Le rose c’est pour les filles, le bleu pour les garçons… Vraiment ?

Disposée de façon à figurer les pièces d'une maison, l'exposition GenreS croise des études de différentes disciplines et appelle le public non seulement à observer, mais à réfléchir. Quand les stéréotypes de genre s'intègrent dans notre quotidien et que nous sommes parfois amené.e.s à les bousculer... (A Besançon, fort Griffon, jusqu'au 24 mars).

genres

A gauche, un mur d'images de femmes, à droite des images d'hommes, issues des magazines. L'entrée de l'exposition GenreS ! commence par la traditionnelle binarité homme/femme. Mais au fait, c'est quoi être l'un ou l'autre ? Peut-on être les deux, aucun, ou d'un autre genre ? «Apporter des éléments de réflexion, sur la question à la fois universelle et intime de l'identité, ou plutôt des identités » c'est l'objet de GenreS.

Genres au pluriel, dans le sens homme, femme, mais pas que. Cette expo, disposée de façon à figurer les pièces d'une maison, rend compte d'études croisées de différentes disciplines qui ont abordé la question du genre, et appelle le public non seulement à observer, mais à réfléchir. Et cette maison de carton, qui pourrait être celle de tout un chacun, amène à voir comment les stéréotypes de genre s'intègrent dans notre quotidien. Et nous sommes parfois amené.e.s à les bousculer. « Etudier le genre, c'est observer et analyser les fonctionnements d'une société par le prisme des rapports de sexe. C'est également adopter une posture critique à l'égard de la réalité sociale. »

Du 17ème siècle à #Metoo

Important et d'autant plus intéressant, l'exposition couvre de nombreux domaines où résonne le spectre du genre. Les objets de notre quotidien, les publications, le langage, l'âge...

Le parcours propose une frise chronologique allant du 17ème siècle à #Metoo. Celle-ci, comme le reste, traite de différents aspects de la question : égalité au travail, droits et luttes, LGBTQ, violences faites aux femmes, art et littérature… On lit par exemple que le don du sang n'a été ouvert aux homosexuels en Suisse qu'en 2017, sous condition d'abstinence... Que c'est en 1907 que l'on octroie aux femmes (mariées) la libre disposition de leur salaire. On (re)découvre le Manifeste des 343 françaises en faveur du droit à l'avortement en 1971. L'occasion de se demander si les choses ont beaucoup évolué, quel travail il reste à faire, de voir que le chemin a été long pour parvenir jusqu'ici.

Si la première étape de l'exposition est la chambre des enfants, c'est parce que le conditionnement de genre commence souvent dès l'enfance. On retrouve ainsi les figures de la princesse et du chevalier, et l'éternelle dualité rose/bleu. Vous savez, ce fameux rose que l'on retrouve dans presque tous les catalogues de jouets, comme celui proposé par l'exposition, pour bien signaler quels jouets sont destinés aux enfants nés femelles et lesquels aux enfants nés mâles. Couleurs que l'on retrouve dans les autres objets visibles : doudous, biberons, petites voitures.

Non contente de montrer ainsi des éléments du quotidien, que le spectateur.trice pourra interpréter comme normaux, ridicules, ou tout simplement s'interroger à leur sujet, l'exposition GenreS propose des panneaux pour approfondir et questionner. Il est ainsi expliqué qu'auparavant, le bleu, couleur de la Vierge Marie, était dédié aux filles, et le rose, dérivé du rouge du sang et de la virilité, était la couleur des garçons...

Et si cette attribution des couleurs ne semble obéir à aucun raisonnement logique ou biologique, son ancrage social n'empêche pas de retrouver le rose (et d'ailleurs tous les stéréotypes de genre) bien plus tard dans la vie adulte, comme les objets de chaque étape de l'expo le rappellent (couteau, brosse à dent…).

Licornes, tags et super-héros...

Ces différences esthétiques ne se limitent pas qu'aux couleurs. L'expo interroge le design sur d'autres points. Des activités sont proposées, qui à la fois rendent le dispositif interactif et amènent le public à étudier ses propres représentations. L'une demande de placer des morceaux de tissus dans l'une des trois boîtes : Fille, Garçon, Autre. A chacun.e de donner un sexe à de la dentelle, du tissu à petites fleurs, ou encore du noir à rayures.

Les motifs aussi sont parlants. On peut voir en décoration côté filles « love », des licornes, du mignon. Côté garçon, des voitures, des tags, un aspect qui pourrait être décrit comme « cool ». Il est demandé pourquoi les t-shirts de petits garçons sont « cools », avec des voitures, des super-héros ou des sports, et pas ceux des filles ? D'ailleurs, on peut noter que cette dualité stylistique existe encore pour les vêtements adultes. Il sera plus facile à un homme de chercher au rayon femme pour un t-shirt revendiquant son amour des petits chats, et à une femme de chercher du côté masculin pour trouver un habit aux couleurs de Star Wars.

Ces différenciations se retrouvent dans les produits qui sont sensé intéresser ou que l'on essaye de vendre à chaque genre. Cela est visible par endroits sur les murs d'images hommes/femmes de l'entrée. Côté femmes, des cosmétiques ; pour les hommes, la voiture. Les slogans d'empowerment (c'est-à-dire autonomisation, prise de confiance) ou publicitaires peuvent aussi parler : au féminin « #Don't crack under pressure » (Ne craque pas sous la pression), « amazing amazone » (fantastique amazone) ; au masculin « Faites en sorte que l'amant de votre femme ce soit vous ».

« Un parfum agréable pour plaire à votre mari... »

Ah, la publicité ! Elle n'est pas épargnée - ou plutôt n'épargne pas autrui. Celle-ci revient, sous forme d'affiches, d'emballages marketings, d'objets en tous genres un peu partout sur le parcours. Il faut dire qu'elle est représentative des stéréotypes de genre, et de notre quotidien. Sont ainsi exposées d'anciennes publicités qui pourraient porter à rire ou à se scandaliser aujourd'hui. Morceaux choisis :

« Vous voulez donner à votre linge un parfum agréable pour plaire à votre mari, jeune dame? » Une autre conseille, puisque c'est la femme qui choisit les chaussettes des enfants, de le faire aussi pour son mari car « c'est vous qui êtes qualifiée pour le faire ». Mais le présent est aussi remis en question, tournant parfois à la caricature stéréotypée.

Les magazines spécialisés par genre peuvent aussi amener à se questionner quand on les voit face à face : la police d'écriture, les images mises en avant et comment celles-ci représentent hommes ou femmes, et les sujets traités, qui seraient l'intérêt principal d'un genre.

Bien sûr, et c'est ce que cette disposition d'éléments du quotidien met en relief, les genres se voient notamment attribuer des rôles et activités de prédilection. La publicité, les motifs, mais aussi les magazines spécialisés ou les objets que l'on peut voir l'ont bien rappelé : la fille en rose doit s'intéresser au maquillage, aux garçons (comment leur plaire), au fait d'être mince, et bien sûr, sus aux poils ! Etre une bonne cuisinière est aussi un atout. Le garçon en bleu , de son côté, peut se passionner pour le foot, l'automobile et, comme le note une affiche lui étant destinée, doit « être le boss ». Un élément proposé peut aussi amener à s'interroger : les livres érotiques pour femmes, très en vogue ces derniers temps. Autre question que l'on peut se poser en voyant les gants de ménage : pourquoi sont-ils souvent roses ? Coïncidence ?

« Tu seras un homme mon fils ! »

Dans les rôles attribués ici questionnés, et les attitudes censées être naturelles dans un genre, il y a la fameuse phrase « tu seras un homme mon fils ». Cette notion de virilité, de masculinité, ainsi que la domination masculine, le patriarcat, sont interrogées.

Par exemple, un petit jeu est proposé : notez une série de prénoms, puis amusez-vous à créer des « couples » avec ceux-ci , en les plaçant l'un à côté de l'autre… Les interrogations viennent ensuite : avez-vous formé des couples homosexuels ? Lorsqu'un prénom peut aller aussi bien à un homme qu'à une femme, à quel genre avez-vous pensé ? Et, autre chose intéressante : il est rappelé que l'on a tendance à citer la personne considérée la plus importante en premier. Dans les couples formés, le prénom masculin est-il le premier qui vient ?

Face à la mise en avant des hommes, est aussi décrite la mise en arrière des femmes. La misogynie, parfois inconsciente et courante, est représentée. Il est question des attaques et dégradations de la femme, que ce soit dans son image hyper-sexualisée et/ou objectifiée, mais aussi des blagues. Qui sont aussi visibles sur des affiches publicitaires : la « blonde » pour représenter la bêtise, ou l'idée que les femmes sont mauvaises conductrices…

Jeux vidéos et cyberharcèlement

Une étape est consacrée aux jeux vidéos, et au sexisme dans cette sphère. Un coup d’œil à des figurines et des pochettes de jeux donne le ton : des mâles guerriers et tout en muscles, des femelles peu vêtues et aux attributs exagérément développés. Les explications rappellent que les figures du héros et de la demoiselle en détresse semblent héritées de la mythologie - Persée et Andromède par exemple, un scénario datant d'au moins 2000 ans… Plus loin, un article traite de l'héroïne de jeux vidéos, Lara Croft, et notamment… de sa poitrine.

Le cyberharcèlement, qui touche de manière parfois très violente des militantes féministes, n'est pas oublié.

Ceci dit le monde virtuel moderne n'a nullement le monopole du sexisme et des stéréotypes. Le langage et ses problématiques sont ainsi mis en lumière. D'autant plus pertinent à l'heure de la levée de boucliers de l'Académie Française (qui est elle aussi mise en question dans l'exposition) au sujet de l'écriture inclusive (voir ci-contre). Un manuel pour la comprendre et l'utiliser est mis à disposition. On apprend ou redécouvre que la règle selon laquelle « le masculin l'emporte sur le féminin » date seulement du 17ème siècle...

La garce et la commère...

Plus loin, il est proposé de terminer les noms de métiers selon le genre, de relever non seulement la mise en valeur du masculin, mais la misogynie du langage courant ou de son utilisation. Par exemple, le féminin de « gars » devient « garce ». Un sympathique « compère » devient la bavarde « commère ». Un défi est lancé : trouver une expression positive au féminin qui devienne négative voir carrément insultante une fois au masculin...

Plus terre à terre, et quotidien oblige, les concepteurs.trices de L'expo interrogent les stéréotypes liés au mode de vie. Des casques audios permettent d'écouter une chercheuse ayant étudié la question : les hommes ont-ils vraiment plus besoin de manger que les femmes ? Eh oui, le genre s'invite jusque dans nos assiettes. Dans la même veine, on voit aussi deux boîtes de thé, l'une « femme » et l'autre « homme » (je vous laisse deviner la couleur de l'emballage, que les publicitaires appellent packaging). Y aurait-il une réelle différence de besoins ?

A ces stéréotypes s'ajoute bien sûr la dimension du physique. On sait que les femmes ne doivent pas avoir une pilosité développée, quand celle-ci peut être signe de virilité chez un homme ; quelle place dans ce cas pour les femmes barbues, les personnes transgenres ou intersexes ? Et bien sûr, la question - aussi répandue que le rose et le bleu - des cheveux courts ou longs, facilement catégorisés.

L'ordinateur s'emmêle les crayons

On tombe à ce propos sur une installation amusante et menant à réflexion : une machine équipée d'une caméra, s'appuyant sur des algorithmes, est chargée de détecter le genre de la personne se présentant devant elle, pourcentage à l'appui. En plus de pouvoir la tester sur soi, un calepin à dessin est à disposition pour tracer des visages et voir quel genre leur attribue le dispositif. Il est demandé de noter sur le dessin le genre, auquel on pensait en griffonnant et celui donné par la machine afin que les exposant.e.s « désapprennent » régulièrement les stéréotypes à la machine grâce à ces contributions.

Pour l'ordinateur je suis un homme ! (Jusqu'à présent ce n'est je pense pas le cas.) D'autres ont ainsi été « mégenrés » par la technologie. Pour ce qui est des dessins, les personnages ont parfois été représentés barbu.e .s , maquillé.e.s, souriant.e.s ou non. Une sorte de diablotin est désigné majoritairement femme. Une femme à cheveux courts perturbe l'appareil qui ne sait quel pourcentage donner ; tout comme lorsqu'on ajoute à un personnage jusque là doté d'un genre défini à 100 % une barbe ou des cheveux longs.

Un approfondissement est donné à la question de la technologie, de l’artificiel et du genre. Si certain.e.s étaient tenté.e.s de se moquer de cette pauvre machine et de ses algorithmes stéréotypés, c'est bien la société humaine qui crée ces catégories et leurs attributions. Qui décide qu'un homme ne peut pas se maquiller ou porter une jupe ? Qui considère qu'une femme ne doit pas aimer les jeux de combat ou avoir une pilosité visible ?

Des lectures et des conférences
pour prolonger 

Ce genre de questions touche aussi au queer. A l'image des boîtes où classer les étoffes, l'exposition ne traite pas que de binarité homme/femme, mais laisse aussi la place à l'autre, au neutre, ou à ce qui bouscule les normes : chose importante quand on parle de genreS. Les questions LGBTQ+ ont toute leur place, et ce tout au long du parcours. Une brochure fournie aux visiteurs propose un lexique des mots employés, fréquents dans les études féministes, de genre, ou les communautés LGBTQ+. Sont ainsi inclus l'homosexualité, la bisexualité, le transgendérisme, mais aussi le queer, l'intersexuation ou la non-binarité, avec définitions et problématiques propores. Un panneau n'a pas peur de traiter de pinkwashing (instrumentalisation de la cause LGBT+), et les casques nous permettent d'écouter des témoignages.

Un coin lecture complète la visite par des revues et ouvrages, dont Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir, un manuel d'écriture inclusive, ou d'autres traitant des questions LGBTQ+ ou du harcèlement. L'occasion d'approfondir et de déconstruire ses propres représentations et stéréotypes. L'occasion peut-être aussi de réfléchir sur soi et d'apprendre à s'accepter.

Un dernier atelier interactif, « dessine-moi un genre », ou chacun.e peut faire sa propre représentation d'un personnage. Les résultats sont exposées au fond de la salle, parmi lesquels on peut voir un « cyborg neutre » (identifié.e par la machine femme à 81%) ou « un.e fomme » (identifié.e 90 % femme), ou encore… « Christine Boutin ». Un.e contributeur.ice rappelle « Tous les genres sont valides et légitimes »...

  • GenreS !, une exposition consciente à voir et à faire voir, aux novices comme aux initié.e.s., du 6 février au 24 mars, Gymnase-espace culturel - Fort Griffon à Besançon. Les samedis proposent des animations particulières. Plus d'infos ici.

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