La prison : peut-on en sortir en meilleur état ?

La prison n'est-elle qu'un lieu de punition ? Un récent débat à Besançon laisse penser que oui, mais des témoignages de professionnels et de militants associatifs, appuyés par Marie-Agnès Crédoz, ancienne présidente de cour d'assises aujourd'hui contrôleur des lieux de privation de liberté, mettent l'accent sur le rôle primordial de la culture et de l'accompagnement pour ne pas rater la sortie.

La maison d'arrêt de Lons-le-Saunier : « joyeuse lors de la coupe du monde de 1998 », dit Marie-Agnès Credoz qui trouve l'établissement à taille humaine.

« On est à contre-courant », admet dans un souffle François Lacaille à la fin du débat programmé de longue date qu'ont suivi près de 80 personnes, jeudi 26 novembre, dans une salle municipale de Besançon. A contre-courant des discours politiques matamores, des « ressentis et des réflexions avec lesquels nous sommes en décalage », a-t-il prévenu deux heures auparavant en l'introduisant. « On entend que les tribunaux ne seraient pas assez sévères, que les juges d'application des peines seraient laxistes, or depuis 2007, il y a 30% de permissions en moins et la durée moyenne des incarcérations est passée de 8,6 mois à près de 12 mois. Et 2014 établit un record avec plus de 68.000 détenus... »

Ces quelques chiffres contredisant les propos de micro-trottoir ou de tribune complaisamment relayés par les grands médias témoignent de la puissance des représentations, y compris quand elles déforment la réalité faute de mise en perspective. Alors quand les images des attentats viennent s'ajouter à ces représentations, il devient non seulement difficile de penser la réalité ordinaire de ceux qui passent souvent par la case prison, mais quasi impossible d'accepter de l'entendre, de la voir, de la concevoir.

« Depuis août-septembre, une pression extraordinaire... »

C'est pourtant ce que font les membres du groupe local de concertation prison de Besançon. « Il faut avoir envie de rencontrer ce monde spécial, croire que la personne n'est pas réductible à ses actes, écouter beaucoup et prendre du recul sinon on craque », explique ainsi la visiteuse de prison Marie-Claude Poirot. Car craquer, crier à l'injustice sinon à l'absurdité, il y aurait de quoi. Elle cite le cas d'un artisan condamné à plusieurs mois ferme pour avoir été pris pour la énième fois avec de l'alcool au volant de son camion. Son véhicule, outil de travail, a été vandalisé pendant sa détention. Sa famille s'est retrouvée sans ressource. Mme Poirot craint qu'il se soit suicidé et dit à l'assistance muette : « Il a tout perdu, je me suis posé la question du sens de cette peine, il fallait aider cet homme à moins boire... » En fait, à ne pas conduire après avoir bu lors des soirées tarot entre potes le week-end... N'est-ce que l'affaire de la Justice ?

Bien sûr que non ! C'est ce que dit, non sans inquiétude, Fatiha Adelia, responsable du service social de l'association Gare-BTT qui, depuis plus de trente ans, accompagne des sortants de prison via des hébergements, du travail... et le suivi des obligations conditionnant des remises en liberté. « Depuis août-septembre, il y a une pression extraordinaire. On leur demande de mettre des choses en place immédiatement, sans attendre. Par exemple, pour l'arrêt de la drogue, si rien n'a été mis en place au bout de trois semaines, ou qu'on leur demande pourquoi ils n'ont pas travaillé, ils peuvent retourner très vite à la Butte. Pour l'alcool, c'est pareil alors que c'est long de mettre en place une cure ou une post-cure ».

Injonctions contradictoires

Dans la salle, une travailleuse du centre d'addictologie confirme : « les sortants de prison sont de plus en plus angoissés. L'un a besoin de s'absenter du travail pour avoir une attestation, mais n'ose pas dire à son patron qu'ils est en injonction de soins. D'autres sont obligés de prendre un boulot qui nécessite de conduire une voiture alors qu'ils n'ont pas le permis. Quant à la post-cure de quatre ou cinq mois, sans CMU, il faut passer par le centre médico-psychologique mais il y a cinq mois d'attente pour avoir un rendez-vous... »

Pierre Besançon résume ces injonctions contradictoires : « il y a une contradiction entre le souhait de résultats rapides et le besoin de temps pour les parcours d'insertion. Les politiques et les financeurs mettent une pression déraisonnables ». La directrice du Gare-BTT, Martine Baeza, pousse un soupir : « Et le grand public comprend la semi-liberté comme une faveur... » Un homme intervient pour dire que le thème de la soirée, « Moins punir par la prison pour mieux reconstruire », ne correspond pas à l'état de la société : « La prison, c'est pour punir, pas pour insérer. Les gens veulent des peines, des gens qu'on garde, qu'on parque ».

« Une prison de 800 places, c'est inhumain »

Ancienne présidente de cour d'assises, Marie-Agnès Crédoz est venue parler de la prison de l'intérieur. Celle qu'elle a toujours tenu à visiter quand elle dirigeait les débats, celle où elle allait mener ses interrogatoires. Celles qu'elle a désormais la mission de visiter depuis qu'elle est l'une des 35 contrôleurs des lieux de privation de liberté. Elle a une idée assez précise de la prison sur laquelle son jugement est sévère : « les petits établissements pénitentiaires, mais quel bonheur par rapport aux grands centres d'aujourd'hui qui sont aseptisés même s'il y a une douche à l'italienne.  J'ai visité les maisons d'arrêt de Lons et Vesoul pendant la coupe du monde de 98, c'était joyeux. Une prison de 800 places, c'est inhumain ».

Elle a une certaine humilité quant au droit de juger, et de condamner, qu'elle a exercé : « Il est indispensable de maintenir l'espoir, de renvoyer aux détenus l'image de leur humanité. La peine doit être la moins injuste possible, je ne crois pas à la bonne peine. Elle ne doit pas être destructrice, ne pas réduire celui qui l'entend à son acte ». Elle affirme « ne jamais désespérer » de l'évolution d'un humain, même s'il trébuche, recule de deux pas après avoir avancé de quatre. Elle avoue cependant avoir connu le désespoir quand un meurtrier, condamné à perpétuité, libéré après une longue peine du sûreté, récidiva six mois après sa sortie. Elle dit : « il faut réfléchir à la peine, ne jamais se dire : combien ça vaut ? » 

La surpopulation carcérale, motif de libération conditionnelle

Qu'a-t-elle constaté lors de ses missions de contrôle du respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté parmi lesquelles figurent les prisonniers, mais aussi les internés psychiatriques ? « La prison est un monde très difficile, le microcosme de la société où tous les dangers sont multipliés. Certaines sont catastrophiques sur le plan matériel. J'ai vu à Nice cinq femmes par cellule de 9 m2. J'ai dit au procureur : mais faites exécuter les jugements de quelques mois quand il y a de la place !  Je dis aux magistrats qu'ils ne visitent pas assez les prisons... Pendant huit jours, je me suis fondue dans un quartier de femmes. Sans douche, sans miroir, avec un seul lavabo, elles arrivaient à être propres, à limiter la violence... Lors d'une commission d'application des peines, la surpopulation carcérale a été un motif de libération conditionnelle... »

Elle témoigne de l'escalade du vocabulaire ordurier entre détenus et gardiens, de la violence, du travail de moins présent : « à Nice, six femmes sur 36 travaillaient... A Perpignan, on a reconstitué le quartier le plus difficile de la ville sur la même coursive... » Les stupéfiants et les téléphones sont omniprésents : « les mules vont chercher la drogue envoyée de l'extérieur ». Elle décrit les quartiers d'isolement où l'on regroupe parfois les détenus « les plus vulnérables, les agresseurs sexuels, intellectuellement fragiles, étiquetés comme pointeurs. L'un était à l'isolement depuis 3 ans, mais que fera-t-il à sortie ? » Elle parle des « terribles » quartiers disciplinaires où certains tiennent à coup de valium ».

« Le public le plus réceptif que j'ai connu »

A l'entendre, on saisit bien que la prison a peu de chance d'être un lieu de réinsertion. Elle pointe les limites des peines alternatives : « le bracelet électronique et la liberté conditionnelle sont très difficiles, ça ne doit pas être trop long ». Souvent, le mot « fragile » revient dans sa description des détenus. On pense à ce qu'avait dit la visiteuse de prison Marie-Claude Poirot à propos d'un jeune homme de 27 ans qu'elle voit de temps en temps depuis sa sortie après l'avoir suivi du temps d'une incarcération de plusieurs années : « c'est toujours un gamin, il est resté ado, il me demande si j'ai pensé à son Noël... »

L'impression générale est celle du malheur et de l'angoisse. De la grisaille, le débat fait émerger parfois quelques bribes d'espoir. Une visiteuse de prison témoigne d'un détenu ayant découvert la lecture au mitard, ce qui lui a ouvert la voie vers une formation. Une employée du musée des beaux arts qui enseigne dans le supérieur, témoigne du vif intérêt des détenus pour une exposition sur l'origine des monothéismes : « c'était le public le plus réceptif que j'ai connu ». La culture est libératrice... La culture et l'échange : « Je suis toujours allée serrer la main au condamné à la fin du procès, un seul a refusé », dit Marie-Agnès Credoz.  

Qui fait de la prison ? En 1985, le sociologue Bruno Aubosson de Cavarlay constatait dans Hommes, peines et infraction : la légalité de l'inégalité (L'Année sociologique, vol 35, n°2.) : « L'amende est bourgeoisie et petite-bourgeoise, l'emprisonnement ferme est sous-prolétarien, l'emprisonnement avec sursis est populaire ». Cela n'a pas vraiment changé, mais ce point n'a pas été abordé lors du débat. Seulement peut-être de manière indirecte quand a été souligné l'absence d'enseignants dans telle ou telle prison, ou la persistance de l'illétrisme.

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