Lumières d’Afrique : les comptes obscurs d’un festival

Pas d'assemblée générale pendant trois ans, rapports financiers incomplets, statuts contournés... Les critiques internes de la gestion de l'Association pour la promotion des arts et des cultures d'Afrique ont été adressées aux financeurs publics. Seule la ville de Besançon a réagi...

lumieredafrique

Une dizaine de membres de l'Association pour la promotion des arts et des cultures d'Afrique, dont la manifestation phare est le festival de cinéma Lumières d'Afrique, mettent en cause la gestion de l'ancien président, Gérard Marion. Passionné par le Cameroun, cet énergique cadre de banque est l'emblématique cheville ouvrière de l'événement. Lors de la dernière assemblée générale, le 5 mai, il a abandonné la présidence après 10 ans de mandat, et est désormais vice-président tout en demeurant directeur du festival.

Les « dissidents » ont expliqué dans un communiqué les raisons de leur désengagement de l'édition 2014 qui s'est tenue du 8 au 16 novembre. Co-fondateurs de l'association pour les uns, programmateurs de compétitions du festival pour certains, tous bénévoles, ils indiquent notamment que « le fonctionnement de l'APACA ne correspond plus aux règles de la vie associative » et est « devenu non démocratique ». Outre la non tenue de l'assemblée générale en 2012 et 2013, ils affirment que celle du 5 mai 2014 a réélu des administrateurs au-delà de la limite de trois mandats de trois ans stipulée dans les statuts, et pointent un « dysfonctionnement accompagné d'une gestion financière incontrôlable et de décisions autocratiques ».

« C'est du ramassis, de la délation »

Gérard Marion que nous avons eu au téléphone, balaie ces griefs avec véhémence : « c'est du ramassis, de la délation », et renvoie vers la présidente élue le 5 mai, Raoudha Kacem, une biochimiste chargée de recherche à l'université qui a été secrétaire générale du festival tunisien des Nuits cinématographiques de Nabeuf. Nous n'avons pas réussi à la joindre. Selon certains témoignages, elle n'est pas intervenue lors de l'assemblée générale qu'elle a suivie du fond de la salle.

Ce n'est certes pas la gestion de la nouvelle présidente que contestent les dissidents mais celle de Gérard Marion. « Peu importe, dit-il, je ne veux pas entrer dans la polémique. S'ils contestent, ils n'avaient qu'à aller au tribunal administratif dans le mois qui suit l'AG ». La juridiction compétente serait plutôt le tribunal de grande instance, mais passons. Pourquoi n'y a-t-il eu ni AG ni présentation des comptes par le trésorier en 2012 et 2013 ? « On n'a jamais caché à nos partenaires la situation, il n'y avait plus de trésorier », dit Gérard Marion.

Pourquoi lors de l'assemblée générale du 5 mai, l'élection des administrateurs s'est-elle faite au scrutin de liste bloquée, excluant les opposants, alors que les statuts ne prévoient pas cette procédure ? Réponse : « c'est la vie interne de l'association... Je ne suis ni Poutine, ni despote, je connais la démocratie, je suis issu du scoutisme ».

Les contestataires : des lanceurs d'alerte ?
Chantal Barbier, psychiatre retraitée, membre du comité de sélection de documentaires du festival Lumières d'Afrtique,
Josette-Alice Bos, documentariste retraitée, coordinatrice du comité de sélection des documentaires,
Chantal Commerçon, professeur d'économie retraitée, membre du comité de sélection des documentaires,
Philippe Garnier, professeur d'anglais, coordinateur du comité de sélection des courts-métrages de fiction,
Paulette Kaba, institutrice retraitée, membre de l'équipe Afrimômes,
Myriam Nielsen, professeur de français langues étrangères au CLA, membre du comité de sélection des longs métrages de fiction, responsable de l'équipe des bénévoles,
Yves Rollet, directeur d'une fédération d'éducation populaire retraité, sympathisant de l'APACA et du festival,
Bernadette Rouvre, gestionnaire ressources humaines, membre du comité de sélection des longs métrages de fiction, responsable de l'équipe des bénévoles,
Michèle Tatu, fondatrice du jury lycéens et apprentis au cinéma, critique de cinéma (collaboratrice de Factuel.info, elle n'a pas souhaité nous parler de ce dossier pour éviter le conflit d'intérêts),
Michèle Tranchier, restauratrice retraitée,
Simonne Vermot, psychologue retraitée, ancienne bénévole du festival.

La ville « dorénavant vigilante »

Cette ligne de défense consistant à contre-attaquer vigoureusement ne peut faire oublier que l'un des financeurs de l'association, dont le budget est constitué de diverses subventions publiques à plus de 70%, ne trouve pas infondées les questions soulevées par les dissidents. L'adjoint à la Culture de Besançon, Patrick Bontemps, a ainsi écrit à la présidente que « la Ville ne peut pas rester indifférente aux critiques ouvertement formulées par un nombre représentatif d'adhérents, en particulier quand elles portent sur les orientations artistiques et culturelles du projet, et sur la place accordée aux adhérents dans le fonctionnement de l'association. Nous serons dorénavant vigilants sur ces deux points lors de l'instruction des dossiers de demande de subvention».

Cette réaction est bien le minimum quand on lit le dossier, que Factuel s'est procuré, adressé par les contestataires aux financeurs publics et à Gérard Marion le 12 mai, soit une semaine après l'AG. Outre la ville de Besançon et la communauté d'agglomération, il s'agit du Conseil général du Doubs, du Conseil régional, de l'Etat au titre des affaires culturelles (DRAC), et de l'Agence pour l'égalité des chances et la cohésion sociale (ACSE) et du ministère de la Culture... La fondation BNP-Paribas et le diocèse ont aussi financé l'APACA.

Le document liste pas moins de dix huit « décisions illégales et irrégularités ». Il signale que l'AG a été « imposée » par ceux qui n'étaient pas encore contestataires et sont à l'origine de la tenue, les 17 janvier, 10 février et 17 mars, de trois réunions préalables, dont deux en présence de Gérard Marion, pour tenter de « comprendre la nature et l'origine des dysfonctionnements » et leur « trouver des solutions » afin de « permettre au festival de se développer au mieux ».

Les décisions contestées
De l'absence de registre spécial à celle des bilans dans les raports financiers, les opposants estiment que près d'une vingtaine de décisions sont irrégulières.
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Le turn-over des bénévoles

Ces trois réunions faisant suite à une orageuse réunion-bilan du festival 2013, le 16 décembre, au cours de laquelle Gérard Marion s'est notamment entendu reprocher d'avoir « accaparé » le festival. Son management des bénévoles est également mis sur la sellette, mais aussi l'absence de compte-rendus, de bilans, d'échanges sur les choix et les orientations. On y évoque « l'énorme turn-over » des bénévoles, pas toujours adhérents de l'APACA, les « attitudes désagréables, méprisantes, opportunistes de certains membres de l'association », la « coquille vide » de l'APACA qui depuis janvier 2011 « ne tient plus d'AG, n'a plus de trésorier depuis quatre ans, ne présente plus de bilan annuel ni rapport d'activité, moral ou financier, n'a plus de bureau, plus de CA... »

L'APACA a eu un exercice 2011 légèrement positif avec un excédent de 639 euros pour un budget de 49.065 euros financé à hauteur de 37.500 euros par diverses subventions publiques, voire 2041 euros de plus si l'on compte le CNASEA. La valorisation du bénévolat est estimés à 26.738 euros.
Mais en 2012, l'APACA a enregistré un déficit de 3514 euros sur un budget de 51.656 euros dont dont 33.000 euros d'argent public. Le déficit est de 2408 euros en 2013 pour un budget de 53.262 euros, financé à 31.043 euros par les subventions.
Faute d'un bilan, on ne peut pas savoir quelle est l'incidence de ces pertes sur les comptes de l'association.

Toucher le fond permettant parfois de rebondir, ces réunions de crise débouchent sur plusieurs propositions relatives au fonctionnement formel de l'APACA : diffusion des compte-rendu, démarches collégiales, courtoisie des relations, efficacité de l'organisation, contrôle des frais de mission... On envisage de renforcer le comité de sélection des longs métrages de fiction. Gérard Marion s'oppose à l'idée de transformer le prix du jury Signis, exclusivement catholique, en jury inter-religieux. « Signis est dans 35 festivals, pourquoi pas Besançon », nous dit-il avec passion. Certaines pistes demandent confirmation, comme « renvoyer vers l'APACA les activités ne relevant pas du festival de cinéma », créer un prix « coup de cœur du public incluant documentaires et courts-métrages », rebaptiser les prix pour davantage de clarté, recentrer le festival sur les compétitions et les invitations de réalisateurs...

Une prochaine AG pour modifier les statuts

On décide surtout de l'urgence de convoquer une nouvelle assemblée générale destinée à relégitimer la gouvernance de l'APACA. Le principe d'un « comité de concertation et de décision chargé de réfléchir aux orientations du festival, définir ses priorité et prendre collégialement les décisions nécessaires à son fonctionnement » est adopté. Il permettrait à Gérard Marion, mentionne le compte-rendu, « de se trouver soutenu dans les tâches qui lui incombent, de réfléchir et prendre les décisions avec l'équipe du festival et non plus tout seul ».

Lors de l'AG qui se tiendra le 5 mai, les choses se passeront différemment. De nouveaux administrateurs sont proposés par Gérard Marion, lui-même réélu alors qu'inéligible selon les statuts. Le scrutin de liste qu'il a proposé est finalement ouvert à tous, et un « dissident » est élu avant de démissionner quelques jours plus tard. La suite, c'est le dossier envoyé le 12 mai aux différents financeurs publics de l'APACA. La prochaine étape, c'est une assemblée générale extraordinaire le 9 décembre pour modifier les statuts...

La réaction d'un adhérent de base de l'APACA
La première version de cet article indiquait dans le dernier paragraphe qu'il y avait eu un scrutin de liste auquel les dissidents n'ont pas participé. C'est inexact. Jean-Pierre Cattelain, adhérent de l'association, nous a signalé cette erreur qu'il importait de corriger, ce qui a été fait le 2 décembre à 19h43.
Voici ce qu'il nous a écrit :
« Je souhaite, en tant que membre (de base) de l'APACA, non pas entrer dans la polémique, mais apporter des rectifications (mineures il est vrai) à l'article sur cette association.
1/ Il est exact que l'APACA n'a pas tenu d'AG régulière ni présenté de comptes en règle pendant plus de 2 ans. La faute à Gérard Marion? Peut-être, mais surtout à la passivité des membres (tous, y compris moi-même, y compris les contestataires) qui ont laissé pourrir une situation où il n'y avait plus de trésorier, par ex. Facile, ensuite, de crier à la dictature...
2/ Il est écrit que l'élection d'un nouveau CA lors de l'AG du 5 mai dernier a eu lieu au scrutin de liste. C'est faux: cela avait été proposé par le président sortant, mais finalement le scrutin a été ouvert à tous les membres. Il est écrit aussi que les "lanceurs d'alerte" ont renoncé à se présenter à cette élection; en fait, plusieurs d'entre eux se sont bien présentés; une seule personne a été élue, et a démissionné quelques jours plus tard.
3/ Enfin, s'il est évident que le Festival "Lumières d'Afrique" constitue l'évènement phare organisé par l'APACA, ce n'est pas le seul: des évènements plus modestes au fil de l'année sont (co-)organisés pour mettre en valeur les cultures et les arts africains. »

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