Hélène Franco : « sortons de la surenchère sécuritaire »

La corédactrice du programme justice et libertés de la France insoumise tient une conférence-débat vendredi 26 janvier à Besançon. Elle dénonce le « bégaiement » du gouvernement en matière de sécurité et la politique du spectacle et du sensationnel à laquelle elle oppose le « travail quotidien ».

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Juge d'instruction à Créteil, native de Lons-le-Saunier, Hélène Franco a co-animé la rédaction du livret thématique justice-libertés du programme de la France insoumise. Elle tient vendredi 26 janvier à Besançon (salle Battant à 20 h) une conférence au titre annonçant la couleur : « Sortons de la surenchère sécuritaire ». 

Le texte de présentation de votre conférence dit notamment « Quand d'autres pays européens (les Pays-Bas, l'Espagne, l'Italie...) ferment des prisons, la France ne tombe-t-elle pas dans la dérive sécuritaire ? » Poser la question ainsi, c'est y répondre ?

Je pose surtout l'affirmation qu'il faut sortir de la surenchère sécuritaire ! Je vais dans un premier temps déterminer les objectifs à atteindre... Le livret sécurité de la France insoumise explique qu'il faut revenir à la raison...

Certes, mais quand on défend ça, on rame idéologiquement...

Regardez ce qui se passe dans les prisons, le malaise croissant dans les ministères de la justice et de l'intérieur, les policiers mal à l'aise... On s'aperçoit que les raisonnables, c'est peut-être nous ! Il faut revenir à quelque chose qui permette d'éviter quatre matelas par terre dans une cellule de 9 m² ! Les conditions de travail sont insupportables pour le personnel pénitentiaire, indignes. Il y avait 50.000 détenus en 2002, on est passé à 70.000 pour 58.000 places...

D'où le programme de construction de prisons !

Ben non ! On observe que la prison, en matière de délits et d'atteintes aux biens, est un outil de récidive : 50% des condamnés récidivent dans les cinq ans !

Les condamnés à des peines alternatives récidiveraient moins ?

Oui. Il faut mettre le paquet sur la réinsertion, la prévention qui a été ratiboisée ces dernières années. Les associations de quartiers et d'éducation spécialisée qui dépendent des budgets des collectivités, eux mêmes contraints par des choix nationaux, ont moins de moyens. Alors qu'elles connaissent les rues, les gens, à la différence des policiers qui se sont éloignés de la population... Besançon a un programme de développement des caméras, mais regardez Nice où il y a le record de caméras par habitants : ce n'est pas une ville connue pour son calme ou sa joie d'être ensemble dans la fraternité républicaine ! Pour ça, rien ne remplace l'humain. La meilleure façon de lutter contre la délinquance existe : c'est éviter le premier passage à l'acte. Sous Sarkozy, on avait un fait divers une loi. On s'aperçoit qu'on n'en est pas sorti. Quand il y a un fait, on envoie un ministre, on fait du spectacle, de la communication, du sensationnel. Mais ce n'est pas ça qui fonctionne, c'est le travail quotidien...

Quand on parle sécuritaire, on songe à l'état d'urgence...

On n'en est pas si loin. On en est sorti, mais on est dans le spectacle, l'affichage, tout en ayant fait rentrer moult dispositions de la loi de 1955 dans le droit pérenne. C'est l'état d'urgence permanent, avec davantage de pouvoirs au préfet ou au parquet qui n'a toujours pas de garantie d'indépendance, et moins de pouvoir de contrôle du juge du siège sur la préservation des libertés.

Que faites vous du contrôle du juge administratif ?

C'est un contrôle a postériori, à la différence de celui du juge judiciaire. L'article 66 de la constitution dit que l'autorité judiciaire est garante des libertés individuelle, mais le Conseil constitutionnel dit qu'il faut entendre par autorité judiciaire juge judiciaire et pas juge administratif... Seul, le juge judiciaire est garant des libertés individuelles. On a mis juge administratif pour faire joli. La dernière loi prévoit des cas de généralisation des contrôles d'identité par la police dans un rayon de 20 km autour des aéroports, des gares et des préfectures... Du coup les deux tiers de la population française sont concernés par des dispositions pérennes ! La police peut contrôler qui elle veut sur la base de l'aspect des personnes. Et pas seulement à propos de terrorisme, mais quand elle soupçonne une personne potentiellement dangereuse pour l'ordre public... Notre groupe parlementaire a déposé une proposition de loi, qui sera débattue le 1er février, sur la remise de récépissé en cas de contrôle... On espère que ce sera débattu. Car de très nombreux rapports concluent qu'en France, quelqu'un qui a l'aspect d'une personne noire ou arabe a vingt fois plus de risque de sa faire contrôler. Ça pourrit la vie de beaucoup de gens. Et beaucoup de policiers souffrent de ce qu'on leur demande de faire...

Les enquêtes ou les élections professionnelles dans la police montrent que les policiers sont globalement assez loin de vos idées...

Il ne faut pas désespérer du pouvoir des idées... Selon la CNCDHcommission nationale consultative des droits de l'homme, 5% seulement des personnes contrôlées vont être interpellées, et ça ne veut pas dire condamnées... Quand des jeunes sont contrôlés quatre ou cinq fois par jour, c'est énorme. Il faut en sortir. En matière de justice, l'adage de la fable de La Fontaine « Selon que vous serez puissant ou misérable, - Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir » se retrouve aujourd'hui dans nos tribunaux. Sur les 600.000 condamnations correctionnelles annuelles, 0,6% ont trait à la délinquance en col blanc. Et on pond des lois sur le droit à l'erreur, et on condamne des gens pour un vol alimentaire qui blesse moins l'ordre public que la corruption... Il faut rappeler que la justice est là pour réguler les conflits, que 60% de ces décisions sont civiles, avec une majorité en matière familiale...

Comme les divorces qui sont désormais du ressort des avocats et des notaires...

Mais la loi dernière loi a fait baisser le nombre de divorces par consentement mutuel et augmenter les contentieux car cela rassure les gens de passer devant le juge ! La France reste 25e dans l'Union européenne pour le budget de la justice par habitant. Nous ne sommes pas que dans l'opposition mais aussi dans la proposition, face au bégaiement permanent du gouvernement en matière de sécurité qui ne fonctionne pas. On a mis trop de choses dans la loi, mais aucune machine, aucune technologie ne remplacera l'humain. Il y a aussi les fausses bonnes solutions, par exemple sur le cannabis. On dit que la loi de 1970 n'est pas appliquée, sauf que 3000 consommateurs sont condamnés chaque année à des peines de prison. Nous avons la loi la plus répressive et une consommation record en Europe, et on attend 50 ans pour dire qu'il y a un problème ! Mettre une amende à la place d'un délit ne résout pas les problèmes d'application discriminante de la loi, ni le problème de fond qui est le problème de santé publique.

Que proposez-vous en la matière ?

Cela ne peut être réglé que par la légalisation qui est très différente de la dépénalisation. Cela signifie des lieux ad hoc pour usage récréatif, une qualité et des prix régulés, l'interdiction pour les mineurs, une grande politique de prévention, et ça pourrait rapporter une taxe. On lei de ça, on fait une politique de Gribouille...

Comment voyez vous l'accroissement du recours aux vigiles ?

Ils vont pouvoir être armés en vertu d'un décret récent. Il faut un agrément de la préfecture, mais c'est dangereux, cette multiplication des armes en circulation... Il y a aussi une importante expérience menée dans l'Oise où des chasseurs ont été appelés à se porter volontaires comme auxiliaires de la gendarmerie...

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