Le mythe de l’exemplarité de la peine de mort

C'était il y a quarante ans, plus d'une génération. Le 18 septembre 1981, par 363 voix contre 117, l'Assemblée nationale adoptait le projet de loi portant abolition de la peine de mort présenté, au nom du Gouvernement, par Robert Badinter, garde des Sceaux, ministre de la justice. Douze jours plus tard (30 septembre), le texte était voté dans les mêmes termes par le Sénat, par 160 voix contre 126. La loi fut promulguée le 9 octobre 1981.

Exécution d’Eugène Weidmann, Versailles, 1939 (dernière exécution publique)

Mort, la vie te guette 1

Depuis plus de deux siècles les « partisans » de la peine de mort ont toujours mis en avant l’argument d’une prétendue exemplarité – comportant un effet dissuasif – de l’application de la peine de mort. Examinons les faits...

Si l'on considère les 150 ans - 1826 à 1977 – de la période pour laquelle nous possédons des statistiques relativement sûres émanant du ministère de la Justice, on dénombre quelque 2 200 guillotinés pour crime de droit commun en France. Afin de tester l’hypothèse d’une corrélation, voire d’une éventuelle relation de cause à effet, entre peine de mort et mortalité de sang, nous avons dressé le tableau récapitulatif de ces guillotinés2, afin d'embrasser l'évolution de l'application de la peine de mort en France durant ces 150 ans. De la même façon, il nous a semblé intéressant de faire figurer, en regard de ces têtes, la statistique comptabilisant les taux de mortalité par homicide (crimes de sang) couvrant la même période. La comparaison de ces deux séries de chiffres permet ainsi de saisir conjointement l'évolution de la criminalité de sang et l'application de la peine de mort, en France, durant un siècle et demi.

Pour prolonger, le Centre d'observation de la société publie des statistiques sur les périodes 1988-2016 et 1825-2010 sous le titre « de moins en moins d'homicides en France ».

Ce tableau appelle quelques commentaires. En un siècle et demi, on constate du côté des têtes coupées une nette évolution : on passe en effet grosso modo de 72 têtes par an en 1826 à 1 tête par an en 1976. Indéniablement, l'application de la peine de mort est progressivement tombée en désuétude.

Si l'on considère maintenant la colonne concernant les taux de mortalité par homicide volontaire, on note une remarquable stabilité depuis 1826. Hormis le score « époustouflant » réalisé à la « Libération » - chère Liberté - où le taux dépasse la barre des 17 morts annuels par homicide volontaire pour 100 000 habitants, on observe un chiffre qui varie très peu : aux alentours de 1 pour 100 000. Cela signifie en clair que le nombre des crimes de sang n'a pas augmenté depuis un siècle et demi - il a même une légère tendance à diminuer - ; cela signifie surtout, si l'on compare ces deux colonnes de chiffres, qu'il n'y aucune corrélation entre le nombre de têtes sacrifiées à une « opinion publique » chimérique et manipulée, et la criminalité de sang.

Pressé par cette double série de chiffres, le mythe de l'exemplarité s'effondre. Et, de ce point de vue, on est en droit d'affirmer que les quelques 2 220 têtes, émanant essentiellement du peuple et prétendument offertes au peuple, qui ont été coupées durant ces cent cinquante ans, l'ont été pour rien au regard d'une véritable politique en matière criminelle. Ces têtes, si elles ont été coupées pour quelque chose, c'est assurément pour satisfaire à la raison d'Etat, ou plutôt pour nourrir à vil prix certains appétits politiques ; c'est aussi pour entretenir la mythologie traficotée de l'exemplarité ; c'est enfin pour flatter, par le moyen d'une victime propitiatoire, le viscéral d'une collectivité abrutie.

De la haine à la vie...3

Dès le 25 mai 1981, François Mitterrand, nouvellement élu président de la République, avait gracié Philippe Maurice, dernier condamné à mort en passe d’être exécuté.  Dans une lettre au président de la République l'association « Légitime défense » lui avait alors écrit que, si on ne le tue pas, il sera placé en prison, libéré d'ici à vingt ans « et en sortant il recommencera ». Examinons les faits...

Aujourd’hui, Philippe Maurice a 65 ans. Il a été incarcéré durant 23 ans. En détention, il s’est mis à lire et étudier. Il a successivement passé le baccalauréat, puis une licence d’histoire (1987) et une maîtrise d’histoire du Moyen âge (1989). En 1995, il a soutenu une thèse de doctorat en histoire médiévale. Première sortie de prison sans menottes depuis 16 ans, trois gendarmes et trois fonctionnaires de la pénitentiaire furent chargés de l'observer lors de la soutenance. La thèse recueillit les félicitations unanimes du jury et la mention « très honorable ». À l’automne 1999, il fut placé en régime de semi-liberté, puis il bénéficia d’une libération conditionnelle au printemps 2000. La communauté scientifique de l'université de Tours lui trouva alors un poste d'assistant de recherche. Désormais Chargé de recherches, il travaille à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) dans les domaines de la famille, de la religion et du pouvoir au Moyen Âge. Il est également chargé de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS). Vive les études et la lecture !

To be or not to be ; une voie  pour s’évader et se libérer : les livres !

Journal Le Monde du 10/09/2021.

Un article intitulé Peine de lecture délivre l’information suivante : Lire Dickens, Austen et Shakespeare. Telle est la peine à laquelle a été condamné, fin août 2021, Ben John, un Britannique de 21 ans, sur l’ordinateur duquel ont été saisis près de 70.000 documents relevant du suprématisme Blanc, ainsi que des modes d’emploi pour déclencher des explosions. Après avoir ordonné que l’accusé participe à un programme de prévention des crimes permettant à la police de surveiller son utilisation d’Internet, le juge Timothy Spencer a exhorté celui-ci à lire Le Conte de deux cités, Orgueil et préjugés, ainsi que La Nuit des rois. « Le 4 janvier, vous me direz ce que vous avez lu et je vous testerai et si je pense que vous me mentez, vous allez souffrir », a averti le juge.

Tout n’est pas pourri au royaume du Danemark...4

En guise de conclusion... DE L’HORRIBLE DANGER DE LA LECTURE

Voltaire (1765)

Nous Joussouf-Chéribi, par la grâce de Dieu mouphti du Saint-Empire ottoman, lumière des lumières, élu entre les élus, à tous les fidèles qui ces présentes verront, sottise et bénédiction.

Comme ainsi soit que Saïd-Effendi, ci-devant ambassadeur de la Sublime-Porte vers un petit État nommé Frankrom, situé entre l’Espagne et l’Italie, a rapporté parmi nous le pernicieux usage de l’imprimerie, ayant consulté sur cette nouveauté nos vénérables frères les cadis et imans de la ville impériale de Stamboul, et surtout les fakirs connus par leur zèle contre l’esprit, il a semblé bon à Mahomet et à nous de condamner, proscrire, anathématiser ladite infernale invention de l’imprimerie, pour les causes ci-dessous énoncées.

1o Cette facilité de communiquer ses pensées tend évidemment à dissiper l’ignorance, qui est la gardienne et la sauvegarde des États bien policés...

Inch-Amen !



1 Jean Benoît, artiste plasticien.

2 Cf. Bessette J-M, Il était une fois... la guillotine, Ed. Alternatives, 1982.

3 Maurice Ph., De la haine à la vie, Le cherche midi, 2001.

4 Cf. Shakespeare W, Hamlet...

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