« Juste la fin du monde » : Lagarce pour mémoire

Alors que l'adaptation cinématographique par Xavier Dolan de Juste la Fin du monde, pièce du dramaturge franc-comtois Jean-Luc Lagarce (1957-1995), est à l’affiche à Besançon, le Centre Dramatique National et l'Université consacrent un colloque à l'œuvre de l'écrivain le 7 octobre.

justefin

Louis (Gaspard Ulliel) écrit du Théâtre à la capitale. Cela fait douze ans qu’il n’a pas revu sa famille. Atteint du sida, il revient une dernière fois chez les siens pour leur annoncer qu’il va mourir. C’est le moment. C’est du moins ce qu’il a décidé.

Le retour du fils

A la maison, on l’attend. On s’affaire. La mère, (Nathalie Baye) perruque noire et ongles bleus prépare les plats. Sur le pas de la porte, sa petite sœur Suzanne (Léa Seydoux) et sa belle-sœur Catherine (Marion Cotillard), nouvelle venue dans la famille. A l’arrière, Antoine (Vincent Cassel), le frère, sur la défensive, prêt à bondir comme un fauve.

Louis arrive. Très vite, sa belle-sœur prend la parole. C’est une façon comme une autre de meubler le silence : à l’origine, elle n’est pas de la famille, elle, l’épouse du frère ; c’est peut-être pour cela qu’elle lui parle si facilement de ses enfants, du fils qu’on a appelé Louis : « Il s’appelle comme vous, mais à vrai dire… ». Elle ne peut pas terminer sa phrase. Des fois on ne peut pas tout dire d’un coup. Elle se reprend. On sait que les mots ont des limites et parfois les silences viennent souffler dessus et les éteindre. Parfois c’est le contraire, les mots sont attisés, brûlants, blessants.

Dans cette maison au décor suranné, véritable scène de théâtre, Xavier Dolan revisite « Juste la fin du monde ». La caméra s’approche tout près des visages déjouant les usages du théâtre. A quelques reprises pourtant, le cinéaste prend la tangente, la liberté d’inscrire son propre imaginaire le temps d’une virée en voiture, (tout en restant dans l’habitacle), ou lors de l’évocation fugace d’une ancienne histoire d’amour de Louis. Quelquefois la voix off donne une distance au récit, juste le temps de reprendre un peu de souffle.

La nostalgie de l’enfance

Des dialogues coupés au couteau. Pas d’échappatoire  ou peut-être si, de rares petites éclaircies (avons-nous rêvé ?) ou l’avons-nous vraiment vu, en flashback cette jupe virevoltant dans un pré autour des jambes d’une femme ou encore cette couverture verte et rouge flottant dans le vent ? Dans la noirceur du film, ces images évoqueraient toutes les enfances, la leur, avec les dimanches en famille, les virées dans la voiture « aérodynamique » que le père astiquait : « Qu’il pleuve, vent ou neige, tous les dimanches nous allions nous promener », dit et répète la mère. Une phrase empruntée au père. Des images égarées dans monde en désagrégation, où regards et silences, mots et dérobades s’affrontent bec et ongles.

Oui il y avait ces beaux dimanches, mais c’était il y a très longtemps semble-t-il. Pendant l’enfance. Avant le départ du fils. Avant le sida. Avant. A l’époque peut-être, où le père avait installé le coucou suisse dans la maison. Mais ce n’est pas que cela l’image du dimanche, pas seulement de la nostalgie, c’est aussi l’exacerbation du présent ; le fils revient un dimanche et aujourd’hui dans cette maison-là, on règle des comptes : Jalousies et malentendus. Rêves inaboutis. Rivalités fraternelles entre l’intello et le prolo. Regrets de la mère. Le fils était venu dire qu’il allait mourir : il n’a pas réussi à le dire et de toute façon personne n’aurait voulu l’entendre. Quelquefois, les mots viennent mourir dans le silence épais des douleurs inavouées.

« Juste la fin du monde » est un film crépusculaire où la tentation de la lumière se fait rare. Xavier Dolan attrape au vol la musique étrange de l’écriture de Lagarce et la rend vivante à nos yeux et notre imaginaire. Elle est là rageuse et flamboyante, avec son rythme, ses silences, ses répétitions et ses brisures.

Et le film nous dit, à chaque prise, combien l’œuvre de Jean-Luc Lagarce vit au-delà du temps qui passe et que la revisiter, — comme le propose le CDN en partenariat avec L’Université de Bourgogne-Franche-Comté —, permet aujourd’hui de relire « Juste la fin du monde » à partir des archives de l’auteur, d’interroger le chemin de l’écriture et de l’ouvrir avec un autre regard par le biais de l’adaptation cinématographique.

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