Il y a dix ans, en 2007, Persepolis de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud dessinait l’itinéraire d’une jeune fille aux prises avec l’histoire iranienne d’abord à l’époque du Shah et ensuite à l’arrivée de la République islamique. L’année suivante, Valse avec Bachir, de l’Israélien Ari Forman confirmait l’engagement du cinéma d’animation avec un récit autobiographique antimilitariste. C’est à cette période que le cinéma d’animation a pris un virage, prenant à bras le corps les sujets politiques.
Parvana, une enfance en Afghanistan, de Nora Twomey
Lors de la clôture de cette 42e édition, Parvana, une enfance en Afghanistan, de l’irlandaise Nora Twomey, adapté de The Breadwinner, de Deborah Ellis, a obtenu le Prix du jury long Métrage et le Prix du Public. Histoire d’une petite fille confrontée aux talibans, le film montre comment Parvana résiste à l’inculture par l’écriture et comment avec un trésor d’imagination, elle parvient à sauver les siens alors que son père est en prison. Le fait qu’elle sache lire et écrire va lui ouvrir des portes et lui permettre de résister à la barbarie.
Le film alterne entre le réel, la vie de la petite fille, et, un récit teinté d’onirisme où l’on voit un petit garçon partir à la recherche de semences pour sauver des villageois de la famine. Ce récit issu des contes populaires devient la métaphore de la douleur de la petite fille. Le film oscille entre l’idée d’un paradis perdu et de rêves de paix incarnés dans cette phrase : « C’est la pluie qui fait pousser les fleurs, pas le tonnerre ». En Afghanistan, pays où les femmes sont muselées et vivent derrière des murs, le message de Nora Twomey est féministe ; sous les traits d’une petite fille qui détourne les interdits qui pèsent sur les femmes, de sa sœur qui refuse un mariage « arrangé », le film choisit l’imagination et l’émancipation contre l’oppression. (Film à l’affiche)
La figure de l’enfant porteur d’espoir évoque La Tour, de Mats Grorud, présenté hors compétition. Wardi une petite fille de onze ans vit dans un camp de réfugiés à Beyrouth. Sidi, son arrière grand-père malade y réside depuis le Nakba (La grande catastrophe) du 15 mai 1948 lorsque la terre de Palestine fut récupérée par Israël. Le vieil homme essaie de lui transmettre le moyen (la clé) de découvrir les éléments de l’Histoire et surtout pourquoi sa famille vit encore là depuis 70 ans. Lors de très émouvantes séquences le vieil homme évoque la beauté des grenadiers, des orangers, des goyaviers, du jasmin et du gardénia. A l’aide de photos incluses dans le récit, la petite fille découvre la vie de sa famille avant 1948 : « Si nous ne nous souvenons pas de notre passé, nous ne sommes rien », lui dit-on. Au fil des années, la Tour prend de la hauteur et c’est le moment pour la petite fille Wandi de l’escalader pour découvrir son histoire. Pour réaliser ce film, le réalisateur a passé un an dans un camp au Liban et s’est inspiré de conversations qu’il a eues.
Funan, de Denis Do, récit autobiographique
Funan, de Denis Do, a reçu le Cristal du Meilleur Long-métrage. Le réalisateur, âgé de 33 ans, s’est inspiré du passé de sa mère pour raconter la vie d’une famille sous le régime des Khmers rouges. Ce film retrace le combat d’une Cambodgienne et de son mari séparé de leur enfant lors de la révolution khmère de 1975. Il s’agit de la mère du réalisateur exilée en France avec son fils. Ce récit autobiographique défini comme une fiction s’appuie sur de solides références documentaires. « Funan », premier film d’animation sur l’histoire du Cambodge fait figure d’œuvre cathartique et vient compléter aujourd’hui le travail du grand cinéaste Rithy Panh.
Enfin Le Mur, film documentaire d’animation de Cam Christiansen, présenté en compétition suit le scénariste David Hare qui explore les répercussions de la barrière de séparation israélienne sur les habitants de la région.
Au fil du temps et après cette quarante deuxième édition du Festival d’animation d’Annecy, on prend conscience que ce cinéma devient pour les jeunes auteurs un moyen de parler de la géopolitique sans pour autant négliger la poétique du dessin, comme si les deux constituaient un assemblage vivant et percutant.
Outre cet aspect, le cinéma d’animation permet de contourner la censure présente dans certains pays comme l’Iran même pendant le tournage ; on connaît aujourd’hui les conditions dans lesquelles Jafar Panahi réalise des films, et les ruses qu’il emploie, en filmant dans une voiture (Taxi Téhéran) ou dans un lieu protégé comme le village de ses parents avec une petite caméra (Trois visages). (Film à l’affiche).
Malgré tout, la menace pèse aussi sur l’animation. Le film fini peut susciter des interdictions à l’instar de Have Nice Day, de Liu Jan, censuré par les autorités chinoises à Annecy en 2017 et sorti en salles cette semaine. Le film montre une Chine urbaine gangrénée par le capitalisme et la puissance de l’argent.
Rien n’est définitif et les films d’animation dessinent le monde à leur façon, et, la beauté du trait ou des autres formes d’expression, le sens donné à l’Histoire par l’écriture, font de cet art un moyen puissant de raconter le monde, désastres et beautés.