GTJ : un petit morceau du mythe au bout des souliers

Faire une portion de la Grande Traversée du Jura, pour un Franc-Comtois, c'est poursuivre l'exploration de son territoire de vie, l'appréhender selon un autre rythme, au plus près des éléments et du silence, avec une acuité accrue pour les rencontres...

Factuel vous emmène six jours du Locle à Morbier en passant par les alpages du Mont d'Or et le Risoux.

On n'imagine pas de GTJ qui ne passe pas par le Risoux suisse et ses abris qui ont tous un livre d'or... (Photos Daniel Bordur)

La Grande Traversée du Jura est un mythe. Il parle de la montagne, fut-elle moyenne. De cette montagne que certains moquent avec un brin de condescendance en évoquant ses « molles ondulations ». L'expression fera sourire ceux qui ont gravi le Chasseral par la combe Grède... D'autres, qui découvrent le massif jurassien, ne tardent pas à dire leur respect : « plus jamais je ne dirai que ce n'est pas une montagne », nous avoua un soir d'épuisement un rugbyman francilien venu y préparer sa saison. Beaucoup de ceux qui y vivent, de ses piémonts à ses plateaux et ses hautes combes, le savent : c'est une montagne envoûtante, rude et chaleureuse, austère et accessible pour qui s'en donne le temps et les moyens.

La GTJ se décline au pluriel, comme en témoigne l'association de promotion Les Grandes Traversées du Jura. Ses 180 adhérents vivent, pour la plupart, ne serait-ce que partiellement, du tourisme itinérant. Elle promeut « six tracés pour six activités de randonnée en toutes saisons ». Car s'il y a la GTJ à ski ou à pied, il y a aussi la GTJ à cheval, à VTT, à vélo (de route), en raquettes...

Chacun des six tracés proposés par cette association française est aussi justifié qu'arbitraire, suivant les sentiers balisés et les hébergements. De l'autre côté de la frontière, on trouve aussi une Traversée du Jura suisse en ski nordique ou des circuits proposés par des professionnels intitulés, par exemple, Traversée du Jura franco-suisse ou Traversée du Jura vaudois... En fait, chacun peut se construire sa propre GTJ avec son propre parcours, son mode de locomotion, sa progression, ses étapes, son rythme...

Un minimum de préparation

La nôtre a commencé dans un petit coin de tête il y a bien longtemps. Quand on habite ou fréquente le massif depuis des lustres, on accumule les sites auxquels on songe pour le tracé, les petits bouts de sentier, les détours pour une cascade ou une grotte. Quand vient le moment d'établir son itinéraire, on sélectionne. On scrute les cartes au 1/25.000, on calcule, on tombe des nues : tiens, je ne suis jamais passé là ; oh, pourquoi le tracé officiel ne propose pas ce détour ? Bref, la préparation ne s'improvise pas.

La GTJ peut se faire d'un coup, en trois semaines à pied, mais aussi par bribes. Une semaine par ci, un week-end par là. Notre premier tronçon a été effectué à pied durant l'été 2015. Mandeure-Villers-le-Lac. 90 km en autonomie, avec tente de bivouac, réchaud, vivres pour plusieurs jours. Bien que prévenus de longue date, on s'était retrouvé un jour de grande chaleur en manque d'eau. C'est le Jura, il ne faut jamais l'oublier. L'eau s'infiltre vite dans le karst et les robinets ne sont pas toujours là où on les aurait imaginés, par exemple sur le côté de l'usine d'un barrage... Du coup, l'itinéraire officiel passe par des villages... Pas le nôtre en 2015, sauf exception...

Pour sa Longue marche sur la route de la soie, effectuée en quatre tronçons de trois mois sur quatre ans, entre Europe et Chine, Bernard Olivier repartait exactement de l'endroit même où il s'était arrêté l'année précédente. Chacun suit ses propres règles. Nous aurions ainsi pu repartir du Saut du Doubs où nous nous étions arrêtés il y a deux ans. Nous aurions grimpé jusqu'au col des Roches. Nous nous sommes épargné cet effort car le train Besançon-La Chaux-de-Fonds ne s'arrête pas à Villers-le-Lac, car il n'y a pas de car entre Morteau et Villers-le-Lac, car notre recherche de covoiturage a échoué...

Mercredi 9 août

Nous sommes descendus sans remord du train à la petite gare du Col des Roches, juste après la frontière et la longue montée qui fait découvrir les bassins du Doubs. (Plus rare est l'expression Cul des roches, rappelant la figuration du lieu avant le percement du tunnel reliant France et Suisse, utilisée notamment dans L'Arc jurassien, histoire d'un espace transfrontalier). Puis nous avons marché jusqu'à la Brévine en empruntant le sentier des bornes, pas indiqué depuis la gare... Soit dit en passant, il n'y a pas de train matinal pour la Suisse depuis Besançon : la randonnée commençant à la mi-journée, on ne fait pas une vraie étape. 17 kilomètres quand même avec près de 500 mètres de dénivelée positive.

Le sentier des bornes-frontière.
Vue du Meix-Meusy surplombant Villers-le-Lac. Au fond à gauche : Les Fins.
Le hameau frontalier du Petit Gardot. L'hôtel à insectes est une chambre d'hôtes...
Borne frontière au milieu d'un pâturage...
L'un des deux dortoirs du gymnase communal de La Brévine.

Cette fois, le sac à dos ne contient ni tente ni matelas. On ne dirait pas qu'il pèse trois kilos de moins. Normal avec un kilo de livres... Nous avons réservé deux places dans le dortoir du gymnase communal de la Brévine. Le village de 350 habitants, tête de pont d'une commune d'un millier d'âmes, est une des multiples Petite Sibérie, son record de froid bat, de peu, celui de Mouthe... On patine quasiment chaque hiver sur son lac des Taillères, on s'y baigne en été. Pour les randonneurs au budget serré, c'est une bonne adresse : 12 francs suisses la nuit avec accès aux douches, aux toilettes et à la cuisine ! L'équipement propose du trois en un : gymnase, dortoir et salle des fêtes ! Seuls hôtes de ce soir d'août, nous assistons même à l'entrainement du club de hockey ! En prime, nous avons droit à bon de transport valable jusqu'au lendemain dans les cars et trains du canton de Neuchâtel !

Catherine Montero, l'accueillante concierge du lieu, en convient : « ce service n'est pas assez connu... » Nous en avions parlé une heure plus tôt à un sympathique jeune paysan croisé sur le sentier au Maix Lidor, il n'en connaissait pas l'existence. Il élève des vaches laitières sur France à la ferme des Martelottes, et livre à la fromagerie de La Brévine qui fabrique du gruyère. Nous parlons du robot de traite que la filière a un temps essayé avant de le bannir... Plus tôt, avant qu'une fine pluie tombe, la vue sur le val de Morteau, tout le long de la crête-frontière menant au Meix Meusy (1285 m) qui surplombe le téléski de Pierre à Feu, valait à elle seule cette première étape...

Côté suisse, nous passons au large de l'ancien village comtois du Cerneux-Péquignot, enclave catholique en territoire réformé. Quand le Traité de Paris de 1914 fixa la frontière sur les crêtes, la France ne céda que ce village au canton de Neuchâtel qui revendiquait la rive droite du Doubs jusqu'au fort de Joux...

Jeudi 10 août

Le lendemain, la pluie fine continue. Un petit déjeuner pris dans la chaleur d'une auberge nous rappelle la valeur du franc local : 3,20 CHF le petit café, à peine moins en euros... Le volume de nos sacs à dos nous vaut quelques sourires et commentaires encourageants. Nous avons prévu de traverser le plateau forestier qui sépare la vallée de la Brévine de la celle des Verrières, en amont du val de Travers, avant de rejoindre une ferme d'alpage des Fourgs où vit une amie chez qui nous passerons la nuit.

En surplomb du lac des Taillères, le domaine Cotards est musicalement signalé !
Descente escarpée sur Fleurier.

La météo et nos bons de transports nous font prendre une autre option : nous descendons jusqu'à Fleurier d'où nous prendrons le train pour Buttes où un bus doit nous mener au village qui porte le nom charmant de la Côte aux fées... Nous pensons gagner deux heures, mais c'est sans compter avec un impair incroyable pour des Français pensant la Suisse irréprochable sur la ponctualité : le bus n'est pas là ! Par bonheur, un Lausannois qui a à faire à Sainte-Croix nous emmène dans sa Volvo jusqu'au col des Étroits. C'est de là que part la voie normale pour les randonnées, à pied ou en ski, pour le Chasseron, ce beau et complexe anticlinal culminant à 1607 mètres et offrant un enneigement tardif... Il a la particularité d'abriter quelques familles de marmottes et ses pelouses laissent parfois voir, et sentir, de discrètes (et protégées) orchis vanille !

Mais nous lui tournons le dos et nous dirigeons vers le Mont des Cerfs, puis bifurquons à travers la forêt vers l'Auberson. Nous nous gavons de framboises sauvages dont certaines sont succulentes et d'autres quelconques... Un jeune homme en a rempli un seau... Quand nous sortons du bois, trois hommes terminent une besogne prometteuse dans la prairie pentue : la récolte des racines de grandes gentianes...

Un autre imprévu nous fait faire un détour par le village : la petite route des Grangettes est interdite pour cause d'exercice hebdomadaire de tir ! C'est un mal pour un bien, tant le gruyère de la fromagerie Tyrode vaut d'être goûté. On est surpris de constater une sorte de survivance de la coulée : chaque paysan vient livrer avec son tank à lait. Du coup, c'est une occasion quotidienne d'échanger, même si c'est bref. En zone comté, c'est un camion qui fait le ramassage de ferme en ferme...

On passe un peu interloqué devant une affiche vantant l'union PLR-UDC lors des élections cantonales vaudoises du printemps dernier remportées par l'alliance PS-Verts... Cette union des libéraux-radicaux et de l'UDC, c'est un peu celle de la droite modérée et de la droite dure... Les situations et attitudes politiques helvète et française sont peu comparables, mais c'est un peu comme si LR s'alliait au FN...

Village-rue, l'Auberson accueille un étonnant et réjouissant musée des automates et des boîtes à musique. On y voit des orchestres-machines qui ont, en leur temps fait danser l'Europe. Parmi les façades austères et sophistiquées, entre les ateliers et les grandes fermes, l'école ne craint pas d'afficher une formule un peu surannée en laquelle réside sans doute un secret du caractère montagnard. Ce vers de La Fontaine a tout pour nous rappeler des souvenirs et nous réjouir...

L'Auberson.

Nous sommes contents d'arriver, d'offrir des framboises à notre hôtesse qui a préparé un bon repas, de prendre une douche, de nous endormir au son des clarines... On songe cependant que les pauvres ruminants domestiques ne peuvent brouter ou bouger en silence. 

Vendredi 11 août

Il pleut dès le réveil. Nous attendons que la rabasse se calme pour démarrer. Marcher sous la pluie nous fait baisser la tête. Nous admirons du coin de l'oeil la petite tourbière de la combe du Voirnon. La veille, notre changement de programme nous a empêchés de voir celle, grande, majestueuse, de la Vraconnaz. Il y a trente ans, des pluies diluviennes survenues après une période de sécheresse avaient produit un gigantesque glissement de 150.000 mètres cubes de tourbe sur 300 mètres... 

L'objectif est le refuge du Gros Morond du Club alpin. L'itinéraire passe par les sympathiques alpages du Mont de l'Herba. Méconnu, ce petit sommet de 1303 mètres d'altitude est - par temps clair - un superbe belvédère donnant sur les sommets plus connus qui l'entourent : Larmont, Chasseron, Aiguilles de Baulmes, Suchet, Mont d'Or... Le chalet du Mont de l'Herba où François Weidmann fabrique du fromage fermier, chose rarissime dans le Jura français où l'on réserve les alpages aux génisses et aux vaches allaitantes, où le fromage est fruitier, autrement dit issu du lait de plusieurs élevages...

C'est en descendant sur les Hôpitaux-Neufs que nous croisons les premières citernes. Désormais, tout au long de notre progression vers le sud-ouest, chaque alpage a le sien, plus ou moins debout, plus ou moins entretenu selon la fréquentation des troupeaux. Un petit toit d'un ou deux pans recueille l'eau de pluie que des chéneaux convoient vers une citerne enfouie dans le sol. En contrebas, alimenté par un tuyau, un abreuvoir permet aux troupeaux de boire. Selon l'humidité du fourrage, une vache boit de 30 à 80 litres d'eau par jour...    

Quand nous arrivons au village, une nouvelle averse survient. Nous casse-croutons à l'abri du toit du guichet du Conifer. Ce petit train touristique donne depuis quelques années une seconde vie à l'ancienne ligne de chemin de fer Pontarlier-Vallorbe, en partie démontée. Les touristes affluent et les mécaniciens alimentent la chaudière : nous patientons jusqu'au départ cérémonieux et joyeux. C'est une affaire qui marche et pourrait déboucher sur la prolongation de la ligne jusqu'à Pontarlier...

Le Conifer en gare des Hôpitaux-Neufs, avec des tas de bois, combustible faisant fonctionner la chaudière de la vieille locomotive...
Le refuge du Gros Morond du Club alpin.

Il pleut toujours quand nous reprenons le sentier qui doit nous conduire au refuge de l'autre côté du Morond. Quand nous arrivons, à la tombée du jour, après 600 mètres de dénivelée positive et 400 de descente, la lumière est allumée. Nous partageons notre repas avec Nathanaël, étudiant en école d'ingénieur à Lyon. Il avait prévu une randonnée de plusieurs jours avec son père, mais ce dernier s'est fait une entorse et a dû renoncer. C'est donc seul qu'il poursuivra le lendemain sa route dans une direction opposée à la nôtre.

Samedi 12 août

La météo a prévu des éclaircies mais elles sont peu matinales. Nous partons dans la brume dont les imperceptibles mouvements indiquent qu'elle va se lever. Nous passons par le lac du Morond, en fait la réserve collinaire dont l'eau est censée, l'hiver, alimenter 90 canons à neige... Contesté par des associations de défense de la nature qui invoquent notamment des raisons climatiques, le projet, réalité depuis 2013, fait depuis deux ans la joie de quelques pêcheurs à la truite et d'un site parodique ! C'est peu dire que son caractère artificiel saute aux yeux... mais n'a pas l'air de froisser le peu farouche chamois que nous croisons sur le GR 5 qui suit la crête.

Le soleil se montre quand nous parvenons au sommet nord du Mont d'Or. La vue n'est pas très dégagée, on ne voit rien des Alpes, et, partiellement, le nord du Jura avec, au pied, le lac de Neuchâtel. Tout près, la Dent de Vaulion montre sa raide paroi rocheuse, plus loin la longue crête du Mont Tendre, au sud, c'est à peine si l'on devine les Monts Jura... Quelques instants plus tard, je suis assez fier de nommer tous ces éléments de paysage à un artisan de Haute-Loire venu randonner sur le Jura... 

Nous descendons par les alpages de la Vermode, la Grande Echelle et sommes vite arrivés à la Petite Echelle que tient Norbert Bournez. Adhérent de l'association des bergers franco-suisse, il en a fait en quelques années un lieu aux multiples ressources. De nombreux randonneurs y font une pause déjeuner. Nous sortons notre pique-nique sur une table à l'extérieur et commanderons un dessert et un café. C'est un réflexe de consommer quelque chose car entretenir un tel lieu demande des efforts constants.

Un chien passe dans le jeu de quille, un chaton court en tous sens à travers le jardin, Norbert vient à notre table un instant faire la chronique du coin. Il dit son incompréhension devant l'usage d'un désherbant par son collègue de l'alpage voisin sur des églantiers d'une haie mitoyenne ! Je vais voir sur place, c'est en effet édifiant. Quel intérêt y a-t-il à épandre de la chimie sur des pâturages extensifs ? Je fais quelques photos.

Le controversé lac du Morond.
Au sommet du Mont d'Or...
Citerne sur l'alpage de la Vermode, sous le Mont d'Or. Symbole de l'alpage, la citerne récupère l'eau de pluie pour la stocker dans un réservoir et alimenter un abreuvoir quelques mètres en contrebas. Sans elle, pas de pâturage autonome.
Les églantiers passés au désherbant : plus de confiture de cynorhodon ! 
La Petite Echelle...
Une yourte dans le Haut-Doubs ! Rien à voir avec un chien dans un jeu de quilles...
Un alpage dans le Risoux...
La ferme de la Béquet.

Nous repartons. Nous passons d'un alpage à l'autre, coupant à travers bois, renonçant à la route suisse qui longe la frontière : moins sinueuse, mais trop encaissée pour qu'on profite de ce reposant paysage de prés-bois. La ferme de la Béquet est sacrément belle avec ses volets rouges. Tiens, on refait le toit de la Gentille Neuve dont le chien nous salue bruyamment et la maîtresse d'un geste amical. Nous passons devant la Gentille Vieille, laissant à tribord la Grange Nourrie, le chalet Derrière les Crêts et la Grange Royet.

Le Pré Loin n'est plus très loin quand nous rejoignons Jules qui marche sur le sentier. Il y va comme nous. Nous y passerons la nuit, dans le grenier, sur un matelas, dans notre sac de couchage... A 5 h 27, le coq chante et nous réveille. Gérard Vionnet, le paysan naturaliste qui garde le même troupeau suisse sur l'alpage depuis quelques années était soucieux la veille. Il est rassuré ce matin. Il a cherché une partie de la nuit une vache partie se cacher en forêt pour vêler, comme l'an dernier quand son veau avait disparu. Gérard a fini par la repérer et le petit, né dans la nuit, va bien.

Dimanche 13 août

Entre deux gorgées de café il m'interroge : « tu as entendu la chouette chevêchette ? » L'oiseau, rare, ne se laisse pas facilement approcher. Souvent il se tait à l'approche d'un humain... Non, je ne l'ai pas entendue, je dormais... Dommage. Gérard raconte une autre histoire d'oiseau, sa relation avec l'oie grise qui accompagne l'alpage avec trois oies blanches. A notre arrivée, nous avions été prévenus : « attention, il ne faut pas lui tourner le dos, elle est agressive par derrière... »

L'oie grise semble attaquer en tendant son cou à l'horizontale et en s'élançant vers son adversaire supposé. Parfois, Étoile, la chienne de conduite de troupeau laisse faire : l'oie prend contact en donnant de petits coups de becs amicaux sur la main de Gérard. Parfois, Étoile s'interpose : elle a décelé une agression. « Je ne vois pas la différence, elle si », dit-il. Vincent, artiste de cirque sensible, veut en avoir le coeur net. L'oie l'avait - apparemment - agressé. Il la prend par le cou d'une main ferme, lui fait la leçon et la relâche. Puis entame un étonnant dialogue de la voix et du geste : l'oie vient au contact de sa main avec délicatesse... L'assistance est bluffée.

Nous ne tardons pas, car notre chemin est long à travers le Risoux. Nous rejoignons le Poteau et repassons en Suisse. Nous empruntons une route longeant la frontière, se transformant bientôt en chemin, puis en sentier. Elle est bordée d'abris, des petits chalets dotés d'un petit fourneau et d'une réserve de bois, d'une table et de bancs, parfois d'une petite terrasse. Pour les riverains du Risoux, notamment les habitants de la vallée de Joux, c'est un but de promenade en forêt, à pied, à cheval ou en vélo. A ski ou en raquettes l'hiver...

La délicatesse de l'oie...
Un passage piéton dans la frontière, au Poteau...
Émotion entre la Roche Champion et la Roche Bernard, une stèle à la mémoire de ceux qui ont fui les nazis et de ceux qui les ont guidés dans la montagne... 
Le chalet Gaillard, refuge de montagne.

Ils ont pour noms Corne aux fer, Belle étoile, Kennedy, la Christine, la Girouette, les Mines, la Marocaine, la Gare du nord, l'Hôtel d'Italie... Nous faisons une pause au Rendez-vous des Sages avant de repasser la frontière, sans doute un peu trop tôt... Car côté français, le sentier joue un peu trop aux montagnes russes et nous casse les jambes. Nous arrivons à la Roche Champion qui surplombe Chapelle-des-Bois, les lacs des Mortes et de Bellefontaine... Nous sommes dans une carte postale où une brise légère annonce la fin de l'après-midi. Un coup de téléphone au Chalet Gaillard s'impose : « on sera un peu en retard pour le dîner... »

On tombe sur la sculpture en mémoire des pistes permettant de fuir les nazis pendant l'Occupation. De passer en Suisse grâce à des passeurs, des héros ordinaires risquant leur vie. Je suis souvent passé là, je n'avais pas encore vu cette œuvre qui fait forte impression quand, au détour du sentier, elle s'impose au regard et vous plonge dans l'histoire, interpelle votre humanité et votre éthique. Nous nous recueillons silencieusement un instant.

Nous repartons.

Hervé Leroy nous accueille avec chaleur sur le parvis, nous met à l'aise et nous invite à passer à table sans trop tarder. Après 23 km et 550 mètres de dénivelée, la douche peut attendre un peu, non ? Lydie Broissand est en cuisine. Tous deux Normands, ils ont repris en 2015 ce refuge bien pensé à qui ils apportent un petit plus de convivialité. A l'énergie solaire déjà présente, ils ont ajouté des toilettes sèches et installé une petite salle de bains près du dortoir de 19 places qui a tout de la simplicité montagnarde. Seul bémol, le parquet grince et chaque lever nocturne se signale... La solution pour ceux qui ont le sommeil léger : des boules Quiès !

Lundi 14 août

Nous quittons le chalet Gaillard trop tard, prenons notre temps, profitons d'une belle journée en forêt. Une brève halte au Chalet des Ministres dont une rumeur dit qu'il aurait servi aux négociations préalables aux accords d'Evian qui mirent fin à la Guerre d'Alégrie. Mais il est plus poétique de signaler que c'est ministres qu'on appelait jadis les ânes dans le Jura...  

Nous descendons sur Bellefontaine avant de remonter par le col des Trois commères qui redescend sur Morbier, terme du second tronçon de notre GTJ. Plus tard, viendra l'heure des bilans, des comparaisons entre autonomie et étapes programmées. La première donne la liberté du choix de la halte nocturne, la latitude de prolonger l'étape en fonction des aléas dont la météo. Ce sont des contraintes techniques et du poids à porter. Les seconds apportent du confort, permettent des retrouvailles avec des amis qui vous accueillent en des circonstances particulières.

Songeant parfois au poids qui finit par peser au fil des jours, on se dit qu'un ministre, pardon, un âne, pourrait porter notre fardeau... L'animal est amical, mais il induit aussi des contraintes particulières... Une piste à mûrir pour le troisième tronçon... 

Le Chalet des ministres...
Les barbelés sont omniprésents, surtout côté français où les murgers (murs de pierres sèches) sont globalement moins bien entretenus, et parfois passés au casse-caillou. C'est normal de refermer les barrières de pâtures après être passé, mais si la poignée des barrières est aussi en barbelé (ici à Bellefontaine), ce n'est pas une façon de le demander gentiment !

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