Huit langues pour parler le même langage

Patiemment mis au point par plusieurs associations, un livret d'accueil polyglotte des droits et devoirs du locataire sera distribués aux nouveaux arrivants par les bailleurs sociaux de l'agglomération bisontine.

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Dans une ville fière d'abriter un Centre de linguistique appliquée réputé comme l'est Besançon, l'accueil des étrangers est une tradition. Mais ce n'est pas une seconde nature aussi facile qu'on pourrait l'imaginer. Bien recevoir des étudiants du monde entier, des professeurs de français en recyclage ou stage de perfectionnement qui reviennent régulièrement, c'est bien entendu investir dans le prestige et la renommée de la ville et de la région. C'est se faire des amis du bout du monde, oeuvrer pour la paix et la fraternité...

C'est avec cette culture locale en toile de fond, en héritage, que le centre communal d'action sociale avait créé en 2007 le site Migrations, relooké en 2011. Proposant des témoignages de parcours de vie, étonnants, poignants, il dit quelque chose de l'universalité de la condition humaine. A destination de ceux qui viennent d'arriver, il donne depuis aussi des informations pratiques en douze langues, un mode d'emploi de la ville et de ses usages, du quotidien à la culture.

« Penser à ceux qui ne possèdent ni nos codes ni nos contraintes administratives »

Aujourd'hui, un Livret d'accueil du locataire en huit langues vient compléter la panoplie des outils facilitant la vie des migrants et des locuteurs étrangers. En quinze pages agrémentées de dessins, croquis et symboles, sont résumés dans chaque langue français, anglais, espagnol, arabe, russe, turc, albanais, serbo-croate. les notions essentielles du droit français régissant les contrats de location, les droits et devoirs des résidents et des logeurs de l'habitat social. 

A entendre Robert Lazert, responsable de la CLCV, la confédération logement consommation et cadre de vie, qui en est à l'origine, ça n'a pas été si simple : « Ça a été plus long que prévu... Il a par exemple fallu penser à ceux qui ne possèdent ni nos codes ni nos contraintes administratives ». L'expérience du site Migrations et de l'association Miroir de femmes a été très précieuse. L'ancienne journaliste macédonienne Tanja Nikolova, qui a oeuvré au site Migrations, a fait la traduction serbe, mais aussi participé à la réflexion globale. « C'est un grand travail qui a été effectué, il reste maintenant aux bailleurs à en faire la promotion ». Quatre d'entre eux Saiemb-logement, Néolia, Habitat 25, Grand Besançon Habitat. ont apposé leur logo sur le document qu'ils devraient distribuer aux nouveaux arrivants.

« Quand on arrive en France, on ne connaît pas forcément le fonctionnement des poubelles »

L'idée est si simple qu'on se demande pourquoi ils n'y ont pas pensé plus tôt... « Prenez l'exemple des personnes venant du Sri Lanka où l'on ne connaît pas le chauffage. Une dame qui avait froid l'a mis en marche, payé les 30 euros mensuels prévus, puis une énorme régularisation », rapporte Tanja Nikolova, « Quand on arrive en France, on ne connaît pas forcément le prix, ou le fonctionnement des poubelles : les locataires ne pensent pas forcément que ce qui est payé doit être réparti entre tous... »

Tamoule, Aruna est ravie d'avoir pu lire le document en anglais. Adhérente à Miroir de femmes, Marie Mira va le montrer à ses copines et ses voisines, « expliquer à quoi sert le livret ». Mine de rien, ce document multilingue converge vers une source unique, le droit français. En ce sens, il donne un écho certain à ce mot de l'anthropologue Marie-Odile Gross, invitée à prononcer une brève conférence pour la présentation du livret devant quelques dizaines de personnes au centre Nelson-Mandela de Planoise : « en France, on ne peut plus se référer à la loi du pays qu'on a quitté... »

« S'il y a quelque chose à régler, on passe plutôt par le frère du père ou la soeur de la mère... »

En quelques minutes trop brèves, elle a expliqué deux ou trois des grandes différences des organisations familiales qu'elle a observées en étudiant les mariages traditionnels en Algérie berbère, Turquie, Vietnam et Comores. Ces différences peuvent expliquer pourquoi certains messages passent mal, voire pas du tout. « Les traditions, la culture, c'est ce que tout petits nos parents nous ont transmis, dit de faire... Dans les montagnes berbères, par exemple, les hommes mangent seuls, on retrouve ça dans les cités... Dès qu'un étranger franchit le seuil de la maison, il fait partie de la famille, mais il est alors obligé de respecter les codes... Au pays, on met souvent les enfants loin des parents. S'il y a quelque chose à régler, on passe plutôt par le frère du père ou la soeur de la mère... Ce n'est pas qu'on aime moins ses enfants, mais c'est une façon de vivre. Souvent, les éducateurs n'arrivent pas à rencontrer le père ou la mère, mais l'oncle ou la tante : c'est normal... »

La scientifique poursuit sur des notions souvent instrumentalisées par certains discours politiques : « Quand j'entends parler d'assimilation, ça me hérisse car j'entends aspiration... Ce qui me plait, c'est l'intégration, qui signifie faire nôtre, partager... Il faut empêcher les replis communautaires, le ghetto. C'est normal de rechercher les regroupements, mais ce n'est pas possible à l'identique du pays... Être sans famille en France, c'est une pauvreté énorme car les gens ne sont pas programmés pour vivre seuls, ce qui peut être grave, conduit à une perte de réflexe, d'identité... »

Prochain chantier, le surendettement

En l'entendant, on saisit mieux pourquoi l'apprentissage du français est vital : « Des femmes qui sont là depuis 40 ans et ne parlent pas français s'appuient sur leurs enfants. Mais quand les enfants remplissent les chèques ou font les démarches administratives, cela renverse la place de chacun... Les immigrés doivent faire les démarches, avec les associations ». 

Le rôle central des associations paraît d'une telle évidence. « Pour se connaître, se comprendre, mieux comprendre nos comportements », dit Robert Lazert. Le prochain chantier de la CLCV, c'est un document sur le surendettement sur lequel travaille l'ancien conseiller général (PS) et cadre de banque Claude Girard. En entendant Marie-Odile Gross évoquer la place de l'argent dans les sociétés d'où viennent les migrants, on se dit que là aussi, sa tâche ne sera pas si simple.

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