Hôpital psychiatrique de Novillars : « l’urgence, c’est maintenant »

Familles de malades, médecins, syndicats de soignants... Tous ensemble, ils dénoncent à coups de pétitions, lettre ouverte ou grève, le « double discours » de l'Agence régionale de santé qui fait de la psychiatrie une priorité sans lui en donner les moyens. La lecture du Projet régional de santé, en cours de consultation, ne peut leur donner tort...

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« Depuis quelques années le soin est à flux tendu faute de moyens humains », écrivait en octobre 2014 le syndicat CGT de l'hôpital psychiatrique de Novillars dans une tribune prémonitoire que Factuel avait publiée. Le texte évoquait la souffrance au travail, les services saturés, l'absurdité de la culture du résultat...

Trois ans et demi plus tard, l'histoire se répète. Cette fois, c'est l'ensemble des représentants de la communauté psychiatrique, médecins, soignants, personnels techniques, familles de patients, qui tire la sonnette d'alarme. En janvier dernier, le budget prévisionnel est rejeté par l'Agence régionale de santé qui a « demandé à ce qu'on le refasse sans qu'on connaisse les recettes », explique le Dr Edgar Tissot, président de la Commission médicale d'établissement.

Une lettre ouverte signée des délégués SUD, CGT et FO, du président et de la vice-présidente de la CME, du délégué de l'UNAFAMUnion nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques du Doubs, est alors adressée au directeur général de l'ARS. Expliquant que l'hôpital est au bord de l'asphyxie, ils réclament un plan d'investissement pour remettre à niveau un établissement de 50 ans devenu vétuste et dont 17 bâtiments sont à désamianter (estimation 25 à 35 millions), des moyens pour appliquer le Projet territorial de santé mentale, et la suppression de « l'effort d'efficience », une expression technocratique signifiant plan d'économies de 800.000 euros... alors qu'il manque déjà un million.

Ils ont lu le Projet régional de santé sur lequel les collectivités territoriales et plusieurs instances de concertation doivent rendre un avis d'ici le 6 mai. Ce document de plus de 600 pages évoque la transformation en profondeur du système de santé. Il sera arrêté en juin par le directeur général de l'ARS « après examen de ces différents avis ». En fait, il fera ce qu'il voudra, en tenant compte, ou pas, des mouvements de contestation ou de colère qui s'expriment dans la rue à propos des hôpitaux de Saint-Claude ou Gray, des Ehpad... ou du CHS de Novillars dont plus de 500 des 700 salariés ont signé une pétition précédant la lettre ouverte.

Jusqu'à neuf mois d'attente pour un rendez-vous...

Vendredi 2 mars, c'était jour de grève et de conférence de presse. Les représentants se sont lâchés, calmement, méthodiquement, fermement. « L'urgence, c'est maintenant », dit le Dr Edgar Tissot. « On ne peut plus répondre aux demandes de soins de la population. Les délais pour obtenir un rendez-vous avec un psychiatre atteignent jusqu'à neuf mois, les délais d'attente pour une hospitalisation s'allongent et le taux d'occupation est largement supérieur à 90%... »

Infirmier et délégué SUD, Gilles Monteiro explique les listes d'attente pour une consultation dans les CMP, les centres médico-psychologiques rattachés de Baume-les-Dames, Pont-de-Roide, Maîche, Valdahon. A eux-quatre, ils ont un équivalent temps plein de psychiatre... « Ça fait douze ans que l'ARS dit que les zones blanches du Doubs sont prioritaires et qu'elle n'y met pas les moyens ».

Le chapitre du Projet régional de santé 2018-2022 consacré au département en parle également. La première priorité consiste à « maintenir une progression soutenue et régulière de l’offre médico-sociale car les besoins ne sont pas tous actuellement satisfaits et ils ne cessent de s’accroitre ». La sixième concerne les adolescents et jeunes adultes, « population [qui] souffre encore de restrictions dans l’accès aux soins psychiatriques et d’une insuffisance d’aide dans la démarche et d’accompagnement dans l’accès aux soins ».

Sous dotation structurelle du Doubs

Conséquence de la sous-dotation du Doubs en lits d'hospitalisation (0,9 pour 1000 habitants contre 1,2 en France), du manque de 50 à 60 places en hospitalisation de jour, il arrive fréquemment que des services de 21 places accueillent 22 ou 23 patients. Cela conduit à « placer en chambre d'isolement des personnes venues pour des soins »... Des services, conçus pour des hospitalisations libres, « reçoivent parfois des personnes hospitalisées sans leur consentement avec de plus en plus de contention et de moins en moins de personnel », explique une infirmière : « c'est davantage du gardiennage que du soin, on est comme des gardiens de prison... On met de plus en plus de gens dangereux à l'hôpital, c'est du grand n'importe quoi... »

Des délégués CGT, SUD et FO...

Cette situation tient aussi à un héritage. La taille moyenne d'un secteur psychiatrique est de 60.000 à 70.000 habitants, or, le CHS de Novillars en a trois d'environ 100.000 habitants chacun alors qu'il devrait en avoir quatre. La réorganisation de la psychiatrie, il y a une quinzaine d'années, a conduit à rattacher le Pays de Montbéliard à l'hôpital de Saint-Rémy (Haute-Saône), et à attribuer à Novillars les secteurs ruraux dépendant jusqu'alors de l'hôpital de Montbéliard...

Un programme de déstigmatisation

En fait, c'est la psychiatrie française qui va mal. Le regard de la société sur la maladie mentale, ou plutôt celui des médias privilégiant le spectaculaire, relayé par un personnel politique prompt à embrayer sur des postures sécuritaires, occulte la souffrance psychique et les questions sanitaires qu'aggrave la dégradation des conditions de vie. Cela aussi, le Projet régional de santé le mentionne. Il en a même conçu un objectif de « déstigmatisation » qui doit notamment déboucher sur « la construction d’un programme régional relations médias/professionnels de la psychiatrie et de la santé mentale » et la publication d'ici l'été d'une « charte de communication professionnels/journalistes » (page 123).

Cela ne sera pas suffisant, on s'en doute, pour faire oublier que le problème est surtout structurel et financier, comme l'a relevé un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales publié le 1er février. Mettant le doigt sur les inégalités territoriales en psychiatrie, il propose notamment deux priorités : la pédopsychiatrie et l'amélioration des conditions d'hospitalisation. C'est exactement ce que demandent les professionnels de Novillars et les proches des malades.

« Les familles souffrent », confirme Michel Lassus, délégué de l'Unafam pour le Doubs, en dénonçant « la double peine pour les patients qui ont besoin de parler alors qu'il y a de moins en moins de personnel. Un hôpital ne doit pas devenir un établissement commercial, c'est un lieu de soins, mais aussi d'échange et de dialogue... On a des tas d'exemples de gens se présentant à l'hôpital car ils ne se sentent pas bien, qui sont renvoyés chez eux, à qui on dit revenez dans quinze jours ou allez au CMP... Du coup des gens vont aux urgences, ou sont hospitalisés au CHU où ils ne sont pas connus : ça déstabilise le malade qui se retrouve en pays inconnu alors qu'il a besoin de repères... Le manque de personnel se fait aussi sentir dans les activités sportives, éducatives, culturelles, artistiques : il n'y a pas assez d'animateurs pour assumer ces tâches, alors les gens trainent leur mal-être en fumant cigarette sur cigarette... »

« Le double discours de l'ARS... »

Chantal Monteiro, infirmière, note le « double discours de l'ARS, d'un côté bienveillant, favorable à la prévention, annonçant la fin des zones blanches... et de l'autre disant qu'il faut faire des économies. Si on a des projets, ce ne peut qu'être à moyens constants, l'ARS vérifie qu'on ne crée pas de poste, ou alors qu'on le prend sur un autre... » Le Projet régional de santé ne dit pas autre chose, page 128 : « pas de création de nouvelle implantation nécessitant des moyens financiers nouveaux ».

Pourtant, plus loin, il évoque la réduction des « ISTS », acronyme signifiant « inégalités sociales et territoriales de santé ». Et comment les réduire ? Le Projet régional de santé l'affirme page 569 : « l’ARS Bourgogne-Franche-Comté ambitionne de réduire les ISTS en développant une approche de l’offre en santé sur les territoires de proximité dans un cadre de partenariat élargi à tous les acteurs du système de santé (élus, professionnels de santé...) », mais la formule est si alambiquée qu'on a l'impression que l'ARS se paie de mots.

Donner à l'addictologie en déshabillant la psychiatrie...

« On a du mal à construire un service d'addictologie quand l'ARS nous dit de prendre des lits à la psychiatrie ! », dit Emilie Lévêque, une jeune psychiatre. « On manque d'hôpital de jour en pédopsychiatrie », dit le Dr Evelyne Letoublon. « On en manque pour les ados, les adultes et les personnes âgées », complète le Dr Tissot. Comment comprendre le Projet régional de santé quand on y lit sur le sujet : « Pas de nouvelles créations sauf autorisations d’hôpital de jour non mises en œuvre et toujours nécessaires » ? Que si l'autorisation n'a jamais été donnée, malgré la nécessité, on n'en ouvrira pas...

L'ARS entend accroître la présence médicale et soignante. C'est logique, la Bourgogne-Franche-Comté a 18,3 psychiatres pour 100.000 habitants quand la France en a 22,2. Elle a aussi moins d'infirmiers (142 contre 173,5). Envisage-t-elle de créer des postes ? Elle veut surtout mieux les « répartir sur le territoire ». Elle veut encourager « la qualité de vie au travail » et « soutenir les établissements dans leurs problématiques Ressources humaines et dans le cadre des restructurations » par « le dialogue social ».

De quoi inquiéter Gilles Monteiro (SUD) pour qui l'ARS veut « reprendre quatre des 19 jours RTT », ce qui contrarie un personnel déjà mécontent du « non remplacement des arrêts maladie ». Valérie Etienney (infirmière, déléguée FO) va dans le même sens en défendant « des moyens humains pour éviter les listes d'attente... » En fait, c'est la logique des lois Bachelot et Tourraine qui est contestée alors que la confiance dans la majorité actuelle n'est pas bien grande : « Alauzet nous a dit que les députés n'en ont rien à faire de la souffrance à l'hôpital », dit le jeune psychiatre Benjamin Chabod.

 

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