La Ligue des droits de l'homme avait formé un recours contre un arrêté du préfet du Jura interdisant l'accès aux forêts et sentiers de randonnée… Il en a pris un second qui précise qu'on peut y aller dans un rayon d'un kilomètre du domicile. « Légal et totalement inutile », réagit Evelyne Sire-Marin, magistrat et conseillère juridique de la LDH qui évoque également d'autres décisions « baroques » ou l'usage « disproportionné » des drones, et s'inquiète des « mesures exceptionnelles sans aucun contre-pouvoir ».
Le préfet du Jura avait pris le 3 avril un arrêté interdisant l'accès aux plages, pistes cyclables, parcs, sentiers de randonnée et forêts jusqu'au 15 avril. Allant au-delà des dispositions nationales, ce texte avait été vivement contesté, notamment sur les réseaux sociaux. Cela avait conduit le représentant de l'Etat à préciser sur Facebook que sa décision n'empêchait pas d'aller en forêt ou sur les chemins dès lors qu'on restait dans le cadre de l'autorisation de sortie d'une heure par jour pour activités physiques dans un rayon d'un kilomètre autour de chez soi.
Les gendarmes auront-ils été convaincus qu'ils devaient davantage suivre les commentaires du préfet sur Facebook que la lettre de son arrêté ? Depuis le 15 avril, ils ne devraient plus se poser la question, puisqu'un nouvel arrêté, valable jusqu'au 11 mai, réitère les interdictions prononcées le 3 avril, mais cette fois en mentionnant la possibilité d'une « sortie quotidienne d'une heure dans un rayon d'un kilomètre du domicile ». Ce texte a, comme le précédent, été rédigé à la hâte, puisqu'il manque le mot « autour » avant « du domicile ». Il est surtout parfaitement inutile, puisqu'il dit la même chose que les dispositions nationales relatives au confinement et à ses dérogations.
La Ligue des droits de l'homme du Jura, qui avait formé un recours gracieux contre l'arrêté du 3 avril, aura donc été en partie suivie dans son argumentaire bien qu'elle n'ait pas reçu d'accusé de réception de sa démarche. Ailleurs, d'autres textes ont aussi outrepassé les décrets nationaux. Que penser par exemple de cet arrêté pris en Haute-Savoie interdisant de faire plus de 100 m de dénivelé ? Ce texte est notamment critiqué par des professionnels des activités de plein air de montagne dont certains représentants ont demandé une dérogation afin de pouvoir s'entraîner avant le 11 mai sur leurs terrains d'exercice, où le risque de propagation du virus est beaucoup plus faible que dans une grande surface, dans le but d'être prêts lorsqu'ils pourront retravailler.
Vers une surveillance généralisée ?
En matière de décisions allant au-delà des décrets, on songe aussi aux arrêtés municipaux restreignant les sorties ou édictant des obligations supplémentaires, que le Conseil d'Etat a sanctionnés, histoire de rappeler qui est le chef, mais aussi d'éviter la cacophonie et les règles changeant d'une commune à l'autre.
Que dire aussi des drones ? L'usage de ces engins, qui pourraient sembler des jouets pour apprentis gardiens de parc humain (pour reprendre le titre d'un ouvrage controversé du philosophe Peter Sloterdijk, père de l'anthropotechnique et de la domestication de l'être), pose des questions juridiques lourdes de sens pour les libertés publiques, au même titre, sinon davantage, que les réseaux de caméras de vidéo-surveillance ou de vidéo-protection. Selon Médiapart, le ministère de l'Intérieur indique qu'environ 400 drones sont en service dans la police et la gendarmerie, et plusieurs polices municipales.
Connus pour leur usage militaire, ils ont aussi été utilisés dans le suivi de la circulation routière, ont servi à surveiller la ZAD de Notre-Dame des Landes, et désormais les hauteurs d'Ornans ou les rives des lacs des Rousses ou de Chalain où leur mission est de prévenir de la présence de promeneurs les forces de l'ordre qui n'ont plus qu'à vérifier s'ils ont leur attestation… Dans certaines villes, des drones équipés de haut parleur diffusent des messages comminatoires du genre : « rentrez chez vous ! »
Problème, les drones ne luttent en rien contre l'épidémie, mais « servent avant tout à effrayer les gens », déclare à Médiapart Maryse Artiguelong, vice-présidente de la LDH. Et le ministère de l'Intérieur a lancé le 12 avril un appel d'offres pour en acquérir 650, expliquant à Libération que la commande n'a pas de lien avec la crise sanitaire....
C'est dans ce contexte où l'on semble assister à l'accélération de la mise en place d'une surveillance généralisée, que nous avons interrogé Evelyne Sire-Marin. Juge à la cour d'appel de Versailles, cette ancienne présidente du Syndicat de la magistrature a des attaches dans le Jura et milite à la Ligue des droits de l'homme où elle suit notamment les questions juridiques.
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