« Leto », dernier été avant la perestroïka

Désormais assigné à résidence, le cinéaste russe Kirill Serebrennikov consacre un film aussi énergique que romantique à la scène musicale de Leningrad des années 1980. Sortie le 5 décembre.

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La semaine dernière à l’Arena parisienne, Paul McCartney faisait chanter le public français avec de bons vieux tubes des Beatles, dont Back in USSR. « Leto », le film de Kirill Serebrennikov (sortie le 5 décembre), nous ramène en URSS dans les années 1980, à Leningrad où émergeait alors un rock russe qui a pour nous quelque chose « d’étrange et parfois exotique ».

Serebrennikov ne subit pas encore le sort de son collègue cinéaste russe Oleg Sentsov, qui a arrêté sa grève de la faim, mais est toujours emprisonné. Cependant, le metteur-en-scène a connu des perquisitions en mai 2017, à son domicile et au Gogol Center, théâtre dont il est le directeur artistique ; accusé de détournement de fonds, il était arrêté le 23 août 2017 sur le plateau de « Leto » alors en tournage, est assigné à résidence depuis, avec interdiction de communiquer.

Le 17 octobre 2018 a débuté le procès de cet artiste dont les œuvres, théâtre et cinéma, ont été présentées dans les plus grands festivals internationaux, de Venise à Avignon, ou Cannes où « Leto » était sélectionné en compétition.

Les influences de « l’ennemi idéologique »

« Leto », c’est « l’été », le dernier été avant la perestroïka. Celui de la rencontre entre un rocker qui a déjà une certaine notoriété, Mike Naumenko (incarné par l’acteur et chanteur Roma Zwer) créateur du groupe Zoopark, et un jeune musicien, Vitkor Tsoï (interprété par Teo Yoo), qui débute alors sur la scène rock. Tous les deux vont devenir ensuite des icônes, avec son groupe Kino, Vitkor Tsoï sera « la plus grande figure du rock russe » et meurt dans un accident de voiture en 1990, Mike Naumenko mourra quant à lui en 1991. 

Entre les deux hommes, la belle Natacha (jouée par Irina Starshenbaum), le film s’inspirant en partie de ses mémoires, est l’épouse de Mike et s’autoriserait bien une amourette avec Viktor. S’il reprend un schéma assez classique du triangle amoureux, le principal intérêt du film est ailleurs, dans cette musique qui se faisait et résonnait de l’autre côté du rideau de fer, tout en absorbant les influences de « l’ennemi idéologique », la culture rock occidentale, notamment David Bowie et le Velvet Underground de Lou Reed.

Le Rock Club de Leningrad était sous le contrôle des autorités, les textes des chansons soumis à une censure préalable, et l’enthousiasme des spectateurs modéré dans la salle. Mais c’était sans compter avec le pouvoir subversif du rock, et l’irrépressible besoin d’une jeunesse de faire de la musique, de s’exprimer, de chanter sa vie et ses douleurs.

« Une culture qui est inacceptable à un niveau officiel »

Attiré par « l’innocence et la pureté » de cette histoire, Kirill Serebrennikov a reconstitué « une époque brute et alternative » dans une image noir-et-blanc esthétique, s’échappant avec de réjouissantes séquences musicales et graphiques (dont « Perfect day » de Lou Reed). « Film sur le rock, l’amour et l’amitié », il y a du romantisme et de l’énergie dans « Leto », les vibrations d’une décennie, l’histoire d’une génération insouciante, et le souffle d’une époque.

Le tout « dans un climat totalement hostile à la musique rock et aux influences occidentales, mais qui fut malgré tout le creuset de l’émergence d’une nouvelle vague rock en URSS », écrivait Serebrennikov en 2017, dans une note d’intention avant le tournage. Le cinéaste est bien placé pour constater que le climat est tout autant « hostile » aujourd’hui à la création et à la culture : « Je peux facilement m’identifier à nos héros et comprendre leurs motivations, leurs obstacles », poursuivait l’artiste dont la liberté de ton dérange Poutine et ses amis.

« Malgré notre environnement lourdement politisé, nous créons un théâtre moderne, anti-officiel, qui peut aussi être perçu comme un mouvement », écrivait encore Serebrennikov, « Nous donnons vie à une culture qui est inacceptable à un niveau officiel, dans les codes culturels de notre gouvernement exactement dans la même manière que le Leningrad du début des années 80 n’était ni le lieu ni le moment pour une culture rock en URSS ». Il semble que 2018 ne soit pas plus le lieu ni le moment pour une culture libre en Russie.

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