La « Vie cachée » d’un homme libre

Dans ce superbe film, Terrence Malick évoque le destin de Franz Jägerstätter, un paysan autrichien qui a dit non au nazisme. Arrêté, jeté en prison, expédié à Berlin, et condamné à mort, Franz Jägerstätter (interprété par August Diehl) a été décapité en août 1943, il avait 36 ans.

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« Une vie cachée » (sortie le 11 décembre) aurait pu être la vie discrète et heureuse d’une famille, une vie simple et tranquille à la montagne, entre travaux des champs et jeux d’enfants. Le film de Terrence Malick, ainsi titré, montre d’abord ce paradis, un jardin d’Eden rêvé et fantasmé, en compagnie de la famille Jägerstätter dans une bourgade autrichienne. Les séquences des jours heureux dans les alpages sont alors autant de magnifiques tableaux cinématographiques. Mais c’est en enfer que nous conduit ensuite le cinéaste, celui qu’a vécu sur Terre le père de cette famille, Franz, pour avoir refusé de jurer fidélité à Hitler, en 1943.

Auteur de deux chefs d’œuvre dans les années 70, « La balade sauvage » et « Les moissons du ciel », Terrence Malick avait disparu des écrans pendant une vingtaine d’années avant de revenir avec « La ligne rouge » (1998). Depuis, le réalisateur a reçu une Palme d’Or en 2011 pour « The Tree of Life », puis nous avait un peu perdus avec des œuvres écolo-poetico-philosophico (« A la merveille », « Voyage of Time »…). On retrouve son cinéma lyrique, sa glorification de la nature, des paysages, des grands espaces, dans « Une vie cachée », présenté en compétition au Festival de Cannes, et en avant-première au Festival du Cinéma Américain de Deauville. Mais la beauté de ce superbe film, où l’ampleur du grand cinéma s’allie à la délicatesse, est au service de deux êtres humains, Franz et Fani Jägerstätter, incarnés par August Diehl et Valerie Pachner.

Dans ce récit inspiré « d’après une histoire vraie », Terrence Malick met en lumière, et quelle lumière (!), l’histoire de ce paysan autrichien arraché à sa femme, sa famille, sa ferme, sa vallée. Enrôlé dans l’armée autrichienne, au tout début de la Seconde guerre mondiale, puis renvoyé dans ses foyers, Franz est ensuite dans l’angoisse d’être rappelé, une longue attente avant la lettre tant redoutée ; chaque passage du facteur est guetté, redouté, jusqu’à ce jour de février 1943 où il est rappelé sous les drapeaux.

« Mieux vaut subir l’injustice que la commettre »

Mais ce fervent catholique, dont le père est mort dans les tranchées de la guerre d’avant, refuse de défiler sous la bannière nazie, de servir « l’idéologie satanique et païenne » de ce régime, et de prêter serment d’allégeance. Alors que même les cloches sont fondues pour fabriquer des munitions, il est reçu par l’évêque, auquel il fait part de ses doutes, de ses interrogations ; mais l’Eglise choisit de s’en laver les mains. C’est en homme seul qu’il dit non au nazisme, un homme bon qui ne peut pas faire ce qu’il croit être mal, et estime que « mieux vaut subir l’injustice que la commettre ».

Franz Jägerstätter va donc la subir, cette injustice ; bravant l’hostilité d’habitants du village, dont les fils, les frères, les maris, sont partis à la guerre, il est considéré comme un traître, son épouse est insultée, on jette des pierres à ses enfants. Arrêté, jeté en prison, expédié à Berlin, il subit sévices, coups, brimades, souffrances, et est finalement condamné à mort par un tribunal militaire. Pendant ce temps, son épouse est restée à la ferme, avec sa sœur et ses trois fillettes, se démène pour son mari, plaide sa cause, va le voir en prison, à Berlin, mais l’intransigeant croyant ne change pas d’avis. Il a été décapité en août 1943, il avait 36 ans.

« Une vie cachée » est donc celle d’un héros méconnu, un homme libre et sacrifié, un martyr béatifié en 2007. Le film de Terrence Malick évoque ainsi avec une force et une beauté renversantes le combat intérieur d’un homme, l’amour inconditionnel de sa femme, la détresse d’une famille. Et la foi en un sursaut d’humanité.

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