« La Fracture » française

Lors d’une nuit de chaos dans un hôpital parisien, Catherine Corsini évoque à la fois la crise de la santé et le mouvement des gilets jaunes, et parvient même à nous faire rire. Avec Marina Foïs, Valeria Bruni-Tedeschi, Pio Marmaï. Sortie le 27 octobre.

Un couple de bourgeoises parisiennes qui se déchire, Raf et Julie (jouées par Valeria Bruni-Tedeschi et Marina Foïs), voilà qui pourrait être le début d’un de ces films d’auteur autocentrés. Mais voilà, la énième dispute se déroule un de ces samedis où des gilets jaunes envahissaient la capitale, et où les forces de l’ordre réprimaient violemment la révolte populaire. Même si elles sont bien loin de cette agitation, Raf et Julie vont quand même s’inquiéter de ces événements d’automne diffusés en direct sur les chaînes info, car leur grand fils est à la manif, quelque part dans les rues de Paris, entre les Champs Elysées et République.

Du mélodrame intimiste, on pourrait passer alors au drame social, mais le film de Catherine Corsini, « La Fracture », n’est ni l’un ni l’autre. Cinéaste de « La belle saison », « Un amour impossible », « Trois mondes », « Partir »…, elle a voulu tourner un film « résolument contemporain », un huis-clos, l’hôpital pour quasi-unique décor, et un temps limité, une seule nuit.

Valeria Bruni-Tedeschi et Marina Foïs incarnent un couple de bourgeoises parisiennes, qui vont être confrontées au quotidien des urgences.

Une simple chute, une stupide glissade dans la rue, conduit Raf aux urgences ; après de longues heures d’attente, le diagnostic viendra : un bras fracturé. Parmi les trop nombreux patients dans la salle d’attente, il y a aussi Yann (interprété par Pio Marmaï), chauffeur-routier et gilet jaune, provincial et prolo, blessé pendant la manif, des éclats de grenade dans la jambe. Et au milieu de l’agitation médicale, une infirmière dévouée qui enchaîne les nuits de garde, se démène pour s’occuper de tous, Kim, jouée par Aissatou Diallo Sagna, qui est réellement aide-soignante.

Le personnel soignant déjà en lutte

Dans un service d’urgences, c’est une nuit de panique, de véritable chaos, que nous raconte Catherine Corsini. Après le covid, la pandémie, les confinements, le film pourrait avoir une bataille de retard, mais non, l’hôpital était déjà en crise bien avant, le personnel soignant déjà en grève, les professionnels de santé déjà en lutte. En ce jour d’affrontements, ils seront encore plus débordés que d’habitude par l’afflux de manifestants blessés ; ceux qui viennent du dehors, ces images vues « aux infos », gilets jaunes et CRS face à face, les coups, les voitures brûlées, les slogans dont le plus aimable est « Macron démission ! ». La violence vient frapper jusqu’à l’entrée de l’hôpital, les médecins ouvrant les portes aux insurgés et les fermant aux CRS, mais pas aux fumées des bombes lacrymos.

On se frappe à l’extérieur, et à l’intérieur la lutte des classes continue son combat : Yann le gilet jaune en colère et Raf la bobo évaporée s’engueulent copieusement. Et dans cet hosto en surchauffe, on se réjouit aussi des vrais moments de comédie qu’offre ce film, sélectionné en compétition au Festival de Cannes et présenté au Festival de Deauville. Grâce notamment à Valeria Bruni-Tedeschi, dont le personnage est aussi drôle que de mauvaise foi.

La fracture la plus grave n’est bien sûr pas physique, c’est bien celle de la société française qu’il faut réduire ; avec réalisme et dans une grande tension, Catherine Corsini évoque à la fois la crise de la santé et celle des gilets jaunes, et parvient même à nous faire rire. « La Fracture » est ainsi un assemblage réussi de drames, de malaise social, et de dialogues qui fusent et amusent.

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