Grand écran et Streaming…

À la réouverture des salles, faire l’expérience du premier jour. Ensuite, essayer de suivre une partie du Festival Annecy Animation en streaming. Cette semaine on vous propose un curieux voyage entre l’émotion humaine du cinéma et l’approche d’un Festival derrière un ordinateur…

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Suite à la crise sanitaire, les salles ont ouvert leurs portes lundi dernier et nous étions une quinzaine à la première séance pour découvrir « L’ombre de Staline », film d’Agnieszka Holland. Retrouvailles dans le hall du Victor Hugo. Les spectateurs présents étaient la poignée de cinéphiles bisontins, les habitués de la première séance du mercredi, ceux qui s’aventurent dès la sortie des films par peur de manquer quelque chose. Il y avait du bonheur dans l’air d’autant plus que les conditions sanitaires étaient des plus rassurantes. Aller au cinéma est sans doute moins dangereux qu’un bain de foule le soir de la fête de la musique à Paris.

 Le retour de l’émotion collective

Dans « L’ombre de Staline », Agnieszka Holland revient sur l’histoire vraie du journaliste gallois Gareth Jones qui dénonça la famine organisée par Staline en 1933. Ayant réalisé une interview d’Hitler, le jeune journaliste décide de rencontrer Staline pour le faire parler de l’opulence constatée à Moscou. Il apprend le décès d’un ami journaliste et se rend en Ukraine où Staline a planifié « l’Holodomor », extermination par la faim de la population. En enquêtant sur la famine, le journaliste connaît à son tour l’absence de nourriture et la misère. Comme les autres humains, il subit la faim, se nourrit de racines et de chair humaine. La réalisatrice tient son sujet jusqu’au bout et met le spectateur face à cette histoire avec une grande sobriété. Loin des salons moscovites, elle nous entraîne dans la campagne glaciale où des hommes tentent de survivre.

À la fin du film, attroupés dans le hall à bonne distance, on a parlé du film. Un retour à notre vécu de cinéphile dont le confinement nous a privé.

Je décide d’enchainer avec une autre nouveauté « Benni », film allemand de Nora Fingsheidt. C’est l’histoire d’une petite fille négligée par sa mère et dont la vie oscille entre un foyer et des séjours en psychiatrie. Ce premier film surprenant doit son efficacité à la jeune actrice dont l’énergie enflamme chaque plan. Il a obtenu le Prix du Premier film au festival de Berlin.  

À la sortie du film, la caissière et le projectionniste entament une discussion sur notre ressenti. C’est cela, l’ambiance des salles Art et Essai.

 Un Festival en streaming

Il y a deux ans j’étais invitée comme membre du Jury Français pour assister au Festival International Annecy Animation, voir les films et remettre le Prix FIPRESCI (Prix de la Critique Internationale). Une manifestation avec un public extrêmement jeune. Dans les salles, on croisait des Japonaises avec des jupes plissées et des socquettes, des Brésiliennes joyeuses, des élèves de classe de cinéma en train de dessiner des story-boards dans les files d’attente, des jeunes gens aux cheveux colorés, bref des spectateurs du monde entier.

À chaque passage de la bande annonce du festival, le public scandait le rythme avec ses mains et de temps en temps, un spectateur ou l’autre rivalisait en imitant dans l’obscurité des cris d’animaux, véritable rituel auquel il eût été difficile de se soustraire.

Dans ce climat joyeux, le cinéma avait l’allure d’une fête.

Cette année le festival a lieu entièrement en streaming. J’ai donc acheté un pass pour regarder des films à la maison. Après le confinement, porté par l’absence de déplacement, on peut se sentir attiré par le cinéma en ligne. Après tout, les images sont là et quand on aime le cinéma d’animation, pourquoi s’en priver. J’ai donc regardé de très beaux programmes de courts-métrages ; il faut dire que cet art au croisement de l’artisanal (dessins, peinture, ou pâte à modeler) et du numérique révèle de la poésie. Et ce cinéma parle autant du monde que les autres genres cinématographiques.

 L’écran dans le quotidien

J’ai vu de vraies pépites à l’instar d’un film chinois « The Town » de Yfan Bao. Dans une usine de fabrication de masques, travailleurs et travailleuses façonnent le même masque épinglé sur la base du visage. Le film dessine un univers où tout le monde se ressemble. Les ordres viennent d’en haut, d’un haut-parleur et il ne faut surtout pas dévier ou dessiner des masques où apparaissent des sentiments, rire ou douceur. Ce film, oppressante métaphore de la vidéo surveillance et de la reconnaissance faciale, révèle avec un style proche de la bande dessinée une critique de la société chinoise. Un autre film sur l’envahissement des écrans dans nos vies montre à quel point nous sommes désormais modelés par Internet et autres consorts. « Machini », film de la République du Congo de Frank Mukunday et Tresor Tschibango propose une vision de l’impact écologique de l’industrie minière kartangaise sur la vie des habitants de Lumbumbashi. Etrangement, le film offre une vision presque poétique de la désolation, de la destruction de la nature et des villages. Comme s’il choisissait de mettre le spectateur dans la nostalgie de la beauté.

 De ce petit voyage à bord de mon écran d’ordinateur, il manque l’approche charnelle du cinéma, ce qui fait qu’on se frotte aux autres, à leur imaginaire dans l’obscurité. Dans les Festivals on va d’une salle à l’autre. On est porté par le désir. À la maison, le streaming s’installe dans le quotidien et se glisse entre les différentes tâches. On se lève pour faire autre chose. On perd le fil et cela devient un geste plus anodin et parfois dépouillé de possibilités de rêves.

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