Le code de l’indigénat ou « code matraque »

Spécialiste de l’histoire coloniale, Olivier Le Cour Grandmaison revient sur le code de l'indigénat dont il traite dans son dernier livre, ses effets juridiques et politiques.

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Le Centre diocésain de Besançon accueillait, le 23 novembre, Olivier Le Cour Grandmaison pour une conférence-débat sur « Le code de l’indigénat - Anatomie d’un « monstre » juridique : le droit colonial en Algérie et dans l’Empire français », titre de son dernier ouvrage. Historien spécialiste des questions de citoyenneté sous la Révolution française et de l’histoire coloniale, il enseigne à l’Université d’Evry-Val d’Essonne et au Collège international de philosophie. Avant la conférence, en compagnie de Jean-Jacques Boy de l’association « A la rencontre de Germaine Tillion » qui organisait sa venue, il a répondu à quelques questions.

Peut-on parler d’un code ou texte unique ?

En réalité, il y a plusieurs codes qui se rapportent à un même corpus juridique. J’ai étudié en particulier celui qui sert de matrice à tous les autres : en Algérie, l’« Arrêté général sur les infractions de l’indigénat », plus tard appelé code de l’indigénat et dont la première version est entrée en vigueur le 9 février 1875. Il a été une source d’inspiration et a ensuite été appliqué dans d’autres colonies sous la III ème République, en Indochine, en Afrique équatoriale, en Nouvelle Calédonie.

Quels sont les principes qui guident ce dispositif ?

Ce code de l’indigènat déroge aux lois fondamentales de la République, il a pour but d’asseoir la domination coloniale aux moyens de pouvoirs exorbitants du gouverneur général sur la population « indigène ». Il s’applique à des « sujets français », des nationaux qui ne sont pas des citoyens. Les peines sont prononcées par ce gouverneur et non par un tribunal. Voilà pourquoi on peut parler d’un ordre juridique « monstrueux ». Une discrimination est instituée en recourant à l’internement administratif et à la responsabilité collective. Le code est appelé par ceux qui le subissent « code matraque », c’est très explicite.

Quelles mesures précises ?

L’obligation pour les « indigènes » de déclarer les naissances sous délai, motivée par la crainte que les enfants mâles échappent à l’obligation du service militaire. L’interdiction de quitter le territoire de la commune sans permis de voyage. La répression de la « négligence des « agents indigènes » à prévenir crimes et délits dans leur circonscription » et donc le principe de la responsabilité collective. La punition d’actes ou propos quand ils sont tenus par les « indigènes » : « alors même que cet acte ou ce propos ne réunirait pas les caractères voulus pour constituer un délit ou la contravention d’injure » dit le texte de 1875.

Les gouvernements successifs de la III ème République appliquent-ils ces mesures de la même manière ? Et le Front populaire par exemple ?

Si le gouvernement du Front populaire a œuvré en faveur du peuple en France métropolitaine, il n’a pas changé cet ordre politique et législatif dans les colonies.
Ces mesures ont été appliquées jusqu’en 1945 avec des évolutions toutefois.

Ce code prend fin en 1945 alors ?

Oui mais il laisse des traces. Le principe de la responsabilité collective est introduit en métropole, à l’exemple de la loi Pleven « anti-casseurs » en 1970. Cette loi a été abolie en 1982, mais en 2010, la droite réintroduit le principe avec la «  loi sur les violences en bandes ».
Quant à l’internement administratif, il a été appliqué en métropole, aux républicains espagnols en 1938, puis l’année suivante à des nationaux, les membres du parti communiste au moment du Pacte germano-soviètique (signé le 23 août 1939 et rompu le 22 juin 1941, NDLR). C’est Albert Sarraut, ex-gouverneur général en Indochine et alors ministre de l’Intérieur, qui applique la mesure. Ce n’est certainement pas par hasard.

Quels sont vos engagements en lien avec l’actualité ?

J’ai fait partie de la délégation du Collectif du 17 octobre (le 17 octobre 1961, des milliers d’Algériens manifestaient pacifiquement à Paris contre le couvre-feu qui leur était imposé par Maurice Papon, préfet de Paris, la répression fut impitoyable, expulsions, tabassages et des morts dont le chiffre exact n’est pas établi, faute d’accès aux archives de la police, mais estimé entre 40 et 250, NDLR) qui devait être reçue par François Hollande à l’Elysée le jour en question. Hélas, nous n’avons pas été reçu. La reconnaissance par ce communiqué est insuffisante. Le responsable, Maurice Papon, n’est pas désigné.  C’est un crime sans nom et sans adresse.
Il est nécessaire de reconnaître ce crime comme un crime d’Etat avant la visite de François Hollande en Algérie, prévue au début décembre.

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