Le premier film que Louis Garrel a réalisé, « Les deux amis », était inspiré de Musset ; sa nouvelle réalisation, « L’homme fidèle » (sortie le 26 décembre), est inspiré de « La seconde surprise de l’amour » de Marivaux. « J’étais mauvais élève à l’école, j’essaie de me rattraper quand je fais des films ; j’aime bien prendre des arguments classiques et les retourner dans tous les sens, au final il ne reste pas grand-chose de Marivaux, juste deux idées de personnages, une veuve et un homme qui vient de se faire quitter », confie l’acteur-réalisateur, au crâne rasé pour incarner le colonel Dreyfus dans le film de Roman Polanski qu’il tourne actuellement, « J’accuse ».
« Les deux amis » étaient amoureux de la même femme, cette fois deux femmes sont amoureuses du même « Homme fidèle », Abel, que joue Louis Garrel. « C’est une histoire de tous les jours, le thème est ordinaire », dit-il, « C’est pour cela que je suis allé voir Jean-Claude, le conteur indien ». Jean-Claude Carrière, prestigieux romancier et scénariste, qui a écrit plus de cent films, notamment pour Luis Bunuel, Milos Forman, et tant d’autres. « Travailler avec Louis m’a rappelé mes tous débuts avec Pierre Etaix, d’avoir en face de soi l’interprète principal et le metteur en scène, c’est formidable, parce qu’un scénario ce n’est jamais que la recherche d’un film, on n’a pas les images, pas les décors », confie Carrière.
L’histoire que ces deux-là ont imaginée commence par une rupture : Marianne (jouée par Laetitia Casta, épouse de Louis Garrel) annonce brutalement à Abel qu’elle est enceinte, que le bébé n’est pas de lui, et qu’il peut partir, ce qu’il fait. Dix ans plus tard, Marianne devenue mère et veuve reprend son Abel qu’elle pousse dans les bras de la jeune Eve (interprétée par Lily-Rose Depp), sûre qu’il lui reviendra ensuite.
A qui, à quoi, est donc fidèle cet homme qui ne décide rien, ni avec qui il couche, ni ce qu’il va manger au restaurant ? « Il est fidèle à Marianne même quand elle lui demande d’être infidèle », répond Garrel. « Au départ, il y avait l’idée de l’homme indécis, qui aimait bien qu’on prenne les décisions pour lui », ajoute Jean-Claude Carrière, « Il est fidèle à lui-même, il ne change pas, il est quand même un bon garçon, il n’est pas quelqu’un de méchant, de pervers, quand on définit un personnage il faut aussi éliminer ce qu’on n’aime pas chez lui, en fait c’est un pur, il ne fait rien qu’il pourrait se reprocher ».
Malgré un soupçon de polar et quelques petites touches burlesques, il ne se passe pas grand-chose d’autre qu’une mini-intrigue sentimentale avec « trois personnages classiques », dans un Paris étrangement vide. On a du mal à se sentir concerné par le marivaudage suranné de ce « film de chambre », qui fait référence à un cinéma de papa, son père, le cinéaste Philippe Garrel (« L’enfant secret », « J’entends plus la guitare », « Les amants réguliers »…) : « J’ai une réputation de Parisien avec un cinéma d’entre-soi », sait bien Louis Garrel.
Serait-il nostalgique d’un certain cinéma du passé ? « Nostalgie non, mais c’est vrai qu’il y a une affection », répond-il, « Autant je peux être très admiratif de Godard, mais il est trop moderne pour moi, comme spectateur j’adore ça, mais comme metteur en scène je suis beaucoup plus classique dans la narration, il est inimitable », dit l’acteur de ce Jean-Luc Godard qu’il a brillamment incarné dans « Le redoutable » de Michel Hazanavicius.
De son personnage, Lily-Rose Depp (fille de Johnny Depp et Vanessa Paradis) a dit « C’est moi ». « Elle a exactement l’âge du personnage, j’ai eu l’impression que le film l’a regardé grandir, à la fin elle m’a fait une confession, elle m’a dit qu’elle avait beaucoup changé après avoir joué ce rôle, je crois que ça l’a aidé dans son intimité, bizarrement, comme si elle avait mis quelque chose à distance », raconte Louis Garrel. « C’est elle le personnage principal », ajoute Jean-Claude Carrière, « Elle cesse d’être une petite fille quand elle réalise qu’elle a eu ce qu’elle voulait, et que ce n’est pas ça qu’elle voulait, elle devient adulte ».
Laetitia Casta : « Je ne m’attendais pas à faire une carrière »
« Ça ne s’arrêtait jamais entre le plateau et la maison, jamais », sourit Laetitia Casta, en évoquant le tournage de « L’homme fidèle » et les nombreuses répétitions demandées par son mari, Louis Garrel. Rencontre, à l’Hôtel de Sers à Paris, avec l’élégante actrice (pantalon noir, pull rouge moulant, talons aiguilles), à la petite voix et au regard direct.
En écrivant votre personnage, Jean-Claude Carrière dit qu’il a pensé à Athéna…
Laetitia Casta : Athéna est un personnage que j’adore, j’aime beaucoup la mythologie grecque, ma fille s’appelle Athéna. Ce qui est intéressant c’est que c’est la protectrice des agriculteurs, des guerriers, mais pas pour la guerre, on a cette vision d’Athéna la guerrière, mais pas du tout, elle protège la justice, elle protège les artistes aussi, il y a quelque chose de très maternant chez Athéna. Elle est extrêmement indépendante, c’est un joli personnage.
Est-ce que vous auriez pu refuser de jouer dans le film de Louis ?
Oui, tout à fait. J’ai toujours fait des choix qui aient une signification pour moi, ce n’est pas rendre service à l’autre si je ne suis pas à cent pour cent dedans. Quand on fait des choix avec le cœur, même si ça ne fonctionne pas toujours, il se passe quand même quelque chose d’intéressant. Louis Garrel et Jean-Claude Carrière ont écrit un magnifique scénario, mais avec quand même très peu de texte, très intellectuel, on pose des questions sur la vie et on n’y répond pas. C’est pour ça que je me suis posée la question, est-ce que je vais y arriver ? Oui, j’ai réfléchi, je me suis demandée comment j’allais faire, c’est comme si on m’avait donné la carcasse, une belle carcasse, une très belle écriture, un personnage mystérieux, très intéressant, mais il fallait mettre de la chair dedans, il fallait que ce soit réel, il fallait qu’elle soit aussi fragile, Marianne, crédible, que ce ne soit pas quelque chose de trop dur, extérieur, théorique, il ne fallait pas que cette Marianne reste trop froide.
Après Marianne la Parisienne, on va vous voir dans un rôle complètement différent, une paysanne du XIXème siècle dans le film de Niels Tavernier, « L’incroyable histoire du facteur Cheval » (sortie le 16 janvier 2019). Qu’est-ce qui vous attirait dans le personnage de Philomène, l’épouse du célèbre facteur ?
Au fond, il y une similitude, c’est le rapport vrai à l’autre. Philomène est dans un amour inconditionnel, elle regarde l’autre, elle le reconnait, c’est une femme visionnaire. Elle n’a pas de problème à être à la place où elle est, elle dirige la maison, elle s’occupe du potager, elle coupe le bois… Je me suis inspirée de mes grands-mères, j’ai admiré ces femmes, fortes, qui vivaient au rythme des saisons, qui s’occupaient des enfants, des champs, des femmes en phase. Si j’avais lu et interprété Philomène au premier degré, ça aurait pu devenir une femme qui s’énerve sur son mari, qui subit, alors que si je décide d’amener la chose vers quelque chose d’absolu et de mystique, ça devient plus grand et plus large.
Ce sont des femmes qui font penser au titre du film de Raoul Ruiz, « Les âmes fortes », un de vos premiers rôles au cinéma…
Je ne m’en rendais pas compte à ce moment-là, je n’avais que dix-neuf ans, mais Raoul Ruiz m’a dit des choses que je n’ai pas forcément comprises tout de suite et qui m’ont suivie par la suite. J’ai rencontré quelques personnes qui ont été très accompagnateurs dans mon travail, très formateurs. Je m’étais vexée à l’époque, il trouvait formidable d’avoir soixante expressions sur mon visage, je trouvais que n’était pas beaucoup, je ne me rendais pas compte, je ne comprenais pas de quoi il parlait, pour moi, un acteur ça vit, ça bouge. Il m’avait vu défiler, c’était mon deuxième film, il m’avait dit : Tu marches comme une paysanne. Il a perçu là d’où je venais, malgré les apparences, malgré le glamour, il a eu cette fantaisie d’aller voir autre chose derrière, j’ai eu beaucoup de chance de le rencontrer, c’était un homme cultivé, généreux.
Une démarche de campagnarde qui vous a donc servi pour le « Facteur Cheval » ?
C’est marrant, parce que les producteurs se demandaient si j’allais être capable de faire une paysanne, des idées préconçues ; en fait, je viens de là, je ne me suis pas posée la question, je suis plutôt physique dans ma manière de préparer les rôles, je ne suis pas du tout intello, pas cérébrale, j’aime toucher mes rôles comme ça.
Vous pensez qu’il y a un décalage entre l’image que les gens ont de vous et ce que vous êtes réellement ?
Les gens perçoivent ce que vous faites dans le travail, même le public, ils le reçoivent, je suis sidérée, c’est très encourageant. Tant qu’on peut être vraie dans les images, on ne peut pas tant cacher. J’ai moins peur d’aller vers les autres peut-être, de me montrer, il y a un truc qui s‘ouvre, au fur et à mesure des rôles je suis plus en phase, j’assume plus. Quand vous voulez faire du cinéma pour être connu ou avoir de l’argent, ça ne marche pas ; il faut prendre le risque de ne pas être payée parfois et faire de beaux rôles, je remercie les réalisateurs de me prendre, c’est aimer ça qui fait que, oui ça a été long, mais je ne m’attendais pas à faire une carrière.
« Gérard Depardieu a été très important pour moi »
Avec Raoul Ruiz, quelles autres personnes vous ont marqué au cinéma ?
Le premier qui m’a marqué c’est Gérard Depardieu, qui a été très important pour moi, je venais jouer, m’amuser, je ne pensais pas que j’allais faire du cinéma, et en le regardant, je le voyais s’amuser en jouant, libre, avec une âme d’enfant, je me suis dit mais on peut garder ça ? Il m’a donné le goût, il m’a donné l’envie, il a fait beaucoup pour moi.
Et vous l’avez gardée votre âme d’enfant ?
J’essaie, je trouve que c’est important.
Pour une série qui sera diffusée sur Arte, « Une île », vous jouez une sirène ?
Oui, mais ce n’est pas du tout la sirène que vous imaginez. C’est un projet fantastique, avec Sergi Lopez, un discours assez écologique. C’est une sirène qui revient sur terre dans une île, un village de pêcheurs, où on a massacré toutes les sirènes, massacré la mer, elle revient et elle va tuer ces hommes, elle va vouloir récupérer la dernière sirène qui a été recueillie quand elle était toute petite et a grandi parmi les humains. Mon personnage est une meurtrière, elle viole les hommes, elle aspire leur âme, elle lit dans leur pensée.
Est-ce que vous allez refaire du théâtre, où vous avez notamment joué « Scènes de la vie conjugale » d’après Ingmar Bergman, avec Raphaël Personnaz ?
J’aime beaucoup le théâtre, j’aimerais bien. C’était très intense, c’était un déchirement chaque soir, on l’a jouée deux cent fois. C’était tellement minimaliste, on était obligé d’aller chercher des choses, c’était gratifiant mais en même temps épuisant. Quand vous partez sur un projet, ça dure deux ans, entre les répétitions, la pièce qu’on joue à Paris et la tournée, il faut vraiment choisir quelque chose qui vous porte. Il y a du danger au théâtre, du risque, du public, on se jette quand même dans le vide, c’est fort pour un comédien, alors qu’il y a un certain confort au cinéma.