Ils ont 18 ans et veillent le souvenir des morts des attentats…

Trois jeunes hommes ont reconstruit un mausolée de bougies et de fleurs détruit dans la nuit de dimanche à lundi place Pasteur à Besançon. Ils ont décidé d'en prendre soin toute la nuit. Des riverains leur ont apporté à boire et à manger. Des passants se sont arrêtés pour parler avec eux et les encourager...

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Ils s'appellent Steven, Aksel et Nicolas et ils veillent les morts des attentats du vendredi 13 novembre à Paris. Ils ont 18 ans et n'ont pas supporté la destruction, dimanche soir, du petit mausolée de bougies installé au pied d'un arbuste de la place Pasteur, à Besançon. Alors ils en ont refait un, remis des bougies, installé quelques fleurs, et ont monté la garde lundi soir avec l'intention d'y passer la nuit. « C'est comme ça qu'on a canalisé notre rage, c'est mieux que tabasser ceux qui l'ont démonté », dit Nicolas, au chômage après des contrats dans la mécanique et un CAP de tourneur-fraiseur-régleur sur commande numérique. « Les gens viennent se recueillir... On est là. Si le gars revient foutre le bordel, on va le recevoir. Ça, c'est pour les morts, c'est un lieu culte, ça se protège comme une église ou une mosquée », dit Aksel qui doit travailler mardi matin.

Il est choqué de l'amalgame de sa religion avec les assassins : « Je suis musulman, avant de me convertir à 14 ans, je n'osais pas avoir une religion. Quand ils tuent au nom de Dieu, ça me met hors de moi. Pour moi, il n'y a que Dieu qui peut oter la vie. Ça me fait mal au coeur pour les proches des victimes. J'ai peur qu'on fasse une généralité. Pour moi, ce n'est pas de la religion, c'est inhumain. Quand j'étais au CFA, un prof me disait : vous êtes tous les mêmes, vous allez tous partir à Daech. J'en ai eu marre, je l'ai insulté puis je me suis barré. Il affichait ma religion devant toute la classe... » 

« Se retrouver, avoir un débat, donner notre avis... »

Sarah, 20 ans, qui s'est arrêtée un instant auparavant, prend part à la conversation : « Ils ont envie que les gens se prennent la tête à cause de la religion ». Elle s'est intéressée à plusieurs religions et, finalement, n'en a choisi aucune. Aksel comprend cela :  « Chacun fait comme il veut. J'ai des copains catholiques. Sur terre, on est tous frères... » Son ami Steven, chômeur après un apprentissage en carrosserie, intervient : « S'il y avait un dieu, il n'y aurait jamais eu ça. Après, tu crois si tu veux... » La question n'est-elle pas davantage économique et sociale que religieuse ? « Bien sûr », dit Sarah. Aksel répond par une question : « entre un jeune de banlieue et un gars du centre-ville, qui a le plus de chance de trouver du travail ? » La réponse paraît couler de source... Il poursuit : « J'ai fait un chantier dans la maison d'un Algérien qui nous offrait le café à 9 h et un plat de son pays à midi... Et un chantier en ville où le gars nous surveillait tout le temps... Je suis aussi pote avec des Gitans... » Sarah renchérit : « Vas trouver des Français à vieux principes qui te disent : tu es chez moi comme mon fils ! »

David et Christie, un jeune couple mixte avec un bébé, s'arrêtent un instant : « On vient rendre hommage, on est de tout coeur avec les familles de victimes, totalement innocentes... On est là pour se retrouver, avoir un débat, donner notre avis », dit Christie. David commente le geste des trois garçons : « c'est une bonne idée ce qu'ils font ». « Ça fait plaisir de voir que des jeunes prennent du temps pour éviter le saccage » du mausolée, dit Max, coiffeur de 20 ans. Une voisine apporte à boire, un restaurateur à manger. « Il faut un massacre pour que les Français s'unissent, on ne se connaît pas, on parle ensemble », constate Sarah. Elle dit son écoeurement d'avoir vu des « vidéos inadmissibles » sur Facebook, se réjouit de la dénonciation de 9000 comptes twitter djihadistes par les Anonymous...

« On peut avoir peur, mais il faut la vaincre, sinon, ce sont eux qui auront gagné »

La peur vient dans la discussion. « Une cliente m'a dit : les gens sortent pour montrer qu'ils n'ont pas peur. C'est un sentiment de survie, mais il faut l'utiliser à bon escient », ajoute Sarah. « On peut avoir peur, mais il faut la vaincre, sinon, ce sont eux qui auront gagné », dit Christie.

Comment ces jeunes voient-ils les massacres de vendredi moins d'un an après les tueries de janvier ? « Charlie, c'était un malentendu. Ils ont pu prendre mal les choses et ont voulu punir », dit Sarah. « Charlie, c'était un règlement de comptes », dit Max. Veut-il dire que le journal l'avait cherché ? Il proteste : « Non ! Nous sommes un pays de liberté d'expression ! C'était dégueulasse ces attentats. Aujourd'hui, c'est une mise en garde tout aussi dégueulasse visant toute la France : la musique, du bon temps passé entre amis : ils veulent punir l'alcool, le bonheur, notre manière de vivre... Il n'y aurait jamais du y avoir de 7 janvier et de 13 novembre... » Comment répondre ? « La meilleure manière, ce serait l'ignorance, mais on ne peut pas... Il ne faut pas avoir peur, c'est bien d'être là, d'être ensemble... Il faut laisser tomber les préjugés sur les musulmans, laisser tomber toute cette haine. La France est assez dans la merde pour se prendre la tête avec des sujets qu'on ne connaît pas ».

« Se poser, réfléchir, surtout continuer à vivre »

N'a-t-il pas envie de savoir ? « Je pense que la France n'y est pas pour rien. Quand on bombarde la Syrie, on ne cible pas seulement une personne... On n'a pas été prévenu de certaines choses, les médias cachent beaucoup de choses... » Max s'informe assez peu via les réseaux sociaux, un peu par la télé et fait confiance au Monde : « c'est un bon journal... » Iront-ils voter ? Ils zappent manifestement les élections régionales et vont directement à la présidentielles : « Hollande ne fait rien et Le Pen c'est la guerre », résume Aksel. « Marine Le Pen, c'est le racisme, je ne voterai pas pour elle », dit Nicolas qui refuse de « mettre tous les Arabes dans le même sac... » Quant au président actuel, il est du même avis que son ami : « il ne fait rien ». La politique se résume-t-elle à ces deux là ? « Non ! », répondent-ils en choeur.

Passe Maxence, étudiant en théâtre qui s'arrête et écoute avec attention et intérêt : « C'est beau, touchant, ce qu'ils ont fait. Ça éloigne beaucoup des stéréotypes et des préjugés... A la fac, on réfléchit à faire quelque chose à partir des événements, mais il faut éviter de trop réagir à chaud. L'émotion est vachement dangereuse. On connait la puissance de ce que ça peut donner. Réagir émotivement peut être très dangereux. En même temps, c'est normal d'être en colère... Parler, c'est beaucoup. Il faut aussi se poser, réfléchir, surtout continuer à vivre... Les rassemblements interdits ou déprogrammés, c'est bien pour la sécurité, mais d'un autre côté, ça signifie qu'ils ont gagné... »

 

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