Grandeurs et misères de la justice

Lors de l'audience solennelle de rentrée du tribunal de grande instance de Besançon, la présidente et la procureure ont dénoncé, vieille rengaine, l'insuffisance de moyens alloués à la justice. Il y a seize magistrats pour vingt postes, résultat : les procédures civiles s'entassent et cèdent la place à la priorité politique, le pénal.

palaisjustice

Dans la salle des pas-perdus de l'ancien parlement de Franche-Comté qui fut longtemps le siège du Tribunal de grande instance de Besançon, les robes noires trinquent. C'est l'heure de l'apéritif et des voeux. Chacun vient féliciter les deux femmes en vue de la matinée : « bravo pour votre discours... », « félicitations pour vos propos... », « quelle colère ! » 

Yolande Rognard et Edwige Roux-Morizot remercient, sourient, poursuivent l'argumentaire. La présidente et la procureure  du TGI ne se sont pas concertées, mais elles ont toutes deux décrit, lors de l'audience solennelle de rentrée, une situation catastrophique. Ce n'est pas nouveau, mais le ton et la teneur des propos étaient plus graves qu'à l'accoutumée. A tel point qu'à peine l'audience levée, Mme Rognard s'est retrouvée sollicitée par le préfet Raphaël Bartold, le député Eric Alauzet et le maire Jean-Louis Fousseret qui mettait notamment l'accent sur les ravages de la RGPP, la révision générale des politiques publiques de Sarkozy, prolongée par Hollande... jusqu'au pacte de sécurité dont on attend les effets.

Après l'audience, aparté entre le préfet, le député, le maire et la présidente du tribunal... sur les moyens de la justice.

 

Un instant plus tôt, de son siège de présidente, Yolande Rognard s'était faite historienne des audiences solennelles, indiquant que les premières, au 14e siècle, se terminaient par une messe et... une quête pour la justice. Déjà. Plus près de nous, 2015 a vu la juridiction tomber à « 14 puis 16 postes de magistrats, parfois 18, au lieu de 20 : sans le secours de la cour d'appel, nous aurions sombré ». Cette situation a conduit à des choix : « la priorité allant au pénal, l'activité civile a souffert ». Ça devrait s'améliorer cette année, notamment la justice familiale, pour une raison morale : « laisser se détériorer les familles est grave pour l'avenir ».

« La présence à l'audience gardera-t-elle un sens avec la visioconférence ? »

Il n'y a pas que le manque de postes, magistrats et greffiers, qui pose problème, mais aussi les questions matérielle et logicielle : « deux des trois cabinets d'instruction ont numérisé les deux tiers de leurs dossiers ». Cela n'empêche pas la numérisation d'arriver parfois comme un cheveu sur la soupe, de véritables craintes accompagnant le projet de loi pour la République numérique qui doit être discuté le 19 janvier à l'Assemblée nationale.

La présidente du TGI, Yolande Rognard, discutant avec le procureur général Jérôme Deharveng.

 

Il inclut certes le droit à la connexion, mais la présidente Rognard s'interroge : « Si Cabu se demandait si l'on peut rire de tout, peut-on numériser l'ensemble de la Justice ? La présence à l'audience gardera-t-elle un sens avec la visioconférence ? » Poser la question, c'est, semble-t-il, y répondre. Ne serait-ce parce qu'il « existe un lien direct entre la matérialité et le sens d'une institution ».

Il y a enfin un risque d'anachronisme : « on ne peut pas supprimer tous les papiers tant qu'on n'aura pas des tablettes autrement qu'au stade expérimental ! tant qu'on ne pourra pas signer électroniquement des actes ! » Bref, le refrain entendu sur tous les tons depuis des années n'a pas beaucoup changé : « la Justice doit avoir les moyens de son action... On ne peut par exemple par lui confier de nouvelles charges, comme le transfert du tribunal du contentieux de la Sécurité sociale aux TGI, sans moyens... »

Edwige Roux-Morizot, procureure : « Nous avons décidé de nous faire entendre autrement ».

 

Auparavant, la procureure Edwige Roux-Morizot avait commencé ses « réquisitions » par le « rude premier trimestre de violences urbaines insupportables » à Besançon où les « leaders de quartier envoient des mineurs incendier des voitures ». S'ils croyaient que la justice allait être « moins sévère », c'est raté et les enquêtes « d'envergure ont permis de calmer ces quartiers gangrénés par les trafics ». Elle salue à ce propos « l'action du maire qui a conduit à avoir des renforts policiers ».

« Comment une démocratie digne de ce nom peut transformer ses chefs de cours en épiciers ! »

Comme sa consoeur du siège, la parquetière parle du « contexte général de pénurie » qui impacte la justice. D'ailleurs, tous les procureurs se sont donné le mot lors de leur conférence nationale dont elle membre, pour intervenir assez fermement lors des audiences solennelles où le pouvoir est représenté : « Nous avons décidé de nous faire entendre autrement ». Et s'il est un lieu où il ne peut pas répondre, séparation des pouvoirs oblige, au moins formellement, c'est bien un tribunal. Donc, il s'entend donner des leçons : « Comment une démocratie digne de ce nom peut transformer ses chefs de cours en épiciers ! »

On se croirait même revenu sous Sarkozy quand elle ajoute : « Comment une démocratie peut-elle nier l'indépendance du parquet ? » Elle poursuit sur les moyens et ironise avec un détail qui en dit long : « L'an dernier, la mesure phare du chantier pour la justice du 21e siècle a été l'arrivée d'un téléphone hérité d'un ministère qui l'avait réformé... La pénurie fait courir des risques d'erreur... »

Tout, dans ces brefs discours, sonne l'alarme. Indépendance du parquet, moyens de fonctionner, statut du juge... Ce dernier point n'a rien de banal pour Mme Rognard : « est-il une autorité indépendante ou un simple agent du service public dépendant et tributaire des moyens alloués » par d'autres ?

Le sénateur Jean-François Longeot a compris la leçon : « on a un sacré costard », nous glisse-t-il...

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