Georges Maurivard, « militant syndical, culturel et politique »

Deux mois après le décès du président des Amis de la Maison du peuple, un hommage lui a été rendu à la mairie de Besançon. Il fut l'un des animateur de la grande grève de la Rhodia en 1967 qui préfigura le mouvement de Mai 68, se battit pour que son comité d'entreprise fasse de l'éducation populaire, cofonda le groupe Medvedkine, fut adjoint au maire...

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« Camarades. Ici, depuis 10 jours, se rencontrent des hommes. Il ne faut pas qu’une partie d’entre nous se réjouisse du fait que depuis les premières heures de la lutte, les militants et les dirigeants du Parti Communiste soient présents et qu’une autre partie d’entre nous soit fière de la présence constante à nos côtés de prêtres de l’Action Catholique Ouvrière et de militants de la JOC. Il faut que chacun d’entre nous, que nous tous, ensemble, nous nous réjouissions du fait qu’ici, à Rhodiacéta, se dessine le visage de l’avenir : celui qui croit au ciel, celui qui n’y croit pas. Ils sont là tous les deux. Des dizaines et des dizaines de milliers dans tout le pays, et ça doit être ça notre fierté : cette unité réalisée.
Camarades. La lutte n’a pas que des côtés exaltants ; il y a des problèmes de famille, de fric, il y a la fatigue, l’énervement. On voudrait être sûr de la victoire, la tenir déjà. Il y a des sacrifices qu’il faut consentir et d’autres à venir. Mais il y a surtout que nous n’avons pas le droit de tromper ceux qui nous soutiennent…La lutte continue et elle continuera selon l’orientation que vous allez décider de lui donner ».

Ces mots que Georges Maurivard prononça devant 1500 grévistes de la Rohdiaceta un jour de l'hiver 1967, Michel Pagani les a lus mardi 4 octobre, la voix tremblante d'émotion, dans une salle de la mairie de Besançon où se pressaient bien plus de cent personnes venues rendre hommage à celui qui fut un infatigable « militant syndical, culturel et politique ». Disparu le 4 août dernier à 76 ans, fils d'un résistant mort en déportation en 1944, il aura été un sacré personnage. Par la forte carrure, le sourire, la voix forte, mais aussi des choix assumés, plaçant l'humain au-dessus des systèmes.

Responsable de la fameuse commission culturelle du comité d'entreprise de la Rodhia à 25 ans, il est de ceux qui obtiennent l'ouverture de la bibliothèque de l'usine la nuit afin que les ouvriers puissent y prendre et ramener des livres comme ceux travaillant de jour. Il avait été élu délégué CFDT l'année précédente, celle de la déconfessionnalisation de la CFTC où il s'était syndiqué dès son embauche. Un engagement naturel pour le jeune homme né en 1940 à Franois dans une famille catholique dont la mère était du Haut-Doubs. L'année suivante, il rejoint le CCPPO, une association culturelle et d'éducation populaire qui fait connaître de grandes œuvres aux salariés par le biais des comités d'entreprises et des syndicats.

« Quand il a quitté notre CFDT, ça a été un vrai déchirement... »

Il quittera la CFDT pour la CGT à l'occasion de la grande grève de 1967, un mouvement qui annonce Mai 68. Le film de Chris Marker et Mario Marret, A Bientôt j'espère, dont le titre reprend une de ses phrases, décrit assez bien l'effervescence qui anime le monde ouvrier et plus particulièrement la jeunesse, son désir de liberté et de vie digne.

François Jeannin, ancien responsable CFDT des cheminots, également originaire de Franois, a joué au foot avec lui, fréquenté les mêmes cinémas, lorsqu'ils étaient adolescents. « Quand il a quitté notre CFDT, ça a été un vrai déchirement... Il voulait s'engager politiquement, ce que permettait la CGT. La CFDT pratiquait le non cumul des mandats politiques et syndicaux », dit Jeannin, soulagé que « ces choix n'aient pas nui à la nature profonde de nos relations humaines ».

Dans la foulée du film de 67, Georges Maurivard fait partie des premiers membres du groupe Medvedkine. Des ouvriers veulent faire des films sur leur condition et sont aidés, techniquement, par des cinéastes professionnels parmi lesquels un certain Jean-Luc Godard. L'expérience bisontine fera des émules à Sochaux. Il en reste une quinzaine de films, plutôt loin du réalisme socialiste, confinant parfois au surréalisme, témoignant au plus près de ce que fut la société au tournant des années 1960 et 1970.

Georges Maurivard.

Georges Maurivard adhère au PCF peu après avoir rejoint la CGT. Suppléant aux législatives de 1973, il figure sur la première liste d'union de la gauche (PS-PCF-PSU) en 1977 et devient adjoint aux sports de Robert Schwint. Quand, peu après, les communistes refusent de voter le budget, sur consigne de la direction nationale, ce qui entraîne le retrait de leur délégation, Maurivard commence à se sentir en désaccord avec la ligne Marchais, le secrétaire général de l'époque. Mais les débats internes au PCF sortent peu à l'extérieur. Et c'est « sur la pointe des pieds », comme dit Michel Pagani, que Georges Maurivard quitte le parti en 1983. Quatre ans plus tard, la fédération du Doubs du PCF sera placée hors du parti par la direction pour avoir refusé de voter le rapport d'orientation du congrès...

« L'homme orchestre, l'homme du combat de classe, l'homme d'esprit... »

Cet épisode accéléra la chute électorale du PCF. Nombreux sont les protagonistes des deux camps — ceux qui sont restés, ceux qui sont partis, les « ex-virés » — à s'être retrouvés pour l'hommage à Georges Maurivard, lui donnant une dimension émotionnelle assez particulière, comme si des frères ennemis commençaient à effacer une part de la gène qui les a longtemps empêchés de se parler, de reparler de cette crise politique qui secoua le pays en voyant un parti majeur se saborder.

Jacques Bauquier, militant CGT et adhérent du PCF, se souvient avoir fait la connaissance de celui que ses amis appelaient Yoyo lors du dernier conflit de la Rhodia, en 1982 : « J'étais jeune militant, il était impressionnant par sa prestance, son engagement. Il avait ça dans la peau. Ce qu'il pensait, il le disait, c'était un meneur d'hommes... » Son prédécesseur au secrétariat de l'union locale, Henri Traforetti, a côtoyé Maurivard à l'usine des Prés de Vaux et au groupe Medvedkine. Il retient devant l'assemblée « l'homme orchestre, l'homme du combat de classe, l'homme d'esprit aimant l'art, la lecture, la musique, la confrontation des idées, l'homme un peu provocateur, malicieux, entier et parfois excessif... » Il nous lâche : « ce qu'il faut voir, c'est la capacité de travail, ce qu'il accomplissait en 24 heures... On bossait 24 heures sur 24 le politique, le syndical et le culturel. On marnait ensemble, comme en famille, entre copains... »

C'est sans doute cela, cette fraternité à l'œuvre, que Georges Maurivard aimait par dessus tout. Elle lui a donné la lucidité de quitter le parti avant qu'il ne s'effondre tout en agissant pour ses convictions. Et assumer après André Vagneron, en 2004, la présidence de l'association des Amis de la maison du peuple qui entend notamment perpétuer la mémoire des luttes ouvrières. Elle lui consacrera son prochain bulletin.

Pendant la cérémonie.

 

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