Gérardmer : l’autre Nouvelle Vague

Le 26ème Festival du Film Fantastique a récompensé Puppet master : the littlest reich, un film de pantins nazis, et The Unthinkable, une drôle d’apocalypse suédoise. Il a mis un coup de projecteur sur la « french frayeur », le cinéma d’horreur à la française. L’Heure de la sortie (photo ci-contre, actuellement en salles) a servi d’étude de cas lors d'une table ronde sur le rôle du CNC et le financement du cinéma de genre...

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Ce sont des poupées tueuses (Puppet Master : the littlest reich) et un intrigant film d’apocalypse suédois (The Unthinkable) qui ont été récompensés hier soir, lors du 26ème Festival du Film Fantastique de Gérardmer (lire par ailleurs). Mais c’est aussi le cinéma d’horreur à la française qui y a été mis en valeur dans Beyond Blood, un documentaire réalisé par un jeune cinéaste japonais, Masato Kobayashi.

« Ce film est un petit documentaire sur un phénomène énorme au Japon, c’est aussi une déclaration d’amour au cinéma de genre », dit le réalisateur, qui met un coup de projecteur sur « la nouvelle vague du cinéma d’horreur français ». Ces films « très viscéraux, barrés, gore, sanglants, extrêmes », tournés par de jeunes cinéastes lors de la décennie 2000-2010, ont pour la plupart été sélectionnés à Gérardmer, où certains ont même été primés.

En vrac et dans le désordre, on peut citer : Haute tension d’Alexandre Aja, Martyrs de Pascal Laugier, Frontière(s) de Xavier Gens, A l’intérieur d’Alexandre Bustillo et Julien Maury, Ils de Xavier Palud et David Moreau, Maléfique d’Eric Valette, Calvaire de Fabrice du Welz (membre du jury cette année), Sheitan de Kim Chapiron, La Traque d’Antoine Blossier…

« J’ai été complétement choqué, fasciné, par ces films français, ils étaient uniques mais aussi très beaux, ils sont totalement fous, j’adore ça », confie Masato Kobayashi, emballé comme de nombreux fans du genre par ce cinéma « en colère ». « Cette appellation de new wave of french horror vient vraiment de l’étranger, on a vu apparaitre ce terme avec des journalistes américains qui l’ont identifié. Quand on regarde bien la date de sortie des films, c’est assez étalé, c’est très loin d’être une vague en fait, c’est vraiment distillé au milieu de la production française », estime Julien Maury.

Lorsqu’ils tournaient leurs premiers longs-métrages, ces jeunes cinéastes français n’avaient pas vraiment le sentiment d’appartenir à une nouvelle vague. « Avec Julien, on avait écrit A l’intérieur avec la volonté de faire le film quoiqu’il arrive, même en sortant des sentiers battus, on était prêts à le faire de façon totalement amateur, on avait juste la volonté de tourner un film d’horreur, tout simplement », confie Alexandre Bustillo, « On s’est retrouvé estampillé french frayeur, mais le terme french frayeur n’était pas connu du grand public ».

« Les sales gosses du cinéma français »

En finançant alors des films de genre, Canal+ a largement contribué à ce que ces films, avec de la violence et du sang dedans, puissent se faire. « Il y a un petit plaisir coupable à choquer, à être un peu les sales gosses du cinéma, mais notre première motivation, notre énergie, c’était : voilà un film qu’on aimerait voir au cinéma et qui n’existe pas en France », dit Julien Maury, « Un vrai film d’horreur assumé, à l’époque il n’y en a pas. Il y a une envie de sortir du carcan hyper codifié du cinéma français, le polar, la comédie, et une envie de pousser un peu les murs, mais à l’époque quand on nous offre la possibilité de faire un premier film, le réflexe c’est de faire le cinéma qu’on aime ».

Mais si ces films ont été remarqués dans des festivals étrangers, notamment à Toronto, et ont connu le succès à l’exportation, la plupart ont été des échecs commerciaux en France. « Il y a un désintérêt pour ce genre de films en France, c’est l’inverse à l’étranger, en particulier au Japon », constate Xavier Gens (parrain du Jury jeunes de cette édition du festival), qui fut, comme plusieurs de ses confrères, sollicité par le cinéma américain pour réaliser Hitman. Alexandre Aja fait sa carrière aux Etats-Unis, Bustillo-Maury y ont fait Leatherface, et c’est avec une production internationale que Pascal Laugier a reçu l’an dernier le Grand Prix pour Ghostland.

« Le problème, c’est que la plupart du temps, les films sont peu distribués en France ou sortent à soixante copies pour tout le pays, c’est aussi en grande partie imputable aux exploitants qui n’en veulent pas. Pour notre second film, Livide, on a eu la bonne idée de sortir la même semaine que Intouchables… », se souvient Alexandre Bustillo.

A la fin de Beyond Blood, les réalisateurs interviewés par Masato Kobayashi estiment que « la vague est passée ». Pourtant en 2017, Grave, de Julia Ducournau, a reçu le Grand Prix du Festival de Gérardmer avant d’aller aux Césars avec six nominations. L’an passé, plusieurs films français ou coproductions françaises étaient sélectionnés dans les Vosges, dont le film choc de Coralie Forgeat, Revenge, La nuit a dévoré le monde de Dominique Rocher, Cold Skin de Xavier Gens (certes pas sorti en salles en France), et bien sûr Ghostland. Et il n’est plus si rare que des films de genre soient sélectionnés au Festival de Cannes, certes dans des sections comme La Semaine de la Critique ou La Quinzaine des Réalisateurs.

« On sent qu’il y a un petit soubresaut, un retour en grâce du cinéma de genre, c’est balbutiant, mais on sent que ça bouge, qu’on a à nouveau l’écoute des producteurs », constate Julien Maury qui, avec son compère Alexandre Bustillo, devrait tourner un vrai film d’horreur cet été, « un nouveau french frayeur ». « Que le CNC donne son aval à des films de genre, c’est un signe fort. Grave a beaucoup joué pour ça, il a cette qualité d’être fédérateur, il est estampillé genre mais assez grand public, avec une dimension sociale, émotionnelle, qui peut toucher des gens de différentes sensibilités, ils vont enfin voir qu’on n’est pas que des assoiffés de sang », ajoute le réalisateur.

« Le cinéma de genre fait peur aux distributeurs »

Le CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée), il en était aussi question lors d’une table ronde organisée à Gérardmer, et intitulée « L’heure de la sortie ou les aventures d’un film de genre dans les griffes du cinéma français ». L’heure de la sortie, film de Sébastien Marnier (actuellement en salles) a ainsi servi d’étude de cas. Dans cette fiction, « entre Le Ruban Blanc d’Haneke et Le Village des Damnés », Laurent Lafitte joue un prof remplaçant (le titulaire s’est jeté par la fenêtre) d’une classe de collégiens surdoués et trop lucides. « C’est un film singulier et oppressant, très sombre, un projet compliqué, ce ne sont pas des films très aisés à produire, mais on a réussi à le produire et à le financer correctement », convient le réalisateur.

En 2018, le CNC a lancé un premier appel à projets de films de genre, soumis à une commission présidée cette année par la réalisatrice de Grave, Julia Ducournau. « On a fait cet appel pour le fantastique, la science-fiction, l’horreur… Nous avons reçu 94 projets au lieu de quinze les autres années. Au final, trois projets seront aidés, trois premiers films soutenus à hauteur de 500.000 € chacun », précise Thomas Sonsino, responsable des commissions d’aide à la production du CNC. « L’avance sur recettes est un mécanisme très ancien, depuis 1960, mais le CNC n’est pas l’antre du cinéma d’auteur à la papa, c’est une commission qui a pour mission de prendre des risques artistiques », ajoute-t-il.

« Le cinéma de genre reste difficile au niveau de la distribution, ça fait peur aux distributeurs, c’est aussi quelque chose qu’on essaie de gommer sur la communication du film », dit Caroline Bonmarchand, productrice (Avenue B Productions) de L’Heure de la sortie. « On a quand même un public vieillissant dans les salles, et on ne sait pas comment faire venir les jeunes sur des films français, on veut faire des films qui sont vus par les gens », dit-elle.

« Il y a autant de financements que de films », estime la productrice, détaillant celui de L’Heure de la sortie : un budget de 3 millions d’euros, pas l’avance sur recettes du CNC, mais de l’argent obtenu auprès des « guichets classiques » du cinéma français, le soutien de Canal+, une avance du vendeur international, du distributeur français, de l’éditeur dvd, l’aide de la Région Île-de-France, une aide à la musique et aux effets spéciaux…

Sorti le 9 janvier la même semaine que Les Invisibles, le film plafonne à 80.000 entrées. « La date de sortie, c’est là où on maîtrise le moins de choses, on peut se poser la question si c’était une bonne date », dit Sébastien Marnier, qui faisait partie du Jury courts-métrages de Gérardmer avec son collègue Vincent Mariette, qui a lui aussi réalisé un film de genre sorti en janvier, Les Fauves (avec Laurent Lafitte et Lily-Rose Depp). L’Heure de la sortie et Les Fauves, deux films français à bonne dose d’étrangeté qui auraient bien pu être sélectionnés à Gérardmer, mais sortis quelques semaines avant le Festival.

« Le fantastique est un miroir déformant de la réalité »

« John Carpenter disait que dans son pays il est considéré comme un faiseur, et en France comme un auteur », rappelle Alexandre Bustillo. « Vive la France », criait en français Eli Roth, réalisateur américain à qui le Festival a rendu hommage. « C’est un soutien qu’on ne retrouve pas aux USA », estime le cinéaste « culte » du cinéma de genre, notamment avec la série Hostel, « une déflagration », et dont les premiers films avaient été sélectionnés à Gérardmer.

« Ce que j’aime dans le fantastique, c’est que souvent ça permet d’aborder des sujets qui sont difficiles à aborder de manière frontale dans un film réaliste, des sujets un peu tabous, un peu durs, c’est souvent un miroir assez déformant de la réalité », confie Gilles Penso, journaliste spécialisé et coréalisateur avec son complice Alexandre Poncet, d’un documentaire dont la toute première projection a eu lieu à Gérardmer, Phil Tippett : mad dreams and monsters. Un film consacré à ce « génie » des effets spéciaux et du cinéma d’animation en stop motion, créateur de monstres et créatures pour Star Wars, Jurassic Park, Robocop, Starship Troopers… « Quand on utilise des extra-terrestres pour parler du racisme, par exemple, ou quand on montre un monde futuriste pour nous parler des dérives de notre société, ça a souvent plus d’impact, on peut aller très loin et se servir du prétexte du fantastique, de la science-fiction, pour raconter le présent, c’est ça qui est très intéressant », estime Gilles Penso.

Toujours aussi potache et fan du genre, le public du festival vosgien a vibré lors du bel hommage rendu à l’acteur allemand Udo Kier, comédien troublant aux yeux bleus « hypnotiques », « prince fantastique des ténèbres moites de Gérardmer » (dixit le réalisateur Yann Gonzalez), et a fait un véritable show (tout le jury, présidé par le duo Benoît Delépine et Gustave Kervern, était debout). « Je suis bouleversé », disait en français l’acteur qui a tourné plus de 200 films, dont un bon paquet de rôles bizarres, y compris celui d’André Toulon dans Puppet Master : the littlest reich. Ce film de Sonny Laguna et Tommy Wiklund est le grand vainqueur de ce 26ème Festival avec trois récompenses : Grand Prix, Prix du Public et Meilleure musique. Un choix surprenant pour ce qui n’est qu’une énorme blague, avec un massacre commis par un gang de pantins maléfiques et nazis.

L’autre film marquant de cette édition a été tourné par le collectif suédois Crazy Pictures, The Unthinkable (sortie en France en dvd le 3 avril/Wild Side Video), qui a reçu trois récompenses également : Prix du Jury (ex-aequo avec un autre film suédois, Aniara), Prix de la Critique, Prix du Jury Jeunes. Alors que la Suède est plongée dans le chaos, c’est une forme d’apocalypse que montre ce film, lorsque l’impensable devient réalité, principe du fantastique, et que la grande peur des voisins Russes était justifiée.

 

 

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