Laure Calamy : « Rien ne me fait peur »

« J’ai réalisé un rêve de cinéma », assure l’actrice, qui incarne une prostituée strasbourgeoise dans le film de Cécile Ducrocq, « Une femme du monde », drame social et film noir. (Sortie le 8 décembre)

« J’ai vraiment réalisé un rêve de cinéma avec toi », confiait Laure Calamy à la réalisatrice Cécile Ducrocq, au Festival de Deauville où était sélectionné « Une femme du monde ». Dans ce film, l’énergique comédienne au nez pointu incarne une prostituée qui se démène pour payer une école prestigieuse à son ado de fils en échec scolaire. Un rôle « tragi-comique », éloigné des comédies dans lesquelles elle excelle, dont « Antoinette dans les Cévennes », randonnée avec un âne pour lequel elle a reçu le César de la meilleure actrice, ou bien encore la série « Dix pour cent » (Cécile Ducrocq figurait dans le pool de scénaristes), qui vient d’obtenir le Prix de la meilleure comédie aux International Emmy Awards.

Laure Calamy interprète donc Marie, officiellement coiffeuse à domicile, qui travaille bien à domicile mais ne pratique pas la coiffure. Jeune branleur de 17 ans, son fiston (joué par Nissim Renard) est à la limite de mal tourner ; pour le remettre dans le droit chemin, Marie veut absolument le faire entrer dans une école de cuisine, privée donc chère. Afin de réunir les 9.000 € de frais de scolarité, elle arpente les trottoirs de Strasbourg la journée, et va montrer « les plus belles jambes d’Alsace-Lorraine » la nuit dans un bordel à Offenburg, en Allemagne.

Tourné avec l’aide de la Région Grand Est, en partie à Mulhouse, « Une femme du monde » se déroule à Strasbourg, notamment devant le Parlement européen où manifestent Marie et ses copines travailleuses du sexe. « Je voulais une ville frontalière, parce qu’en Allemagne la prostitution est réglementée, il y a des bordels, et parce qu’il y a le Parlement de Strasbourg aussi, je voulais que ce soit un film d’hiver et il y avait de la neige », précise Cécile Ducrocq.

Avec une ambiance polar et film noir, « Une femme du monde » n’échappe pas à l’univers glauque de la prostitution ; c’est un drame social mais c’est surtout le portrait d’une femme, formidablement incarnée par Laure Calamy, une mère qui se sacrifie pour son fils, une femme déterminée et libre malgré la galère, qui à la fin danse et chante sur du Véronique Sanson, et retourne sur le trottoir strasbourgeois, enveloppée dans son long imper doré.


Rencontre avec la réalisatrice et l’actrice, toute de noir et court vêtue, près de Pigalle à Paris, dans une ancienne maison close désormais hôtel chic, lampes rouges à l’entrée et ambiance feutrée à l’intérieur, fauteuils de velours rouge et éclairage tamisé.

Laure Calamy : « La figure de la prostituée me fascine »

Qu’est-ce qui vous intéressait dans ce personnage, dans ce film ?

Laure Calamy : La partie prostitution me passionnait, j’avais envie de le raconter depuis longtemps, il y a l’écriture de Cécile, des situations à traverser, mon partenaire Nissim Renard avec qui c’était génial, il s’est passé des choses entre nous. J’ai envie que ce soit incandescent, d’aller au plus profond de l’humanité, rien ne me fait peur ni ne me rebute, au contraire. Après, je vais appréhender ma légitimité en début de tournage, et en même je me jette dedans, au moment où je joue je n’y pense plus, je me débarrasse de mes monstres.

Vous parlez de légitimité, pourtant votre carrière a explosé depuis « Dix pour cent »…

Ça fait plaisir, et après il y a des moments où je n’ai pas l’impression que c’est à moi que ça arrive.

Au Festival de Deauville, vous aviez évoqué l’image de la prostituée au cinéma, cela vous attirait aussi d’entrer dans cette mythologie ?

C’est vrai que « Mamma Roma » de Pasolini est un film que j’ai vu adolescente et qui m’a beaucoup impressionnée, j’avais vu « Maîtresse » de Barbet Schroeder que j’adore aussi. Je pense que la figure de la prostituée me fascine aussi parce qu’il y a cette espèce d’apparat dans lequel elle se présente, un peu comme une armure, un endroit soi-disant de fragilité mais qui en fait va être un endroit de force, de maîtrise, c’est quelque chose qui m’intéressait beaucoup. Il y a quelque chose à la fois de la représentation, sur le féminin-masculin, et ça rejoint la problématique des femmes : je fais ce que je veux de mon corps, et si j’ai envie de gagner de l’argent avec en me prostituant, c’est mon droit le plus élémentaire.

Votre personnage dit qu’elle est « fière d’être pute », elle le revendique…

Oui, elle ne veut pas sortir de la prostitution, comme c’est souvent le cas dans les histoires sur les prostituées. Elle milite pour avoir plus de droits, elle assume son métier, elle le défend, et elle en parle librement à son fils. Ne pas reconnaître que ça puisse être un choix de vie, c’est les infantiliser, chacun peut chercher des raisons à des tas de métiers.

C’est un métier qui a un rôle social ?

Oui, il y a quelque chose de l’ordre du soin. Je suis une grande admiratrice de Grisélidis Réal, et elle n’est pas la seule à en parler de cette façon-là, il y a une solitude sexuelle, pour beaucoup de clients il y a du respect, un lien qui va durer, des confidences, des sourires, de la tendresse, de la douceur. Effectivement, ça renvoie aussi à quoi on est soumis dans notre sexualité, pour les hommes comme pour les femmes d’ailleurs.

Lors de la Cérémonie des Césars, vous évoquiez « la petite provinciale » que vous avez été, vous voyez ce César comme une forme de reconnaissance ?

Bien sûr, c’est une reconnaissance, un encouragement. En plus, le film qu’on a fait avec Caroline Vignal est un film que j’adorais, je suis ravie. Ce qui m’a touchée, justement dans mon discours je parle de moi, la provinciale qui a pu aller dans un cinéma indépendant, les Carmes, aller au CDN d’Orléans, il y avait une proposition théâtrale riche proportionnellement à la taille de la ville d’Orléans, et les retours m’ont vachement touchée, notamment la directrice du CDN à qui on voulait sucrer la moitié de la subvention et avec mon discours ils ne l’ont pas fait, à quoi ça tient !


Cécile Ducrocq : « Ni misérabilisme ni glamour »

« J’ai besoin de réalisme, de points d’appui pour la fiction », dit la réalisatrice Cécile Ducrocq, ici entre ses deux acteurs principaux, Nissim Renard et Laure Calamy.

Vous aviez réalisé « La contre-allée » (César du meilleur court-métrage), dans lequel Laure Calamy jouait déjà une prostituée, « Une femme du monde » en est le prolongement ?

Cécile Ducrocq : Quand on fait ce court-métrage avec Laure, on a rencontré des prostituées, dont une notamment qui s’appelle Marie-France et qui exerce rue Saint-Denis à Paris, avec la photo de son fils au-dessus de son lit. C’est une image qui m’a marquée, c’était une rencontre assez forte, et à partir de là, l’envie de retravailler avec Laure, de porter le personnage plus loin, et de lui donner un fils, l’imaginaire a pris le relais et j’ai inventé cette histoire d’une femme normale qui élève son fils normalement, et qui a cette particularité d’être prostituée, qui a un métier pas comme les autres mais elle le revendique et le choisit.

L’image de la prostituée a été beaucoup utilisée au cinéma. Quelle était votre ligne ?

Ce qui était important, c’était de ni de tomber dans le misérabilisme et le super glauque, ni le glamouriser un peu à la Verhoeven. Il y a toujours un regard moral, mais il faut tracer une ligne bien franche entre les prostituées libres qui ont choisi ce métier et évidemment celles qui sont avec un souteneur, ça n’a rien à voir. On a du mal à imaginer que des femmes sont tellement libres que, pour elle, ne

pas vendre leur corps mais le louer, est complètement possible. On s’imagine que la prostituée est soumise, mais la plupart du temps non, les clients sont intimidés et c’est elle qui mène la danse, quand bien sûr c’est consenti.

Vous aviez fait un travail de documentation avant l’écriture ?

J’ai besoin de réalisme, de points d’appui pour la fiction qui sont absolument nécessaires, de me documenter avant, de rencontrer des gens, parce que je n’arrive pas à tout imaginer. Je suis allée dans des bordels pour voir comment c’était, comment ça s’organise, et parler à quelques filles. Dans les bordels, il y a de tout, il y a des filles qui sont libres et des filles qui le sont moins. Le problème, c’est qu’il y a une apparence de liberté, elles ont une protection mais elles louent l’endroit.

Le personnage de Marie est plutôt libre…

Ce n’est pas une victime, mais c’est un personnage qui fait beaucoup d’erreurs, Marie, elle est un peu butée, elle vole de l’argent, elle fait du chantage, elle est tellement volontaire, elle a des œillères et elle ne voit pas que ce n’est pas la peine d’aller dans un bordel pour sauver son fils. Elle n’a pas de culpabilité sauf à l’égard de son fils.

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