Les cinémas kurdes se rencontrent à Pontarlier

Le ciné-club Jacques-Becker innove en proposant de découvrir un territoire et différents cinéastes qui travaillent, créent en jouant à saute-frontière, deviennent réfugiés ou reviennent d'exil.

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Le ciné-club Jacques-Becker, habitué à présenter l’œuvre intégrale d’un seul cinéaste, propose pour cette 75è édition des Rencontres de croiser les regards de plusieurs réalisateurs sur le Kurdistan, tout en explorant l’œuvre de Hiner Saleem en sa présence. Ce qui permet aux spectateurs, à la lecture des films, d’avoir une réflexion sur une multiplicité de regards, et, de se recentrer ensuite sur l’œuvre très singulière d’un cinéaste.

Cette programmation consacrée aux cinémas kurdes révèle une situation géopolitique complexe. Tous les films s’emparent d’une histoire douloureuse où le tracé des frontières impose des limites en contradiction avec les aspirations des peuples.

Le programme et les horaires en cliquant .

Mardi soir, le film documentaire Der Imker (L’apiculteur) a fait l’ouverture de la manifestation : c’est l’histoire d’un homme qui a tout perdu dans sa patrie kurde, sa femme, deux de ses enfants et son demi-millier de colonies d’abeilles, sa subsistance. Après une longue odyssée, il se retrouve en Suisse et remet sa confiance dans l’apiculture.

Mano Khalil est né à Kamishly, Kurdistan-Syrie. A l’instar de son beau personnage d’apiculteur, il vit et travaille en Suisse.

Le ton de est donné. Lors de cette rencontre on parlera « d’un cinéma des Kurdistans : irakiens, iraniens, syriens ou turcs, ces territoires sont lieux de vie, lieux d’espérance, lieux de combat, lieux de culture et le septième art rend compte à sa manière de qui concerne l’humain en reliant ici et là-bas, l’histoire des personnes et l’Histoire » indique Patrick Colle, président du ciné-club.

La répression après l'accord de 1975 entre le shah d'Iran et Saddam Hussein

La programmation, véritable mosaïque, révèle - entre documentaires et fiction - la vie du peuple kurde. Ainsi, meurtres d’état impunis, film français de Suayip Adlig, met en lumière les crimes perpétrés par l’Etat turc envers la population kurde. Le temps de narcisses, de Masoud Arif Salih et Hussein Hassan Ali, montre comment la signature de l’accord d’Al-Geria de 1975, entre le Shah d’Iran et Saddam Hussein, marque le début d’une terrible répression contre les Kurdes de chaque côté de la frontière irano-irakienne. Les murmures du vent, film poétique du cinéaste irakien Shahram Alidi, donne à voir comment un postier utilise son métier dans les montagnes du Kurdistan pour transmettre des paroles et des sons enregistrés sur cassette. Dans Half moon de Bahman Ghobadi, un musicien renommé qui vit au Kurdistan iranien n’a pas eu le droit de donner un concert au Kurdistan irakien depuis la prise de pouvoir de Saddam Hussein. A la chute du régime, quand l’interdiction est levée, il retrouve sa musique. Dans Yol, la permission, de Ylmaz Güney, figure centrale du cinéma Turc (Palme d’or du festival de Cannes en 1982), cinq prisonniers de droit commun ayant purgé un tiers de leur peine, rendent visite à leurs proches dont la vie a été bouleversée par leur arrestation.

Hiner Saleem, le retour du cinéaste exilé

Hiner Saleem a fui la dictature de Saddam Hussein à l’âge de 17 ans. Il s’exile en Italie et revient dans son pays où il réalise avec un film intitulé Un bout de frontière. Grâce à ce film tourné avec la caméra d’un ami, il parvient à monter son premier long métrage Vive la mariée… et la libération du Kurdistan. Ensuite, il réalise Passeurs de rêves un film autobiographique sur son exil ou plutôt sur le terrible choix entre la valise ou le cercueil. Dans Kilomètre Zéro, en 1988, en pleine guerre Iran-Irak, un jeune Kurde rêve de s’enfuir. Soldat malgré lui, il doit trouver « la bonne blessure » pour être démobilisé. La solitude sous Les toits de Paris et le couple à l’épreuve dans Si tu meurs, je te tue, l’absurdité de la vie des Kurdes dans Vodka Lemon confirment une œuvre où se côtoient la gravité et l’humour, la grâce et l’émotion.

Dans My sweet Pepperland, le cinéaste retrouve les hauts plateaux du Moyen-Orient. Baran un combattant des années de lutte contre Saddam Hussein, rentre chez lui parce qu’il ne supporte pas une pendaison sinistre dans le nouveau Kurdistan indépendant de l’Irak. Il a obtenu une mutation dans un poste de police isolé à la frontière de l’Iran. En chemin, entre l’Iran, la Turquie et l’Irak, il rencontre Govend une institutrice qui essaie de vivre loin de ses frères, mâles dominants de la famille. Le décor de la steppe s’apparente aux paysages de western. Cette zone de non droit sous la coupe d’un seigneur local devient l’enjeu d’une tragédie traversée par des scènes burlesques et absurdes. Présenté en Sélection Officielle à Cannes en 2013, ce film obstiné et lyrique marque un tournant dans la carrière du cinéaste.

Cette fenêtre ouverte sur les cinéma kurdes, dessine aussi un virage dans l’histoire du Ciné-Club Jacques Becker : elle donne à voir un territoire. Dans ce creuset d’histoires qui se déplie comme une carte avec des frontières, des luttes, on explore la force du cinéma à parler du monde, au-delà de la censure et du flux d’images télévisuelles. Pour cette raison et ne serait-ce que pour celle-ci, notre déplacement vers ce cinéma est un vrai voyage à faire, au creux des douleurs et de la vie des femmes et des hommes du Kurdistan.

 

 

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