génération arrive plus à prendre du recul. Nous sommes tellement traversés mon mari et moi par cette histoire, il y a une fatalité amusante, on peut rire de cette logique implacable ».

« Mes grands-mères sont arrivées de Pologne et de Roumanie »

Le fantasme d’Anne sur la Pologne se confronte ainsi à la triste réalité, un emplacement vide dans une rue, là où était jadis la maison de ses ancêtres, ces pierres tombales volées pour bâtir la terrasse d’une maison voisine du cimetière, cet oubli, cet effacement du passé, et ce silence dans les familles où les victimes n’ont jamais rien dit, rien raconté. « Il y a beaucoup d’exemples dans la génération de mes parents pour qui c’était très difficile de questionner leurs parents. Mes deux grands-mères sont arrivées de Pologne et de Roumanie, elles fuyaient l’antisémitisme, ma famille polonaise a fui les pogroms », raconte Elise Otzenberger, « Et puis pour ceux qui sont revenus, il y a l’immense culpabilité d’avoir survécu, on leur demandait de se taire ».

C’est aussi pour cela que « Lune de miel » est un film « nécessaire », mais Elise Otzenberger a su raconter cette histoire avec douceur et fantaisie.

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