« La forêt de mon père », à la lisière de la folie

« Je reviens d’une certaine guerre », confie la réalisatrice Vero Cratzborn, dont le film est inspiré de sa famille et de la maladie de son père.

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« J’ai grandi dans ce qu’on appelle la folie, ce mal étrange dont a toujours souffert mon père », précise Vero Cratzborn, réalisatrice de « La forêt de mon père » (sortie le 8 juillet), son premier long-métrage inspiré d’une histoire familiale « compliquée ». « Ce n’est pas un copié-collé, j’ai tourné autour du pot. Je viens d’un coin de Belgique reculé, j’ai quatre frères, et mon père souffre de troubles psychiques graves. Je reviens d’une certaine guerre, j’ai des blessures intérieures », dit-elle.

Dans son film, Jimmy, le père « imprévisible et fantasque » est incarné par Alban Lenoir ; un paternel qui fait partager à ses trois enfants les plaisirs de la nature, le rejet de la société et de la normalité. La famille habite dans un appartement, juste à côté d’une belle forêt, où Jimmy initie ses mômes à la beauté de la faune et la flore. « On est des invités ici, juste des invités », leur dit-il, capable de les réveiller en pleine nuit pour aller voir les étoiles, avant de disparaître et de laisser ses enfants seuls dans les bois.

Carole, son épouse interprétée par Ludivine Sagnier, est désemparée face à cet homme excessif, colérique, menaçant, qui passe la télé par la fenêtre, pète les plombs, part en vrille, et met sa famille en danger. Aimante mais impuissante contre ce « mal étrange », cet « épisode psychotique », elle doit se résoudre à faire soigner Jimmy, l’interner, « l’enfermer ». Ce que ne supporte pas Gina, 15 ans, la fille aînée jouée par Léonie Souchaud, jeune fille sauvage et renfermée, proche de son cher papa qu’elle idéalise, et personnage principal de cette histoire qui se déroule à la lisière de la folie.

« Je suis une contemplative », reconnaît Vero Cratzborn, qui magnifie la nature et cette forêt, à la fois lieu de jeux et de frayeurs. « J’ai fait du documentaire, je n’ai pas voulu en faire sur ce sujet-là, la fiction c’était plus facile pour moi, j’ai pu transformer les choses », confie la réalisatrice, « Ce que j’ai vécu est très violent. J’ai grandi dans un truc, je pensais que c’était ça la normalité ; à l’adolescence, je me suis rendu compte que ce n’était pas normal ; depuis, j’ai eu un amoureux, des enfants… ».

« C’est douloureux de voir un homme qu’on aime souffrir »

« C’est une personnalité singulière, Véro », ajoute l’actrice Ludivine Sagnier, « Avec cette façon dont elle avait traité son histoire personnelle, sans misérabilisme, mais avec poésie et en allant vers l’amour. Cette maladie est insidieuse, elle se fond dans le quotidien, c’est encore plus violent quand c’est emmêlé dans quelque chose de normal ». « Le personnage de Ludivine a un mélange de force et de fragilité, elle fait attention tout en aimant, c’est comme le capitaine d’un bateau, je sais que la maladie psychique peut abîmer les êtres, il y a de la bizarrerie, ça bascule et ça va trop loin », dit Vero Cratzborn, « J’avais envie de montrer et le quotidien et qu’il y avait cet amour incroyable qui nous unit. C’était beaucoup dans le rejet, mais j’ai réalisé que j’étais l’enfant de cet amour-là ».

« J’ai moi-même trois enfants », précise Ludivine Sagnier, « Carole est une mère qui gère tout, le mari, les enfants, la charge mentale, et aussi cette maladie, pour protéger sa fille. C’est un rôle de femme-courage, comment on protège ses enfants, comment on se protège soi-même, et comment on fait le tri entre l’amour et la survie. C’était douloureux parce que c’est douloureux de voir un homme qu’on aime souffrir, mais elle est toujours dans l’amour ».

« Mon regard a changé, je me suis beaucoup documentée sur la bipolarité, la schizophrénie, j’ai enrichi ma connaissance sur ce sujet qui m’a touchée », dit l’actrice, « Sous un calme apparent, une pupille qui s’agite, un tremblement de doigt, on sent que la cocotte est prête à exploser en permanence, c’est vraiment vertigineux. Le métier d’acteur est une schizophrénie balisée, on a l’exaltation d’un univers, d’un personnage, mais on n’est jamais en danger parce que ça s’arrête ; avoir des hauts et des bas, ça fait partie de la vie d’un acteur ».

« La forêt de mon père » est un film sur la fragilité, une « histoire d’amour filial ». « Ce n’est pas une psychothérapie », précise cependant Vero Cratzborn, « Je n’ai pas fait le film pour ça, j’aime bien raconter des histoires, le but n’est pas de faire du bien ou de réparer quelque chose. C’est un film du point de vue des enfants, de la famille ».

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