Les rêves cinématographiés de l’Amérique latine

Le sixième Festival Latino corazón de Besançon démarre lundi 1er décembre. A l’affiche six films récents évoquent l’Amérique latine d’aujourd’hui, sa souffrance, ses rêves, sa mémoire et son quotidien…

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Depuis une dizaine d’année les cinémas latino-américains ont retrouvé une visibilité dans les cinématographies mondiales. Ce cinéma aussi ancien que celui d’Hollywood, s’est pourtant écrit au fil de l’histoire avec de grands noms à l’instar de l’école mexicaine fondée par Eisenstein. En effet le cinéaste russe avait tourné 70.000 mètres de pellicule qui devaient relater l’histoire du Mexique de 1910 à 1930. Confisqué au moment du tournage Que Viva Mexico ! reviendra en Russie après la mort du cinéaste avec de nombreux plans manquants (15.000 mètres). Visé par la censure dès ses débuts, le cinéma latino-américain sera au cœur des tourments historiques et politiques d’Amérique Latine.

Le programme sur le blog du festival ici.

Vers le cinéma novo

Au Mexique, le cinéma est déjà d’un très bon niveau technique et artistique avant la deuxième guerre mondiale, mais c’est avec l’avènement de la comedia ranchera, sous-titrée en anglais en 1936 que commence vraiment ce qu’on a appelé l’Age d’or du cinéma mexicain et l’essor de l’industrie cinématographique.

Exilé au Mexique en 1947, Luis Bunuel est remarqué avec  Los Olvidados  (Prix de la mise en scène à Cannes en 1951), film suivi par La Vie criminelle d’Archibald de la Cruz  (1955) et Navarin (1958).
Les thématiques de la violence urbaine et de la corruption donneront un nouvel élan au cinéma à partir des années 90. Les films Amours chienne (2000) de Alexandro Inatrritu Gonzalès,  et Japon  (2002), Batallas in ciel (2005)  et Post tenebras lux (2013) de Carlos Reygadas présentés à Cannes révèlent de nouveaux univers teintés de lyrisme

En moto avec le Che

Au Brésil, c’est le cinéma Novo en 1950 et le renouveau du cinéma brésilien dans les années 90 qui révéleront de grandes œuvres : Orfeu Negro de Marcel Camus (Palme d’or à Cannes en 1959), Terre en transe de Glauber Rocha (1967) Central to Brasil de Walter Sales (1998), Carnet de Voyages (2003), découverte insolite de l’Amérique Latine à moto en compagnie du jeune Che Guevara et La Cité de Dieu de Mereilles et Lund en 2002.

En Argentine, le cinéma documentaire se développe avec Fernando Pino Solanas, figure de l’engagement politique. Son cinéma va constituer la mémoire historique de cette cinématographie avec la thématique de la dictature, des disparus, le Péronisme et l’exil : La Hora de los Hornos  documentaire tourné en 1958 dénonce la violence et le néo-colonialisme en Amérique Latine. L’Histoire officielle de Luis Puenzo (1985), premier film de fiction, met en scène les Grands-mères de la place de Mai et les bébés d’opposants séquestrés en Argentine sous la dictature militaire (1976-1983).

Dans le Chili des années 80 dirigé par le Général Pinochet, le cinéma est bâillonné ; un cinéma d’exil apparaît à l’instar du Cas Pinochet en 2001 et du très beau La Nostalgie de la lumière de Patricio Guzman en 2011. Il en est de même de Raoul Ruiz et de son film Trois Tristes tigres (1968), sur la déambulation d’un employé et de sa sœur à Santiago du Chili.

Dernièrement le cinéma chilien s’est fait connaître au-delà des frontières grâce à La Nana de Sebastian Silva qui ausculte la relation maître-esclave et NO de Pablo Lorrain les rapports entre la publicité et la politique, dans un Chili que rien ne peut guérir de son passé.

Films d’aujourd’hui…

Le Festival Latino Corazon né à Besançon en 2008 présente en partenariat avec l’Espace Scène Nationale six films récents. 700 scolaires sont inscrits à ces projections.

Pour sa sixième cette édition, la programmation s’appuie à la fois sur la mémoire d’évènements historiques violents (Le Médecin de famille) et sur l’approche du présent comme la réalité urbaine dans Les Bruits de Recife. Avec toujours en toile de fond le contexte politique comme si ce cinéma ne pouvait se départir d’être là, comme une lumière vive pour éclairer le présent (Rêves d’or).

Alors qu’ils s’apprêtent à ouvrir une chambre d’hôte, une famille argentine reçoit comme premier client un homme très poli. Cet homme qui possède une très grande culture scientifique, va peu à peu se livrer à de curieuses expériences. Le Médecin de famille, film argentin de Lucia Puenzo montre comment au cours des années 60 en Patagonie, une famille va vivre sans le savoir avec Josef Mengele, l’un des plus grands criminels nazis.

L'eldorado nord américain...

Rêves d’or, film mexicain montre le trajet de trois jeunes du Guatémala fuyant leur pays pour atteindre les Etats-Unis. Dans ce premier film du mexicain Diego Quemada–Diez, les trois adolescents et l’équipe de tournage partagent la vie des migrants sur le toit d’un train de marchandise, les distributions de nourriture des paysans solidaires, le racket des gangs qui sont le quotidien de tous ceux qui remontent de l’Amérique centrale dans l’espoir de refaire leur vie dans l’eldorado nord-américain.

A la mort de son père, Daniele Incalcaterra a hérité de 5000 hectares de terre dans l’un des derniers espaces du monde à conquérir, le Chaco paraguayen. Elle décide redonner cette terre aux Indiens qui vivent là. Mais cette dernière terre vierge intéresse à plus d’un titre les investisseurs, compagnies pétrolières, cultivateur transgéniques, éleveurs. El Impenetrable mélange le western contemporain à des situations kafkaïennes

Le crime désorganisé...

Setubal, un quartier aisé de Recife, sur la côte brésilienne, semble être un lieu comme les autres où règne l’ennui. Pourtant à quelques pas de là des groupuscules sauvagement constitués s’affrontent. La ville est une des plus meurtrières du monde : « Le problème de Rio de Janeiro, c’est le crime organisé. Ici, c’est le crime désorganisé » expliquait le sociologue José Luis Ratton. Les Bruits de Recife de Kleber Mendonça Filho ne parviennent jamais à Setubal où l’on s’inquiète seulement pour la livraison tardive d’un écran de télévision ou les aboiements du chien du voisin.

Point d’orgue de cette programmation, La Danza de la Realidad d’Alexandro Jodorowsky, un film monument du cinéaste qui fut l’auteur de La Montagne sacrée censuré en 1970 au Chili.

L'ombre de la dictature chilienne

Avec ce film, le cinéaste revient sur son enfance dans les années 30 et nous propose une danse avec la réalité où l’on croise de curieux personnages comme cet homme qui vend de la lingerie féminine et voudrait débarrasser le pays du tyran qui opprime le Chili, ce prêtre qui dépose un tarentule dans la main d’un mendiant, ce vieillard qui creuse sa tombe et s’y enterre… A la fois univers foisonnant à la Bunuel doublé d’une insolence à la Fellini, le film est pourtant inclassable, un mélange de réalité et de folie, de violence et de liberté… Avec entre les images, l’ombre douloureuse de la dictature chilienne.

Cette semaine consacrée au cinéma latino-américain s’ouvre sur un panorama d’œuvres significatives pour leur approche historique et l’appréhension de la réalité quotidienne, sociale et politique de l’Amérique latine aujourd’hui : cinéastes de père en fille, Luis Puenzo, dans L’Histoire Officielle et Lucia dans Le Médecin de famille poursuivent la dénonciation de la dictature en Argentine.

Montrer les films, c’est inviter les spectateurs à débattre et à s’interroger sur ce qui, au fil du temps, constitue la vie des femmes et des hommes dans leur quotidien, dans la terreur et la nostalgie de la beauté.

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