Hommage à Catherine Saucier

Elle était caissière au cinéma Victor Hugo depuis plus de quarante ans. Elle est partie sur la pointe des pieds fin juin des suites d’une courte maladie. Elle laisse les professionnels de cinéma bisontins et les spectateurs dans la tristesse.

C’est au CG  (actuel cinéma Victor Hugo) que tout a commencé.

Le cinéma fait partie de son histoire familiale puisqu’elle est la nièce des pionniers de l’art et essai à Besançon, Pierre et Charlotte Collard. Après avoir géré le cinéma Building, en 1964, le couple d’exploitants achète le local où se trouvait l’imprimerie de la Solidarité rue Gambetta pour créer le CG. Ils deviennent des pionniers du 7 ème art dans les années 70. Pierre Collard achète deux appareils « Victoria 18 » modifiés par ses soins avec des plans dessinés pour le « Cinémécanica » de Milan. Pendant deux ans le CG est le seul au monde à utiliser ces prototypes. Grâce à Catherine lors de l’installation du numérique, ces appareils rejoindront l’Institut Lumière à Lyon.

Par la suite, le couple Collard supprime les caisses fermées en verre afin de privilégier le contact au public. Autre originalité, les séances commencent à midi : on commande son hot-dog et on  vous le livre dans la salle en début de projection. Et plus surprenant encore, la petite salle réussira à être à la fois porno et art et essai. Les films x permettent à la famille Collard d’équilibrer le budget et de proposer des films rares issus de toutes les cinématographies du monde.

Charlotte et Pierre n’ont pas d’enfants et accueillent souvent leurs neveux et nièces dans leur grande maison à Bonnay. Catherine, qui se destine à la carrière de pharmacienne, lorgne déjà du côté du cinéma en faisant des remplacements au CG. De son côté son frère Jean-Christophe entame aussi sa carrière dans le cinéma. La relève est là.

Très vite, Catherine hérite du style de la maison et cultive un vrai amour pour le cinéma honorant ainsi la mémoire d’une famille d’aventuriers qui se sont battus pour l’art et essai bisontin. Avec un profond amour du cinéma, elle exerce le métier de caissière en aiguisant chaque jour son regard, en voyant des films et en réalisant des reportages photographiques sur la vie du cinéma : chaque fois qu’un cinéaste venait, elle faisait des photos qu’elle gardait chez elle comme autant de traces des activités de la salle : elle conservera une galerie de portraits où Coline Serreau côtoie Medhi Charef et Bertrand Tavernier, André Téchiné pour ne citer qu’eux.

Au moment du Festival de Cannes, on réalise chaque jour que le cinéma est un monde clinquant de lumière, de faste et de selfies narcissiques sur le tapis rouge. L’aspect dominant des paillettes fait oublier celles et ceux, qui dans l’ombre, sont pourtant aux premières loges pour accueillir les spectateurs et faire vivre les salles qu quotidien souvent de façon polyvalente : caissières, projectionnistes, ce sont eux qui allument la lumière des halls de cinéma et la nuit ferment les portes. Ce sont eux qui projettent les films, parlent avec les spectateurs du choix des œuvres à voir, animent joyeusement les halls des cinémas et plus particulièrement dans les petits complexes et les petits cinémas à l’image du Cinéma Paradiso de Giuseppe Tornatore. Ici depuis toujours les spectateurs trainent un peu après la séance, parlent des films en gesticulant, s’arrêtent en passant et au-delà de ce rituel cinématographique habituel, évoquent aussi la part secrète de  leur vie qui les conduit au fond des salles obscures. Catherine avait une écoute pudique des histoires, de ce qui surgissait chez chacun à la sortie d’un film : alors, tu as aimé ? Questionnait-elle.

Figure souriante à la caisse, Catherine Saucier savait recevoir les amoureux du cinéma, presque comme on reçoit quelqu’un chez soi. Le cinéma était sa seconde maison. Elle l’habitait en prolongeant la tradition familiale, en inventant un autre rapport au monde de l’image. Ce qui importait pour elle, c’est la profondeur de cet art, au-delà de toute vision simpliste. Soucieuse de maintenir cet élan cinéphile, elle organisait des casse-croûtes dans le hall pour partager de beaux moments avec ses collègues.  Ce qui importait c’était être dans le lien en famille avec ses deux fils Laurent et Nicolas et dans son métier.

Lui rendre hommage, c’est lui redonner sa place dans l‘album coloré de celles et ceux qui font vivre le cinéma de qualité à Besançon, étrange passage dans l’obscurité pour découvrir la lumière.

Une passion, la sienne. Merci Catherine !

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