Le caméléon amoureux

« Le genre du fantastique est peu représenté en France », constate Léo Karmann, dont le premier long-métrage, « La dernière vie de Simon », est présenté hors-compétition au Festival du film fantastique de Gérardmer.

claris-voisin

Après avoir remporté plusieurs Prix du public dans d’autres festivals, le premier long-métrage de Léo Karmann, « La dernière vie de Simon » (sortie le 5 février), devrait séduire également les spectateurs du Festival de Gérardmer (du 29 janvier au 2 février). Ce « conte intemporel » est présenté hors-compétition, mais il entre indéniablement dans le genre du cinéma fantastique, avec une histoire toute simple. Celle de Simon, un petit orphelin, qui a la faculté de se transformer, de prendre l’apparence d’une personne qu’il a touchée.

C’est lors d’un week-end dans une famille accueillante, dans une maison en bord de mer en Bretagne, que Simon révèle son secret à ses nouveaux amis, Thomas et Madeleine. Après une balade qui tourne mal, un enfant perdu dans la forêt, Simon prend la place et la vie d’un autre. Et c’est dans la peau de cet autre qu’on le retrouve plus tard, en caméléon adolescent et amoureux.

« La dernière vie de Simon » est ainsi une tendre histoire d’amour « sacrificiel », une idée originale, du cinéma qui a l’ambition de plaire au plus grand nombre, incarné par un formidable trio de jeunes acteurs, Benjamin Voisin (actuellement à l’affiche de « Un vrai bonhomme »), Martin Karmann (frère de Léo), et Camille Claris.

 

Rencontre avec le réalisateur Léo Karmann, lors de l’avant-première de son film au Caméo à Nancy

D’où est venue cette histoire de transformation, qui est proche de la science-fiction ?

Léo Karmann : Ce n’est pas tellement l’idée qui a été la grande aventure, c’est plutôt le travail pour la transformer en histoire. Avec Sabrina B.Karine, ma co-scénariste, on a grandi avec le cinéma américain des années 90, Spielberg, Cameron, Zemeckis, du cinéma de spectacle, du cinéma d’émotion, on rêve pendant deux heures et quand on sort de la salle on se dit que ça nous raconte quelque chose sur nos vies, c’est vraiment le cinéma que je rêve de faire. Quand on a démarré il y a eu neuf ans, j’avais 21 ans, et on cherchait un sujet, une idée, qui puisse rentrer dans cette catégorie de films, et qui soit faisable en premier film en France. De là, est née cette idée de ce personnage qui peut se transformer, en tout cas prendre l’apparence d’autres personnes ; on a pensé à en faire un film d’espionnage, une comédie, on est passés par des tas de mauvaises directions, jusqu’à trouver la métaphore. Ce qui m’intéresse le plus dans le fantastique, c’est quand le concept de fantastique est une métaphore, et là la métaphore de l’adolescence.

Effectivement, l’adolescence est l’âge de la transformation, notamment physique…

Exactement. Quand on s’est dit que Simon était adolescent et qu’il avait ce pouvoir dont rêve n’importe quel adolescent, qui permette d’être n’importe qui d’autre que lui-même, ce concept avait une résonance métaphorique, et c’est là où l’histoire a commencé à naître. Le personnage est obsédé par l’idée d’être aimé, et il doit apprendre à s’aimer lui-même, à aimer son pouvoir, à en comprendre l’utilité, et à donner de l’amour plutôt que d’attendre d’en recevoir.

Son pouvoir correspond à ce fantasme qui consiste à prendre la place de quelqu’un d’autre ?

C’est un fantasme très adolescent, je pense qu’il est très important d’arriver à s’aimer soi pour pouvoir aimer les autres, et que ces autres nous aiment. Ce personnage est enfermé dans ce besoin viscéral d’être aimé des gens qu’il a autour de lui, d’abord de parents, puis ensuite d’une jeune femme.

Sa transformation se fait par le biais d’effets spéciaux, mais il fallait quand même que ceux-ci soient « réalistes » ?

Ce qui était très important pour moi, c’était que les effets spéciaux ne prennent pas le pas sur l’émotion, qu’ils servent une histoire à laquelle on a envie de croire. Très vite avec Mikros Images, qui a réalisé les effets spéciaux du film, on a décidé de ne pas faire d’effets magiques et de rester sur un effet physique, comme si ce personnage avait une capacité physique supplémentaire à nous, quelque chose, comme un muscle, qui lui permette de prendre l’apparence des personnes qu’il a déjà touchées. J’ai toujours été très concentré sur l’émotion, avant la transformation, que l’effet serve la narration plutôt qu’il ait un objectif uniquement spectaculaire.

« Il y a un réel appétit du public »

Comment avez-vous composé votre casting, avec votre frère Martin, Benjamin Voisin, et Camille Claris qui est une révélation ?

Très vite, on s’est dit que ce film n’allait pas comporter de star à son casting, c’était très bénéfique pour qu’on y croie, aussi parce qu’on ne connaît pas ces visages. J’ai d’abord cherché les acteurs pour jouer les ados, je voulais vraiment des acteurs et pas des adolescents qui n’avaient jamais joué, j’ai vu cinquante jeunes hommes et cinquante jeunes femmes. Camille Claris a été une révélation immédiate, elle arrive à rendre à la fois ce caractère bien trempé de Madeleine et cette fragilité extrême. Ensuite, j’ai choisi Benjamin Voisin pour jouer l’apparence originale de Simon, et il fallait que je trouve un autre acteur qui s’en rapproche, qui arrive à rendre la même énergie du personnage mais physiquement extrêmement différent. Mon frère ne voulait pas passer le casting, finalement il l’a passé, et il était vachement bien.

Votre film entre dans le genre fantastique et est logiquement sélectionné au Festival de Gérardmer…

Le Festival de Gérardmer est très enthousiaste à l’idée de nous diffuser. En France, le genre du fantastique est peu représenté, et le genre merveilleux c’est-à-dire du fantastique familial, plutôt poétique, ne l’est quasiment pas. Du coup, on est un peu tous seuls dans ce créneau-là aujourd’hui. On constate que le public non friand de films de genre est emporté par le film ; je pense à « Avatar » et « E.T. », deux films américains qui ont réussi à dépasser le genre fantastique pour finalement faire un film familial, un conte, une histoire qui touche. On considère moins « La dernière vie de Simon » comme un film fantastique que comme un film d’amour.

Avec un tel sujet pour le premier film tourné par un jeune réalisateur, vous avez dû vous heurter à de nombreuses difficultés ?

Beaucoup, on a mis cinq ans à trouver le producteur qui accepte de nous suivre et s’enthousiasme avec nous sur cette histoire. Ensuite avec Grégoire Debailly, le producteur, on a mis deux ans à réunir le financement pour pouvoir le tourner. On nous a dit pendant à peu près huit ans qu’on ne fait pas ça en France, il n’y a pas assez de place pour le cinéma populaire qui n’est pas de la comédie, et qui n’a pas de star à son casting. Notre espoir est que ce film se fasse suffisamment remarquer pour que les portes s’ouvrent, parce que je pense qu’il y a un réel appétit du public pour ce genre de films, du cinéma familial qui réunisse à la fois les enfants de 8 ans et les grands-parents de 90, il n’y a pas de raisons qu’il n’y ait que les Américains, les Anglais ou les Coréens qui puissent le faire.

« Mon père voulait tourner dans le film »

Vous devez donc avoir des projets dans ce genre de films ?

Avec Sabrina, on a monté une structure de développement de scénarios, A-Motion, pour créer des films qui parlent à l’enfant à l’intérieur des gens, qui se concentrent sur l’émotionnel, parce que je suis convaincu que les émotions au cinéma sont curatives, et que les histoires sont très importantes pour améliorer le monde dans lequel on vit. Nos prochains projets ne sont pas forcément fantastiques d’ailleurs, celui qui est le plus avancé est un biopic sur la première femme d’Albert Einstein, qu’on ne connait pas alors que c’était un génie des maths tout aussi grand que lui.

On a le sentiment que vous êtes dans la mouvance d’un nouveau cinéma français, fait par de jeunes réalisateurs, avec des thèmes et des sujets différents…

Je pense qu’il y a un appétit dans notre génération du cinéma de forme, du cinéma dans sa définition première, c’est-à-dire qui ne renie pas son côté spectacle. Je pense qu’en France, jusque-là, on a été dans un cinéma de sujets, si le sujet est fort on se fiche un peu que le scénario soit bancal ou que la mise en scène soit absente, on est dans un pays où le sujet et le jeu des acteurs passent avant tout. C’est un cinéma qui est très beau, je suis très content de le voir, mais je pense qu’on peut faire aussi d’autres choses, être tout aussi exigeant sur le jeu des acteurs, tout aussi exigeant sur des sujets intéressants, mais remettre l’appétit de forme et de spectacle. Je suis très content que des films qui traitent de sujets sociaux ou d’actualité existent, mais je trouve ça important qu’il y ait un autre cinéma qui nous fasse un peu rêver.

Avec votre père, l’acteur et réalisateur Sam Karmann, et votre frère comédien, le cinéma est une affaire de famille ?

Ma mère était aussi journaliste de cinéma, je suis né dans une famille où on parlait déjà beaucoup de cinéma ; le grand intérêt c’est que quand on dit qu’on veut en faire, on ne nous regarde pas bizarrement. J’ai eu la chance d’avoir des parents qui ne m’en ont jamais empêché, qui savaient ce que c’était, et qui m’ont bien prévenu de la difficulté que c’était ; d’ailleurs, être le fils de quelqu’un qui le fait déjà amène presque une pression supplémentaire, puisque beaucoup vous attendent au tournant. La chance que j’ai c’est que le cinéma que j’ai envie de faire est très différent de celui de mon père, donc la comparaison ne se fait pas vraiment.

Votre frère Martin a joué avec votre père au théâtre, vous auriez envie de le faire tourner ?

Mon père voulait tourner dans le film, mais il y avait déjà assez de Karmann pour celui-ci. Oui, bien sûr, ce serait amusant de faire tourner mon père, mais je trouvais ça important de m’installer dans mon métier avant de collaborer avec lui, d’exister en tant que cinéaste pleinement, et ensuite pourquoi pas.

27ème Festival du Film Fantastique de Gérardmer, jusqu’au 2 février, programmation complète sur : www.festival-gerardmer.com

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