Le Mystère Courbet ou comment regarder la peinture

« Qui êtes-vous Monsieur Courbet ? », le film de 52 minutes réalisé par Isabelle Brunnarius, présenté en avant-première à l’Eldorado à Ornans, nous livre au regard de la vie intime du peintre, une approche de son œuvre.

Gustave Courbet, Isabelle Brunarius

Comment faire le portrait de cet homme hors du commun, ce peintre de l’ouvrier, du paysan, auteur d’Un Enterrement à Ornans et de L’Origine du monde, défenseur infatigable de la République, communard pacifiste, poète des vallées pierreuses et des grottes noires et des paysages séculaires où se reposent des baigneuses lascives. Comment parler de Courbet l’iconoclaste qui a su montrer la nudité sans pornographie, juste en questionnant la place de celui qui regarde ? Comment parler de cet homme complexe sans enfermer son portrait dans les arcanes de la psychanalyse, sans étiqueter son comportement ?

Prochaines diffusions et expositions
Dimanche 21 décembre à 11h05 sur Radio Télévision Suisse RTS,
Jeudi 8 janvier à 8h45 sur France 3 Franche-Comté et France 3 Bourgogne.
Les coulisses du tournage sur le blog de la Loue d'Isabelle Brunarius sur France 3 Franche-Comté, ici.
Courbet à la Fondation Beyeler à Bâle jusqu'au 18 janvier, , ou au Musée Rath de Genève jusqu'au 4 janvier, ici.

Découvrir Courbet

« Je connaissais peu Courbet, explique la réalisatrice. Je ne comprenais pas pourquoi le peintre avait une telle aura en Franche-Comté ». Un jour au cours de l’été 2012, elle emprunte les pas du peintre dans la vallée de la Loue à l’occasion de la création des Sentiers de Courbet de Pascal Reilé. C’est là qu’elle découvre l’homme, l’artiste. En 2013 elle lit  les actes du colloque Transferts de Courbet : « Je me revois encore en train de lire ces articles rédigés par des historiens d'art et des médecins. Je tenais là un projet de documentaire car ces travaux scientifiques étaient inédits et tellement éclairants pour un peu mieux comprendre l'oeuvre de Courbet. Comprendre l'homme pour mieux apprécier le peintre. Mais pour construire un 52 minutes, cela ne suffisait pas. La présentation de L'Origine du monde au musée Courbet d'Ornans et les deux expositions prévues en Suisse (toujours visibles jusqu'en janvier) ont été l'occasion idéale pour commencer le tournage ». Le film est coproduit France 3 Franche-Comté et la société de production Seppia, basée à Strasbourg.

Incessant mouvement entre la nature vivante et les toiles exposées dans le silence des musées, Isabelle Brunnarius rend hommage au peintre et à la vallée de la Loue : « J’avais envie de croiser, de créer des liens visuels entre ce que j'observais dans les toiles de Courbet et ce qui m'émerveillait dans la vallée de la Loue. Finalement, ce sont les mêmes émotions. Travailler avec Laurent Brocard, co-auteur du film, est une grande chance car nous nous émerveillons pour les mêmes images, une légère ombre flottante sur un galet, un oiseau qui traverse un ciel chargé. Il sait filmer la poésie des paysages ».

Filmer la peinture

« Quand nous filmions dans les musées, nous avions en tête ce que nous avions filmé dans la vallée et vice versa. A force d'écouter et de lire les spécialistes du peintre d'Ornans, j'ai aussi compris que Courbet composait ses paysages, il ne reproduisait par la réalité. Lors du tournage, nous sommes allés sur les hauteurs d'Ornans, face à la roche Bottine. Nous avions en tête le tableau La Vallée de la Loue par temps d'orage exposé au musée des Beaux arts de Strasbourg. Les spécialistes m'ont expliqué que Courbet n'avait pas planté son chevalet là pour peindre ce qu'il voyait ; il s'était imprégné de ce qu'il ressentait en venant là où nous étions ; ensuite, il avait recomposé son paysage, introduit deux personnages, des buissons, un arbre tout en conservant un élément très réel : la roche Bottine. »

L’utilisation de focales rapprochées pour regarder sa peinture, le recadrage d’une partie du tableau à deux reprises dans L'Atelier du peintre et Un Enterrement à Ornans permet aux spectateurs de regarder un détail de près. Cette approche frontale reprend le geste du peintre : être en face de quelqu'un ou quelque chose : « Nous aimons également rentrer dans les tableaux, faire des gros plans de telle façon que la peinture devient une matière abstraite. Filmer en gros plan est une des "marques de fabrique" de Laurent Brocard. Je trouve cela très sensuel. J'aime ces plans car j'imagine le peintre en train de déposer sa matière. Pour les deux grands formats de Courbet, le monteur (François Tourtet) a trouvé cette idée du cadre dans le cadre. Personnellement, dans L'Atelier du peintre, je suis sensible à cette diagonale qui part de la femme pour arriver à l'enfant en passant par Courbet. »

L’Origine du monde

La toile La Source de la Loue, sorte de béance d'où jaillissent les eaux de la rivière, est mise en parallèle par le montage avec L’Origine du monde. Au final l’œuvre d’un  peintre n’est-elle pas de regarder le rapport entre les choses ? De percer leur mystère ?

« J'ai juste cherché à comprendre comment regarder ses tableaux. Les historiens d'art et les psy ont depuis longtemps établi ce parallèle entre source et sexe féminin ; à nous de le mettre en images. J'ai découvert, en interviewant les spécialistes, que L’Origine du monde n'était pas du tout une oeuvre isolée dans la carrière de Courbet, elle résonnait avec d'autres toiles comme Le Chêne de Flagey et les sources de la Loue. Pour comprendre la démarche d'un artiste, c'est important de relier des événements, des toiles. Courbet l'avait fait de façon consciente ou inconsciente. »

L’être intime

L’Origine du monde est avant tout une œuvre subversive dans l’Histoire de l’Art. Le colloque de 2011 et le film donnent la parole aux historiens de l’art et surtout aux psy, qu’est-ce qui est important dans la lecture psychanalytique de l’œuvre ?

« Aborder la découverte de la personnalité de Courbet par l'histoire de son enfance, la relation avec ses parents, m'a tout de suite rendu le peintre attachant. Je ne lisais plus l'histoire d'un peintre mais celle d'un homme pétri de contradictions. En épluchant sa correspondance, je le voyais vivre et je commençais à comprendre pourquoi il avait une telle envie de réussite. La découverte d'une fragilité familiale, de sa place dans la fratrie, tout cela me donnait une matière, un peu comme les traces des pinceaux, des couteaux utilisés par Courbet pour peindre ses toiles. Sa "révolution picturale" prenait ainsi tout son sens, elle n'était pas seulement inscrite dans l'histoire de l'art mais aussi dans l'histoire intime d'un homme ».

Croiser les points de vue

Croiser les points de vue apporte des éléments. Dans votre film on dit que Courbet était bipolaire. On utilise énormément de termes psychiatriques pour parler de lui. N’avez-vous pas l’impression qu’on essaie de le faire rentrer dans des cases, lui le rebelle, alors qu’il est d’abord un immense artiste ?

« Gustave Courbet déborde des cases c'est pourquoi toutes les facettes de sa personnalité sont intéressantes à explorer pour tenter de le comprendre un peu mieux. Avoir tout ces éléments en tête, ce n'est pas l'enfermer c'est plutôt rassembler des éléments d'un immense puzzle. En travaillant ce documentaire, j'ai compris que chacun d'entre nous, spécialiste ou non, pouvait avoir son propre regard sur les tableaux de Courbet. Son oeuvre appelle à de nombreuses interprétations et surtout en regardant ses tableaux nous pouvons aussi apprendre sur nous mêmes. »

A la fin du film Isabelle Brunnarius conclut : « Qu’aurait-il peint si la maladie ne l’avait pas emporté ? Son panorama des Alpes est un appel à l’infini, un fracas originel. Courbet est  le peintre des origines, de la nature immuable et de nos profondeurs. ».

Difficile d’élucider le mystère Courbet, de saisir cette part d’ombre et de et d’obscure lumière qui fait son génie. Et c’est encore ce mystère qui nous fait face quand on regarde Le Sommeil, Les Baigneuses ou encore  Le Désespéré.

 

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