« Les choses des autres », un documentaire de création de la Bisontine Delphine Ziegler

Le film « Les choses des autres » de Delphine Ziegler devait être présenté en avant-première en salle. Étant donnée la fermeture des cinémas, cette projection n’a pas pu être envisagée. Néanmoins, on peut voir ce très beau documentaire en replay sur France 3 Bourgogne Franche-Comté jusqu’au 31 mars.

Patrick, un univers hétéroclite d’objets.

La question des objets n’est pas anodine ; elle est omniprésente dans nos vies. Pourquoi a-t-on besoin de s’entourer de plein d’objets ? Quel sens donner à nos collections ? De quoi les objets sont-ils le symbole ? Que recherche-t-on en accumulant les objets ? Comment trier, garder ou abandonner un objet ? Ce sont les questions posées par Delphine Ziegler  dans son film « Les Choses des autres ».

Ils sont plusieurs personnages à se succéder dans le film : Alain vide son grenier parce que la maison de ses parents doit être vendue «il faut que je fasse du rangement car il y a une transmission et je ne peux pas imposer les choses aux gens ». En rangeant son grenier, il retrouve des objets de sa jeunesse et notamment du matériel de l’époque où il faisait du dessin industriel. Soudain, il se souvient de ses cours, de la présence physique de son prof, de son visage, et l’image de ses camarades de classe lui vient aussi à l’esprit. Ces découvertes le rendent joyeux. A partir de l’objet, il emprunte le chemin de son imaginaire pour retrouver les sensations éprouvées à un moment particulier de sa vie : un dessin de sa mère pour l’encourager quand il passe son CAP, son premier dictionnaire... Son grenier, véritable madeleine de Proust, remet au présent de splendides et inaltérables souvenirs.

S’entourer d’objets

Chez Patrick tout est accumulation ; ayant visité la Fabuloserie, maison musée située à Dicy dans l’Yonne, il a rempli sa maison et son jardin d’objets. Plasticien poète, il accumule surtout des objets d’enfance, marionnettes et poupées animées, camionnettes et voitures glanées dans des décharges ou brocantes. A partir ce ces objets, il en crée d’autres à l’image d’un bestiaire imaginaire ; il lui est même arrivé d’arracher les yeux à des poupées pour les installer sur des sculptures. Il vit du côté d’une éternelle enfance et des tiroirs profonds où il emmagasine ses trouvailles. Il partage son univers à L’Atelier des Quais à l’Isle sur le Doubs.

Jean-Louis s’est constitué un véritable musée d’outils dans son grenier. Les objets l’intéressent dans le sens où ils témoignent du travail des hommes. Classés par thèmes, ses outils sont entretenus et répertoriés dans des cahiers où il indique le lieu de la trouvaille, le prix et surtout à quoi sert chaque objet. Il collectionne pour remettre en perspective les vieux métiers et le labeur des hommes. Dans ses trouvailles, une pince à arracher les dents ou un marteau où l’empreinte de la main de l’homme est marquée dans le bois : « on ne trouverait pas ce marteau dans une grande surface », souligne en riant le collectionneur.

Florence est une vraie chineuse dans l’âme. Habitant dans un HLM dès son enfance, elle fouille dans le grenier de ses grands-parents. Aujourd’hui, dès qu’elle peut, elle chine, peuplant sa maison de toutes sortes de choses. Objets ringards qu’elle trouve émouvants ou plumier utilisé par des enfants, elle fabrique sa propre histoire à partir de boites étiquetées ou de trouvailles enfouies dans des tiroirs. « Ca fait plus voyager que les photos » dit-elle le regard amusé.

Jean-Philippe est brocanteur ; c’est un passeur d’objets. Il ne les garde pas pour lui mais les fait circuler : « Le plus beau trésor au fond des mers n’a aucune valeur si on ignore son existence. Une petite trouvaille sur un marché aux puces devient tout à coup un trésor parce qu’on va le montrer et, dans l’enthousiasme, communiquer à travers lui. » Et, même s’il vit de la brocante, les objets sont un jeu : en dehors de toute préoccupation commerciale, il considère son univers comme un théâtre d’objets. Le soir, quand il quitte sa boutique, il les abandonne : « ils continuent d’avoir leur propre vie » souligne-il avec malice. En même temps que l’univers des objets nous est montré, on découvre le rapport intime de chacun avec eux. « Les Choses des autres » est un film tissé comme un motif. Entre les rencontres avec les différents personnages, la cinéaste-plasticienne Delphine Ziegler dessine un univers où les objets dansent avec le monde et trouvent leur place chez les brocanteurs rêveurs, artistes, chineurs du dimanche et collectionneurs.

Les objets et l’intime

Alors Delphine, pourquoi faire un film sur les choses des autres ? Où sont les vôtres ? « Mes choses à moi sont les choses des autres. Dans ma famille, nous avons hérité d’objets de nos grands-mères, de nos tantes, des nos parents. Ma grand-mère ouvrait un tiroir et me montrait des objets. Elle n’entrait jamais dans un magasin de jouets et quand elle nous faisait un cadeau, elle nous offrait un objet. Nous sommes une famille encombrée d’objets. Je ne les jette pas facilement. Avec les objets, on hérite des histoires des autres : on a vu les objets dans la famille et c’est difficile de s’en séparer. Je n’ai jamais acheté d‘objets ; j’étais artiste très jeune et je préférais m’acheter des pellicules Kodak et des pinceaux. »

Parfois la caméra vagabonde, se promène le long des rayonnages ou des étagères. Elle s’arrête sur un objet particulier, comme un téléviseur rempli de vierges en plastique, ou des casiers, immense réservoir à trouvailles. Et entre deux lieux, un homme-objet apparaît et focalise notre attention. On découvre cet homme étrangement accoutré, presque dévoré par des objets. Qui est ce personnage mystérieux, souvent mis en scène avec drôlerie ? « Dans mes films, j’aime apporter une petite touche créative. Dans l’art plastique, j’aime bien utiliser des objets pauvres prêts à être jetés. Quand on le voit dans la piscine, on peut très bien imaginer qu’il est dans du liquide amniotique et les objets qu’il abandonne sont des objets du quotidien. A la fin du film avec son habit chargé de toutes sortes de petites choses, il devient le prince des  détritus ! »

Le film ne cède pas à la facilité. Delphine Ziegler a imaginé un film composite en mettant en connivence des universnés de l’amoncellement, ou du rangement, de la fantaisie ou de la rigueur, de la poésie et de l’intime en prenant soin de les lier avec les recherches musicales de Selim Khelifa : « Faire un film sur les objets n’est pas facile car ils ne bougent pas. On ne peut pas filmer quelqu’un qui parle des objets pendant des heures ; la musique apporte une diversion et une poésie comme le fait l’homme-objet. »

La voix d’une psychologue se cale dans les interstices du film, entre les temps de parole et les instincts musicaux : « Passerelle entre les objets et le monde des humains, la voix de la psychologue que j’appelle « voix du drône » cherche du sens à ce rapport intime qui est le nôtre avec les objets depuis notre petite enfance, explique encore Delphine, notre relation aux objets commence très tôt, puisque notre mère est notre premier objet du désir. La voix surfe sur ce qu’on voit à l’image.  Elle est au-dessus de ce que je montre.» « Toute la vie, on apprend à se séparer des objets, jusqu’à la mort où on se sépare de tout », dit encore la cinéaste-plasticienne pour conclure.

Un film à voir sur la page documentaires de France 3 Bourgogne-Franche-Comté

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