Il y a cinquante ans sortait Orange Mécanique…

Orange Mécanique (A Clockwork Orange), le film culte et subversif de Stanley Kubrick avait droit à son avant-première il y a près de cinquante ans, le 19 décembre 1971. L’occasion d’un retour sur sa genèse, les interprétations et les polémiques autour de ce film qui fait date dans l’histoire du cinéma et qui est toujours censuré dans certains pays.

À l’heure de la mise en chantier de ce qui deviendra son film le plus controversé, Stanley Kubrick a 42 ans et n’a plus rien à prouver. Bien que boudé par l’Académie des Oscars, Kubrick a déjà réalisé ce que beaucoup considèrent comme la meilleure phase de sa carrière : Les Sentiers de la Gloire, Spartacus, Lolita, Docteur Folamour et 2001 : L’Odyssée de L’Espace. Lorsque le réalisateur américain découvre le livre L’Orange Mécanique de Anthony Burgess paru en 1962, il est fasciné par cet univers encore inédit où la folie règne. Il souhaite alors l’adapter au cinéma, ce qui n’est en fait pas vraiment le terme adéquat, car lui-même le dit : « à mes yeux, il est inutile d’ajouter ou de retrancher quoi que ce soit au roman ». Si le livre avait déjà fait grand bruit lors de sa sortie, ce n’est rien par rapport à ce que connaitra le film…

De la violence sur un air de Beethoven

Le film prend place dans un Londres futuriste et nous conte l’histoire d’Alex de Large, un chef de bande sadique, brutal et adorateur de Beethoven joué par Malcolm McDowell. Il commet les pires atrocités, lynchage, viol puis le meurtre d’une jeune femme. Lorsque Alex est enfin arrêté par la police, il se porte volontaire pour expérimenter une nouvelle méthode thérapeutique pour retirer en lui toute violence. Une fois « guéri », le jeune homme se voit confronté à un nouveau monde dans lequel il n’a plus sa place.

Stanley Kubrick livre une œuvre où la violence est crue, mais stylisée. Cela déconcerte le spectateur qui ne sait pas si le film condamne ou approuve ces actes violents, ce qui crée la polémique.

Il faut noter qu’Orange Mécanique intervient dans une époque où la violence commence à arriver dans les salles obscures : Bonnie and Clyde en 1967, La Horde Sauvage en 1969 ou encore L’Inspecteur Harry en 1971 avaient ouvert la brèche. Mais ici, Kubrick met un réel coup de pied dans ce cinéma encore très marqué par le Code Hays, un code mis en place à Hollywood qui censurait des scènes considérées comme trop violentes ou moralement répréhensibles, tels des baisers langoureux.

Dans le film de Stanley Kubrick, tout n’est que violence, misogynie et perversion. Le monde dans lequel Alex vit n’est pas si éloigné de celui des années soixante-dix. Si la période semble bien être futuriste, elle ne l’est que d’une dizaine ou d’une vingtaine d’années. C’est cela qui heurte les spectateurs, Kubrick décrit une société qui pourrait bel et bien exister.

Entre succès et censure

Pour ces raisons, le film provoque un tollé. Le monde du cinéma était-il préparé à ce film ? Il apparait très vite que non. D’un point de vue commercial le film est un succès considérable, les spectateurs se pressent pour voir cette œuvre subversive. Le film atteindra environ 27 millions de dollars au box-office aux États-Unis et plus de 3 millions d’entrées en France. Mais du côté de la presse, le film est grandement remis en question pour la façon dont la violence est abordée.

Un journal irlandais s’interroge sur la violence du film

Les premières diffusions d’Orange Mécanique prennent un nouveau tournant lorsque le ministre de l’Intérieur anglais Reginald Maudling demande à voir le film pour pouvoir lui-même enlever des scènes. Ce qu’il ne fera finalement pas, car Kubrick l’en dissuade. On note également dans certains pays une recrudescence des violences commises par des jeunes, qui affirment s’être inspirés du film. Stanley Kubrick ne cesse de clamer que son film condamne la violence, mais face aux menaces, il demande à Warner Bros de le retirer des salles. Cette censure ne prendra fin que 27 ans plus tard lors de la mort de Stanley Kubrick en 1999. Aux États-Unis le film sera quant à lui classé X, ce qui limitera sa diffusion. Dans certains pays, tels la Corée du Sud ou la Malaisie, il est encore interdit aujourd’hui.

Un film réellement répréhensible ?

Ce qui choqua le monde dans ce film et ce que l’on en retient est essentiellement sa première partie, celle où le personnage principal s’adonne à toutes sortes de sévices. La violence y est certes représentée comme quelque chose d’« amusant », mais en aucun cas elle n’est légitimée par Stanley Kubrick. Le récit à la première personne lui permet de mettre une distanciation entre Alex et le reste de la société, ainsi le spectateur peut comprendre que ce personnage est immoral et extrême. Avec ce choix narratif, Kubrick souhaite créer un dégout vis-à-vis des actes d’Alex, mais force est de constater que cela a eu l’effet inverse pour certains.

Le réel message d’Orange Mécanique se trouve dans sa seconde partie, souvent oubliée. Stanley Kubrick décrit lui-même son film comme : « une satire sociale posant la question de savoir si la psychologie comportementale et le conditionnement psychologique sont de nouvelles armes dangereuses pour un gouvernement totalitaire qui chercherait à imposer un vaste contrôle sur ses citoyens et les transformerait en à peine plus que des robots. » Orange Mécanique est donc une critique des gouvernements totalitaires qui préfèrent avoir des citoyens dociles, quasi lobotomisés et qui obéissent à tous ses ordres, mais fournit aussi une interrogation sur notre rapport à la violence.

Une orange à la mécanique rouillée aujourd'hui ?

Que reste-t-il d’Orange Mécanique en 2021 ? Cinquante ans après sa sortie, le film garde encore son aura de film culte et subversif, faisant largement écho aujourd’hui à la société dans laquelle nous vivons. Si l’œuvre est parfois noyée dans l’importante filmographie de son cinéaste faite de films plus grand public tels Shining ou Full Metal Jacket, elle connait un regain d’intérêt lors de la mort de celui-ci. Son esthétisme et son message visionnaire redonne au film ses lettres de noblesse. C’est ainsi qu’en 2008 l’AmericanFilmInstitute le classe quatrième dans son top dix des films d’anticipation, et le National Film Registry le sélectionne en 2020 pour être conservé à la Bibliothèque du Congrès américain pour son importance culturelle. Orange Mécanique fut donc un film qui passionna à sa sortie et qui passionne encore toujours.

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