Je n’ai pas acheté le livre d’Éric Zemmour, mais je l’ai lu. Avec un peu d’amusement au début tant le propos est outré. Cela ressemble parfois à un sketch de mauvais humoriste, tel que se donne à voir en ce moment, Nicolas Sarkozy par exemple.
L’amusement a vite laissé place à la consternation.
Éric Zemmour s’est mis en tête, avec son essai, de construire les grilles du cimetière dans lequel il entend enfermer la France, les Français, la Pensée. Quant au sort qu’il réserve à quelques-uns et à quelques-unes, c’est ignominieux. La machine de guerre est parfaitement bien huilée. L’homme a du talent, de la verve, de la conviction. Il est donc dangereux.
Il écrit son roman de la France, celui des quarante dernières années, comme les familles se forgent un roman familial. Il y a sans doute du vrai, il y a probablement du faux. Du discutable et de l’indiscutable. Difficile de trier le bon grain de l’ivraie. Son roman est un roman noir. De la grandeur au déclin, du déclin au suicide.
Ah ! La mort du Père !
Le métal avec lequel il entend forger la grille du cimetière, est fait d’Histoire, la nôtre, de celle de l’immigration algérienne tout particulièrement, de la législation de notre pays dans laquelle il va puiser des lois significatives, et propres à alimenter sa thèse du déclin. Il puise également dans la psychanalyse. Ah ! La mort du Père ! Le matriarcat qui s’impose ! Il oublie les 121 femmes mortes sous les coups de leurs conjoints en 2013, et celles qui subissent les coups, sans encore en mourir. Il fouille dans les faits divers (l’affaire de Bruay-en-Artois), dans la littérature, dans la chanson où l’on apprend que celle d’Aznavour « Comme ils disent » serait un signe précurseur de la déferlante du lobby homosexuel !
À propos du régime de Vichy
De part et d’autre, les homos sont priés de rester discrets. Ils ne sont pas persécutés; mais on préfère mettre en avant un valeureux combattant sur son char qui affronte les Allemands les armes à la main. À l’époque, les homosexuels résistants le comprennent et l’admettent. C’est un peu comme les religions auxquelles les règles de la laïcité demandent une discrétion dans l’espace public pour ne pas provoquer les autres. Pas une discrimination, encore moins une persécution, plutôt la garantie d’une véritable liberté.
Plus tard, le capitalisme s’y met aussi.
Mais l’émergence de l’homosexualité triomphante est d’abord liée à une évolution décisive du capitalisme…
… Il faut détruire la virilité en l’homme pour que naisse et prospère sa pulsion consommatrice.
Le capitalisme a besoin de consommateurs, les homosexuels sont des jouisseurs, donc ils consomment. Vous aurez noté le « triomphante ». Là aussi, Éric Zemmour jette aux oubliettes les homosexuels chassés de leurs familles, ceux que l’on agresse…
Je suppose que pour lui, comme les femmes que l’on tue, que l’on viole, c’est qu’ils l’ont bien cherché. Ils/elles auraient dû rester dans le secret des maisons.
Les femmes surtout dont il annonce qu’elles continuent à rechercher la protection du mâle. Pour qui il remet en cause le droit à l’avortement.
Quand bien même les femmes chercheraient la protection du mâle (dominant, de préférence ?), quand bien même les hommes ne sauraient toujours pas repasser leurs chemises, est-ce que cela veut dire quelque chose de significatif sur la question de l’égalité des droits dans l’exercice de la citoyenneté ?
Quant aux immigrés Algériens : Le président algérien Boumediene avait pourtant prophétisé en 1974 : « Un jour, des millions d’hommes quitteront l’hémisphère Sud pour aller dans l’hémisphère Nord. Et ils n’iront pas là bas en tant qu’amis. Parce qu’ils iront là bas pour le conquérir. Et ils le conquerront avec leurs fils. Le ventre de nos femmes nous donnera la victoire. »
Torsion et distorsion du raisonnement
Ces citations sont des exemples de torsion, et de distorsion du raisonnement qu’opère Éric Zemmour. Il en est quand même certaines sur lesquelles il faut peut-être s’arrêter un instant.
Comment pouvons-nous écrire un roman qui soit différent ? Avec une fin républicaine, citoyenne, ouverte, ferme sur les principes de Liberté, d’Égalité, de Fraternité, de Laïcité. Ferme aussi sur la définition de ce que vivre ensemble veut dire.
Il y a urgence à le faire, parce que les théories qu’il développe, proches de celle du FN, trouvent de plus en plus d’échos chez nos concitoyens.
L’art de la chute ne fait pas une vérité.
Tout son raisonnement s’appuie sur un prétendu bon sens, sur la lecture univoque et sans nuance de la réalité de l’Histoire, sur la lecture univoque et sans nuance des lois, sur une analyse très personnelle de la symbolique nichée dans l’art littéraire, musical, cinématographique. Sur la reprise de querelles philosophiques entre Jean-Paul Sartre et Raymond Aron, par exemple.
Sartre et Aron avaient noyé dans les bons sentiments la « moraline » chère à Nietzsche et le droit-de-l’hommisme émotionnel et médiatique, une vie intellectuelle consacrée à l’Histoire et à la realpolitik. Ces clercs incontestés trahissaient sans vergogne leurs exigences, leurs idéaux ; ils trompaient Gutemberg avec Mac Luhan.
L’art de la chute ne fait pas une vérité.
Mais il y a là un bel exemple du talent pervers d’Éric Zemmour. Aux philosophes de se prononcer, j’avoue mon incompétence. Ce qui est aussi un des problèmes de cet essai. Qui pourrait revisiter toute cette somme et dire : cela est juste, cela se discute, cela est faux…?
Il va même chercher dans la profondeur de la psychanalyse. Un propos documenté. Sérieux. Mais quand on y regarde de plus près, c’est une autre histoire qui se déroule.
Une virilité prétendument perdue
Puisque monsieur Zemmour va puiser dans la psychanalyse, je me demande quelles sont ses raisons personnelles qui lui flanquent une telle trouille des homosexuels (il en serait un, refoulé ?). Et pourquoi une pareille trouille des femmes ? Ses coucougnettes… mentales seraient-elles à ce point inexistantes que la moindre femme qui ose s’exprimer représente un danger ? Pour lui ? Pour cette fameuse virilité qu’on émasculerait ?
Car il a une véritable angoisse au sujet d’une virilité prétendument perdue.
En avoir, ou ne pas en avoir.
Quand même, Éric Zemmour ! Un homme ne se résume pas à ça ! Et vous le signalez plus haut, vous-même, des résistants étaient homosexuels, ou, des homosexuels furent des résistants.
Donc, il y aurait, je cite, une destruction méthodique du Père et de la famille. L’analyse est empruntée à un auteur américain, édité en 1977 aux États-Unis, en 2012 en France.
Un refuge dans ce monde impitoyable. La famille assiégée, est le titre de l’ouvrage de référence.
Tout fout l’camp, donc. Les pères ne sont plus des Pères, les femmes ne veulent plus être seulement épouse et Mère. Les hommes ne sont plus des hommes, les femmes ne sont plus des femmes. Elles n’ont plus de seins, plus de hanches. Évolution de l’espèce qui ne serait plus vouée à sa reproduction.
Et Les vieux peuples fatigués d’Europe seront les premiers – ils sont restés les seuls – à tolérer une homosexualité qui ne menace plus la pérennité de l’espèce.
Emprisonnements, pendaisons, j’en passe et des bien pires
J’en conclue qu’Éric Zemmour approuve le sort réservé aux homosexuels dans bon nombre de pays, qui ne sont pas Européens. Emprisonnements, pendaisons, j’en passe et des bien pires !
Cherche-t-il, comme Nixon dont il déplore que l’homme ait été chassé du pouvoir suite au Watergate, cherche-t-il donc comme Nixon, à vaincre avec éclat son propre complexe d’infériorité de « Petit chose » face aux plus brillants, plus beaux, plus bourgeois. Il a su mobiliser la majorité silencieuse contre les progressistes des sixties (transposé en France, 68, date du déclin si on l’en croit), l’Amérique profonde (la France profonde) contre les élites juvéniles des côtes Est et Ouest. (contre le monde germanopratin
Il le déplore, la déclaration des Droits de l’homme a pris la place des saintes Écritures.
Quant aux juges, cela va de soi, il les voue aux gémonies !
Forger une grille pour un cimetière.
Le métal est donc fait d’Histoire, d’analyse de lois, de faits divers, de chansons, de textes littéraires (Proust est bien entendu convoqué concernant l’homosexualité) de cinéma et de psychanalyse.
Dans la forge de son cerveau en fusion, Éric Zemmour chauffe le métal à blanc. Ensuite, il le martèle jusqu’à lui donner le début de sa forme. Ensuite, il le tord sur le gabarit qu’il a pris soin de fabriquer.
Un gabarit en forme de peur, de grande peur. Peur de soi, peur des autres, repli dans le cimetière dont il érige les grilles.
La destruction de la famille occidentale arrive à son terme. Nous revenons peu à peu vers une humanité d’avant la loi qu’elle s’était donnée en interdisant l’inceste : une humanité barbare, sauvage et inhumaine. L’enfer au nom de la liberté, de l’égalité. L’enfer au nom de bonheur. Pascal nous avait prévenu : « Qui fait l’ange fait la bête ».
La « caution morale » Pascal doit se retourner dans sa tombe !
Haine aussi. Haine de soi, haine des autres.
La répulsion est une forme d’attraction
Ensuite, les médias ! Qui relaient. Zemmour sait faire, avec les médias. Et la répulsion est hélas une forme d’attraction.
Dur de contrer Éric Zemmour, comme il est dur de contrer Jean-Marie Le Pen, comme il est dur de contrer Marine Le Pen. Leurs façons de penser et de dire le monde me fait penser à certains malades mentaux intelligents et retors que j’ai pu rencontrer. Ils sont comme une savonnette qui vous glisse des doigts, mais leur mousse recouvre petit à petit le paysage.
Je ne dis pas que les trois personnes précitées sont des malades mentaux, ce serait trop facile.
Je refuse d’entrer dans le « tous pourris », qui est un des fonds de commerce de cette clique. Je dois quand même reconnaître que le monde politique ne me/nous facilite pas la tâche, c’est le moins qu’on puisse dire.
En face d’Éric Zemmour, de la famille Le Pen, des intégristes de tout poil, manquent des femmes et des hommes de la trempe de ceux qui ont constitué le Conseil national de la Résistance,(oui, je sais, nous ne sommes pas sous l’occupation, mais assiégés par des idéologies dangereuses !) capables de nous bâtir un nouveau programme pour des jours heureux.
Pour les plus jeunes qui l’ignoreraient, Les Jours heureux était le titre qu’avaient donné les Résistants du CNR à la première édition du programme, sur lequel nous vivons encore. Nous leur sommes redevables de la Sécurité sociale, d’un régime de retraite… Tout ceci étant bien mis à mal.
En attendant, nous les citoyens lambda, nous qui ne sommes pas dépourvus de cervelle, nous pouvons tisser de la pensée qui ne soit pas nauséabonde.
Qu’elle ne soit pas nauséabonde ne veut pas dire, de mon point de vue, qu’elle soit mollassonne.
Sachant que la pensée précède l’action. Enfin, qu’elle le devrait.