« Jette-t-on ses enfants à la porte quand d’autres sont à venir ? »

Quatre cents personnes ont manifesté à Besançon mercredi 21 septembre leur refus des expulsions estivales et programmées de demandeurs d'asile au prétexte qu'il faut accueillir des réfugiés de guerre. Autour des écoles concernées, la solidarité s'organise,

expulsions-manif

« Qui peut accepter l'expulsion de petites filles de 5 et 8 ans ? » Pour la troisième initiative depuis la rentrée, ils sont pas loin d'être 400 à s'être rassemblés ce mercredi en fin d'après-midi sur la petite place Pasteur de Besançon. Des trentenaires, des quadras, des enfants, des moins jeunes... Il y a des militants, habitués des manifs, et des têtes qu'on n'y voit pas souvent. Beaucoup sont enseignants, parents ou élèves d'écoles où sont scolarisés des enfants menacés d'expulsion et, pour certains, déjà expulsés dans des conditions dont la narration soulève le cœur.

« Qui peut accepter ces violences psychologiques infligées par l'État, ces violences policières sur des parents devant leurs enfants ? », s'exclame au micro Chantal, militante du CDDLE, le collectif pour la défenses des droits et libertés des étrangers. Elle décrit les familles séparées, les expulsions survenues juste avant la rentrée, ce père malade qui « risque la mort » s'il retourne au Kosovo où il n'aura pas accès aux soins.

« Trouvés sous une tente aux Glacis... »

Une dizaine de représentants d'un collectif de Morteau sont descendus à Besançon pour témoigner, protester, espérer : « On aide des gens qu'on menace », dit un porteur de pancarte. « On avait une famille qui ne coûtait rien à l'État. Une maman les avait trouvés sous une tente aux Glacis à Besançon, la femme était enceinte, elle les avait emmenés chez elle avec l'accord de son propriétaire... La famille a été séparée, les enfants à Besançon, les parents renvoyés... Ils ont fait ça avant la rentrée. On est là pour que ça ne se reproduise pas ».

Dans la foule, une enseignante nous glisse qu'une de ses élèves est cachée dans une famille. Place Pasteur, puis devant la haute stature de la statue de Victor Hugo, sur l'esplanade des Droits de l'homme, les manifestants installent autant de petites chaises d'écolier que d'enfants expulsés ou expulsables. Sur chacune d'elle une peluche et un prénom. Sur quelques unes la mention « expulsé le... » avec une date récente. L'effet est garanti, l'émotion palpable dans le regard des protestataires et des discours.

« Personne ne quitte sa maison à moins
Que sa maison ne soit devenue la gueule d’un requin... »

Ce ne sont pas vraiment des discours, mais des textes préparés, choisis, des poèmes. A l'ombre de Victor Hugo, quelqu'un lit une poésie de l'Urugayen Rafael Amor : « Ne m'appelle pas étranger parce que je suis né en terre lointaine / Ou parce que le Pays d'où je viens porte un autre nom... » Leslie prend le relai et lit Home, de la poétesse somalienne Warsan Shire : « Personne ne quitte sa maison à moins / Que sa maison ne soit devenue la gueule d’un requin / Tu ne cours vers la frontière / Que lorsque toute la ville court également... »

Devant la préfecture

Au micro, le ton ferme et grave, l'historien et syndicaliste Fabrice Riceputi invite les manifestants à rejoindre la préfecture : « il est important que nous allions devant le lieu où sont décidées, organisées, planifiées ces expulsions alors que le préfet vient de démentir dans la presse les propos de son secrétaire général qui annonçait que des dizaines d'enfants seraient expulsés dans les mois à venir ».

Les petites chaises d'écoliers sont cette fois installées devant les quelques policiers qui barrent l'accès au portail de l'édifice public. Un professeur d'école se hisse dans une niche du mur et lit à son tour un texte tout en colère à peine contenue : « La vendetta se développe et s'accroit au Kosovo... Dans mon école, des enfants pleurent en arrivant en cours car ils ne savent pas s'ils reverront leurs parents ».

« Une préfecture championne
de France de l'expulsion »

Il aborde la question qui hante les défenseurs des droits humains, les scandalise, heurte le sens commun, révulse la petite foule qui l'écoute : on expulse des demandeurs d'asile pour faire de la place aux réfugiés de guerre venus d'Irak et de Syrie : « on ne déshabille pas Pierre pour habiller Paul... On peut mettre les prénoms qu'on veut. La préfecture du Doubs est championne de France de l'expulsion et sera sans doute récompensée pour son zèle. Battons nous pour que les idées racistes et nauséabondes ne contaminent pas le champ politique ».

Les applaudissements sont nourris. Il se passe alors un bref moment de grave hardiesse juvénile : quelques enfants d'une dizaine d'années entonnent un slogan : « préfet, menteur ! expulseur ! » Leurs voix claires sont très vite couverte par celle de la chanteuse Joyce Tape, chaude, forte, mélodieuse, envoutante, révoltée. Transformés en un instant en public de concert, les manifestants et les policiers écoutent. On croit déceler une fugace émotion dans le regard de l'un d'eux...

Une adhérente de la fédération de parents d'élèves FCPE vient dire que son organisation « soutien l'intégration des tous les enfants ». Elle lit la lettre au président de la République que 640 personnes, dans le secteur de l'école du quartier de Saint-Claude, ont signée en soutien à la famille Feradj et ses enfants qui y sont scolarisés : « elle a toujours vécu dans la discrétion et la volonté de s'intégrer. Elle est menacée d'expulsion au Kosovo, mais les enfants ont vécu 8 ans en Autriche et trois y sont nés. La police est venue les chercher à l'abri de nuit le 16 août au matin, sans leur mère qui était hospitalisée... »

Enseignants aux premières loges

Il est question de leur « retour dans un pays où le père et deux de ses fils, dont un de 6 ans, sont menacés de mort, alors que le secrétaire général nous disait le 29 août que le Kosovo est un pays sûr... Comment expliquer que le père se cache à Pristina avec son fils de 6 ans ? Et si ce qu'ils ont dit à l'Ofpra était vrai, et si leur maison avait vraiment brûlé ? Quand le secrétaire général nous a demandé pourquoi nous les soutenions, nous avons répondu : c'est simple, nous les connaissons. On nous dit qu'il y a 80 expulsables dans le Doubs pour laisser de la place aux Syriens et aux Irakiens, mais quel cynisme. C'est là que nous avons compris que la France voulait accueillir des victimes de guerre à la place des demandeurs d'asile ».

Une enseignante lui succède au micro. Elle explique que sa corporation, aux premières loges, peut témoigner du « miracle » par lequel des enfants apprennent en mettant les bouchées doubles car ils connaissent les enjeux. Elle dit : « arracher les enfants aux apprentissages qu'ils construisent est le plus inquiétant car nous perdons des élèves exemplaires. Ils perdent aussi l'espoir de construire un avenir parce qu'il faut faire de la place. Jette-t-on ses enfants à la porte quand d'autres sont à venir ? »  

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !