Juliette Binoche : « Je préfère le mot incarnation au mot interprétation… »

Juliette Binoche est une actrice aux multiples facettes. Exigeante, elle a tourné des films avec les plus grands cinéastes du cinéma d’auteur. À Angers, devant une salle comble, elle s’est exprimée sur quelques étapes, quelques films de sa carrière en mettant l’accent sur l’intériorisation des rôles.

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Dans « La Bonne épouse », à l’affiche récemment, elle incarne Paulette Van der Beck, la directrice d’une école ménagère à la veille de 68. Autoritaire, revêche et coincée, elle se transforme suite à la disparition de son mari. Elle passe de la réserve à l’épanouissement, de la frustration à la libération de son corps. Au-delà de l’aspect forcé du film frôlant parfois la caricature, Juliette Binoche révèle une palette de possibilités de jeu.

Camille Claudel de Bruno Dumont

Bien connu pour sa recherche sur la vérité des personnages et habitué de travailler avec des non-professionnels, Bruno Dumont a demandé à Juliette Binoche de ne pas s’appuyer sur le scripte, mais de s’abandonner au personnage de Camille Claudel sans pour autant s’éloigner de ce qu’elle aurait dit.

Juliette Binoche : « Lorsque j’ai interprété Camille Claudel dans le film de Bruno Dumont, j’étais hantée. Je n’avais pas de scénario. Une nuit je me suis réveillée, j’étais en sueur. J’ai relu toutes ses lettres. Et d’un seul coup je me suis libérée.

Juste après le tournage je reprenais Mademoiselle Julie au Théâtre et j’ai voulu revenir dans la maison de Camille Claudel. On a accepté de me recevoir. Un acteur est comme un exorciste : on fait de la place en nous et si on fait de la place en nous, on est comme une vague qui se retire. La question est : qu’est-ce qui vient en moi et que je n’ai pas voulu ? Je voulais être actrice et dans ce métier la volonté est un empêchement.  Nous sommes tous dans la capacité de recevoir des choses dans un autre espace-temps. La caméra vous met dans l’obligation d’aller voir ailleurs. Si on s’arrête au connu, on est enfermé.

Copie conforme d’Abbas Kiarostami

James un écrivain anglo-saxon (William Shimell) donne une conférence en Italie à l’occasion de la sortie de son dernier livre ayant pour thème les relations entre l’original et la copie. Il rencontre une galeriste française (Juliette Binoche) et ils partent en voyage en Toscane. La question qui sous-tend le film est comment distinguer l’original de la copie, la réalité de la fiction ?

Juliette Binoche : “La plupart des réalisateurs nous laissent de l’espace. Il y avait chez ce metteur en scène une observation. Abbas Kiarostami a mis une cassette dans un magnétoscope. Il avait tourné tout le film sur les lieux. Le premier jour, j’ai vu le film réalisé. Cela m’a donné la structure. On a tourné dans la chronologie. Pour moi, c’est une comédie. J’étais la seule à rire à Cannes.

Beau soleil intérieur de Claire Denis

Après ‘Les salauds’, Claire Denis dans ‘Beau soleil intérieur’ met en scène (avec la complicité de Christine Angot) la multiplicité des sentiments amoureux incarnés à l’écran par Juliette Binoche.

Isabelle, divorcée et artiste, vit une liaison avec un homme marié (Xavier Beauvois), se fait courtiser par un acteur (Nicolas Devauchelle), puis un homme rencontré dans une boite (Paul Blain).

Juliette Binoche : ‘On vit par le corps. C’est une porte d’entrée à notre propre vérité. On va vers les zones difficiles émotionnellement et on les transforme. Aller dans une blessure en tant qu’acteur, c’est aller dans des zones qui nous forment, c’est une façon de guérir.

Bleu de Kieslowski

Julie se réveille à l’hôpital après le terrible accident qui a coûté la vie à son mari, Patrice un compositeur célèbre, et à sa fille. Elle ne parvient pas à se suicider. Elle essaie de faire table rase sur ce qui est matériel et d’affronter sa douleur.

Juliette Binoche ‘Dans ‘Bleu’, Kieslowski a révélé le bleu par des formes concrètes.

On a enregistré la musique avant de tourner. Le fait d’assister à l’enregistrement a été un moment important. Kieslowski avait dit : Pas de peur. Ce qui m’intéresse c’est ton intimité. Il y avait beaucoup de retenue dans ce film. La caméra était dans le lit. Je voulais pleurer parce que cette femme a perdu son mari et sa fille. Kieslowski n’a pas voulu. Quand j’ai vu le film, j’ai compris qu’il avait raison. Tout était écrit et tout était libre.’

L’insoutenable légèreté de l’être de Philip Kaufman

‘L’insoutenable légèreté de l’être’ une adaptation du livre de Milan Kundera traite de plusieurs thèmes et place au centre de tout, des personnages incarnant de grandes idées. Parmi eux Thomas oscille entre le libertin et l’amoureux passionné alors que Teresa (Juliette Binoche) brigue l’amour pur et que Sabrina (Lena Olins) poursuit la légèreté.

Juliette Binoche — «  J’ai été choisie une semaine avant le tournage et je devais parler anglais avec un accent tchèque. J’ai demandé à avoir une assistante. J’ai lu le livre. Dans l’adaptation d’un livre, certaines choses vous inspirent, comme le malaise du corps.’

Sils Maria d’Olivier Assayas

Maria Anders est une comédienne internationale. Dans le train qui l’emmène à Zurich, avec Valentine son assistante (Kristen Stewart), elle apprend la mort du dramaturge Wilhem Melchior. Elle allait justement recevoir un prix qui lui était décerné avant de le rejoindre chez lui près de Sils Maria en Engadine. Jeune comédienne, elle avait été révélée dans une de ses pièces Un jeune metteur en scène qui l’admire se propose de remonter la pièce. Maria se retire avec son assistante au pied du col de la Maloya pour apprendre son rôle. Valentine lui donne la réplique, arpente la montagne et les deux femmes se confondent dans un écho troublant avec celles des personnages de la pièce.

Juliette Binoche : ‘Un personnage peut être faux. Quand un écrivain écrit, il doit être vrai. Ça demande un travail d’être vrai. L’acteur ne sait pas et les choses viennent en ne sachant pas. Parfois cela demande du défrichage, enlever des idées préconçues. On protège des parties de soi parce qu’on a peur d’être exposé. Il faut un certain accomplissement. On propose des choses au metteur en scène et cela peut apporter un changement. Le temps est tellement important et les univers très variés.’

Passer d’un réalisateur à l’autre de Ruffio à Carax

Juliette Binoche : La vie est faite de plein de surprises. J’aime aller vers des univers différents. C’est se confronter à une autre partie de soi. J’aime la tragédie, car on est dans de vraies questions. La tragédie permet de séparer le cinéma de notre vie. J’ai fait un film avec John Boorman et je me suis dit, ‘c’est raté’. On ne faisait qu’une prise et je ne le voyais jamais. Il était très loin du combo. Je lui propose de dîner avec lui. Il s’est peu à peu rapproché de la caméra et dans certains cas, il a fait plusieurs prises.

L’harmonie et le lien avec le réalisateur

‘Il faut un paysage intérieur. Le lien il faut le vivre. Tu dois être prêt tellement rapidement ; tu n’as pas le temps de réfléchir. C’est la préparation qui est mystérieuse.

‘Être actrice ? Être seule au regard des autres, ça force à être vrai, à grandir ; qu’est-ce que c’est que l’orgueil ? De jouer et de se sentir nulle. On est forcément obligé de devenir humble. L’inconnu nous pousse à grandir et à nous transformer. C’est valable pour tous les autres arts, car être vrai ça se voit. L’homme sur terre a le devoir de se tourner vers ses émotions. On produit des émotions pour le spectateur ; à lui d’en faire quelque chose.

Le film, c’est une synergie entre plein de choses. Je préfère le mot incarnation au mot interprétation.’

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