Les heures noires de la Roumanie

Peu importe si l’Histoire nous considère comme des barbares, film de Radu Jude sur les heures noires de la Roumanie dont l'armée commit en 1941 un massacre sur les Juifs d'Odessa, est présenté actuellement à Besançon ( Kursaal) avec le soutien de l’Association Franche-Sylvanie.

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Mariana Martin, metteure en scène de Théâtre, prépare un spectacle qui doit avoir lieu sur une grande place de Bucarest. Contre l’avis de la municipalité, commanditaire de la pièce, elle décide de mettre en scène un épisode du massacre des juifs à Odessa pendant la deuxième guerre mondiale. Ce crime fut perpétré par l’armée roumaine (qui occupait cette grande ville ukrainienne où vivait la plus importante communauté juive d'URSS) sur les ordres du tristement célèbre dirigeant nationaliste, Ion Antonescu (par ailleurs auteur de la phrase qui donne le titre au film).

A la question comment filmer le théâtre en train de se faire, le cinéaste use de véritables trouvailles ; pour les répétitions, il utilise le Musée national militaire de Bucarest où les figurants déambulent au milieu du matériel (armes et chars) témoin des conflits qui firent l’Histoire de la Roumanie.

Nationalisme et xénophobie

Ensuite, afin d’ancrer son propos dans le présent, le cinéaste fait quelques détours dans la vie intime de la metteure en scène ; elle est enceinte et ne sait pas si elle va garder l’enfant. On la voit dans sa vie privée avec son amant. Ce choix de se rapprocher de son personnage principal permet à Radu Jude d’inscrire le récit dans le présent de la Roumanie avec en arrière-plans le nationalisme et la xénophobie.

Par ailleurs Le film se nourrit aussi de documents d’archives à l’instar d’une scène d’exécution de juifs en Littuanie ou encore d’un l’extrait du film « Le Miroir » de Sergiu Nicolaescu, grande figure du cinéma nationaliste sous Ceausescu. Ce film de 1994 fut utilisé à sa sortie à des fins de propagande afin de réhabiliter le maréchal Antonescu. Les diverses archives sont assemblées grâce à un montage habile permettant au spectateur de confronter l’histoire officielle et l’histoire réelle de la Roumanie.

Nagasaki, mon amour...

Enfin, afin d’inscrire le film dans la Roumanie d’aujourd’hui, Mariana s’affronte verbalement avec le représentant de la municipalité chargé de vérifier si le propos de la pièce traverse le filtre de la censure. L’homme la drague tout en lui suggérant de « de ne pas faire peur aux enfants ». Mariana s’obstine et lui dit que la Roumanie est après l’Allemagne le pays qui a massacré le plus de juifs pendant la guerre. « C’est le grand problème de la Roumanie affirme l’élu, d’arriver toujours en deuxième. Personne ne se souvient du deuxième. Tout le monde se souvient d’Hiroshima mais personne de Nagasaki, mon amour ». Un humour noir s’installe et réveille subtilement les tempêtes de l’histoire. Avant le communisme, la Roumanie était une dictature fasciste et aujourd’hui le nationalisme et le populisme s’y déploient ainsi que la corruption.

L’humour noir, presque acerbe, permet au réalisateur d’avancer vers la fin du film, où la représentation théâtrale à Bucarest, se transforme en un regard tragique sur la Roumanie. Sans totalement la dévoiler, on sait qu‘en mettant en scène le massacre d’Odessa en 1941, Radu Jude dénonce l’antisémitisme et montre par un effet de miroir celui qui sévit aujourd’hui, au risque créer le trouble du spectateur. On sort du film abasourdi par cette mise en scène magistrale.

 

 

 

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