Le cinéma, le monde et la censure

Pendant que le CNC annonce ne plus aider les films dont les acteurs toucheraient plus de 990.000 euros, des cinéastes malien, iranien, égyptien, chinois... rusent avec les lois, coutumes ou situations chaudes de leur pays pour filmer la vie...

timbuktu

Le monde du cinéma est curieux. Depuis quelques jours on ne parle que de la nouvelle mesure du CNC visant à verser des aides aux films uniquement si le salaire des acteurs ne dépasse pas 990.000 euros, décision assortie de réactions comme celle de François Cluzet : « Affreux, épouvantable, il va falloir vivre en province et se nourrir dans les fast food », a déclaré non sans ironie l’acteur sur le petit journal de Canal + (Salaire de Cluzet 3,14 millions d’euros pour Intouchables).

Si le septième art génère du rêve et des excès, en contrepoint, loin des paillettes et de la presse people, des cinéastes, prennent des risques, se battent pour réaliser leurs films, s’exilent parfois et tournent dans l’insécurité. C’est à ces femmes et ces hommes, croisés dans les récents festivals et lors de débats publics, que nous devons les grands moments de cinéma de cette fin d’année.

L’Afrique de Timbuktu (à l’affiche à Besançon)

En avril 2012, au Mali, la ville de Tombouctou tombe sous le joug des djihadistes qui soumettent la population à la loi islamiste. Dès les premières images de Timbuktu, film de Abderrahmane Sissako, des masques africains volent en éclat. Le film s’emballe ensuite : chaque séquence porte en elle l’horreur et la résistance. Les extrémistes religieux enjoignent une femme qui vend du poisson à porter des gants ; elle rétorque qu’ils n'ont qu’à lui couper les mains. Une autre, battue parce qu’elle chante, reprend son chant après le dernier coup de fouet. Une troisième refuse de porter le voile et incite les hommes à regarder ailleurs si cela les dérange.

Des enfants jouent au football sans ballon. Le ballon leur est interdit par ceux-là mêmes qui comparent le jeu de Zidane à celui de Messi. Le ton est donné. Face à l’oppression quotidienne Abderrahmane Sissako exalte la force face à la cruauté, la dignité contre l’oppression. Plus encore, dans chaque séquence il casse l’entreprise de terreur des djihadistes.

Seul film africain en compétition à Cannes, Timbuktu ignoré sur la Croisette revient dans les salles avec l’accompagnement du cinéaste qui ne transige jamais avec l’histoire et creuse son sillon depuis Une vie sur terre, son premier long métrage où la douleur s’imprimait déjà sur fond de textes d’Aimé Césaire.

Abel Jafri, présent à Besançon pendant le Festival Lumières d’Afrique, expliquait : « On ne pouvait pas tourner le film au Mali où avaient lieu des combats.  Nous étions dans une ville jumelle de l’autre côté de la frontière, à Oulata. Nous étions protégés par des soldats avec des mitraillettes… ». Par souci de vérité, Abderrahmane Sissako tournera quelques plans avec un dispositif léger à Tombouctou afin que la ville qui appartient au patrimoine culturel, soit visible.

Namir Abdel Messeeh était parti en Egypte pour faire un film sur les apparitions miraculeuses de la Vierge au sein de la communauté copte chrétienne. Mais cette enquête apparente lui a permis de retrouver sa famille et de transformer le film en fiction par le miracle du cinéma.

Lors de la présentation de son film La Vierge, les Coptes et moi, le réalisateur expliquait ; « on ne peut plus filmer en Égypte en ce moment alors qu’on pouvait le faire facilement à l’époque de Mubarak ! »

Le risque de filmer en Iran

Le film Iranien à l’affiche un peu partout en France (et prochainement on l’espère, à Besançon) est une véritable leçon de tolérance. Après la réélection de Mahmoud Ahmadinejad, Mehran Tamaron, (cinéaste iranien athée exilé en France) décide de faire un film performance, de rassembler quatre mollahs dans la maison inhabitée de sa mère pour quelques jours. Le but ? Essayer de fonder une démocratie éphémère avec les interdits des uns et  sa propre laïcité.

Avant le tournage le réalisateur a subi des pressions et de véritables interrogatoires : «J’avais décidé de faire le film bien qu’on m’ait demandé explicitement d’arrêter le projet. Pour m’empêcher de tourner et me faire peur, les autorités m’ont confisqué mon passeport ; j’étais interdit de quitter le territoire pendant un mois. Je réalisais le film clandestinement à ce moment-là et ne le savais pas. Je l’ai appris en regagnant l’aéroport deux jours après la fin du tournage ».

Aujourd’hui le cinéaste n’est pas assigné à résidence ; il est autorisé à retourner en Iran mais ne pourra plus en repartir.

Filmer la Chine

Au Festival Entrevues de Belfort, André Boutet présentait Sud Eau Nord Déplacer ; il s’est rendu en Chine pour filmer le chantier du plus important projet de transfert des eaux au monde, entre le Sud et le Nord de la Chine. Le film montre comment le ciment efface les plaines, les fleuves quittent leur lit, les déserts se couvrent d’arbres. Alors que le paysage se transforme, des voix s’élèvent et questionnent ce décor de science-fiction redessinant le pays en imposant le déplacement de 350.000 personnes.

« Ce projet a des conséquences politiques puisqu’il qu’il remodèle le paysage, déplace les habitants pour une improbable rentabilité. Le film met en question la façon dont le pouvoir s’impose en dissimulant les choses derrière des slogans de propagande », expliquait le réalisateur à Belfort. Comment faire pour tourner un tel film sur le trajet du chantier ? «Officiellement, je n’étais pas en train de faire un film en Chine. J’ai surtout pris des précautions pour ramener les images ; je les avais doublées afin de ne pas les perdre si je rencontrais un problème à l’aéroport ».

La force de la censure

Pour réaliser New Territories Fabianny Deschamps s’est rendue en Chine à son tour : « Je suis fascinée par Hong Kong. J’ai lu un fait divers dans la presse qui expliquait que depuis la révolution culturelle, les chinois n’ont plus le droit d’enterrer les morts comme ils le faisaient. Ils ont l’obligation de les incinérer, ce qui culturellement pour eux est une aberration. Pour contourner cette obligation, un gang tuait des gens dans les campagnes pour les vendre à des familles qui les substituaient à leur défunt pour pouvoir enterrer ceux-ci en cachette selon la tradition. Je me suis interrogée alors sur comment le salut d’un mort pouvait avoir plus de valeur que la vie d’un humain. »

« Pour réaliser le film, j’ai souvent utilisé des plans volés sachant que mon producteur pouvait avoir des problèmes avec le droit à l’image», expliquait encore la réalisatrice à l’issue de la projection. Plans volés, captation de fragments de réalité urbaine, croisent des instants d’écriture entre réalité et onirisme.

Véritable affront pour les auteurs chinois, c’est le film Le Promeneur d’oiseau,  (réalisé par le  français Philippe Muyl) qui a été choisi par les autorités pour représenter le cinéma chinois aux Oscars. S’agit-il d’une réaction du pouvoir par rapport à la protestation contre la censure réaffirmée par les auteurs chinois au moment de la sortie de A touch of Sin ? Le fait est, que même si le film de Philippe Muyl rend hommage aux paysages chinois en filmant la balade d’un grand père et d’une petite fille dans la campagne, il n’est en aucun car représentatif de la création cinématographique contemporaine comme peut l’être Black Coal de Diao Ynan (Ours d’or à Berlin).

Cinéastes surveillés par la censure, exils, interdiction de ressortir, films déplacés, plans volés..., le cinéma ne cesse de d’entrer en résistance pour nous parler du monde qu’il tend à notre regard comme un miroir.

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