Festival du cinéma d’Annecy : regards sur l’Italie aujourd’hui…

Miroir de l’Italie contemporaine, le 37 ème Festival d’Annecy, tout en explorant les nouvelles énergies du cinéma italien, met en miroir une mosaïque d’histoires où les événements, les crises traversées questionnent le spectateur. Cette année, les films primés soulèvent un vrai questionnement politique et révèlent des problèmes sociétaux.

festivaltalien

Annecy, ville aux façades roses et jaunes, traversée par des canaux, ornée d’arcades et de ruelles secrètes, ressemble à une cité italienne. Sensible à son histoire (la Savoie était italienne avant son rattachement en 1860), la cité rend hommage depuis 37 ans au cinéma italien.

Quand on pense au cinéma italien, on revient aux chefs-d’œuvre du néo-réalisme né avec les cinéastes Alessandro Blasetti et Mario Camerini, soutenus par la revue « Il bianco e negro » qui lance le mot d’ordre : « il faut descendre dans la rue pour filmer ». Il s’agit pour ces deux cinéastes de pratiquer une rupture avec le cinéma mussolinien et de faire un cinéma social. Les grands films de cette période évoquent le chômage et la pauvreté dans les villes : « Scuscia », « Le Voleur de bicyclette », « Miracle à Milan » de Vittorio de Sica, la vie difficile des femmes « Chronique d’un amour » de Michelangelo Antonioni, la dénonciation du fascisme « Rome ville ouverte », « Païsa » de Roberto Rossellini l’ampleur de la misère dans les campagnes, « Riz amer » de Giuseppe de Santis pour ne citer que ces œuvres phares.

Ensuite, les comédies italiennes ont conforté l’identité d’un cinéma capable de nous faire pleurer et de nous faire rire, et même pleurer de rire, tout en parlant de l’Histoire et de la société italienne.

 Les comédies satiriques

Le cinéma italien d’aujourd’hui décline le mal être de la société. Deux films présentés en avant-première évoquent la situation politique italienne en utilisant la satire. Derrière le grotesque, se cache l’Italie réelle des politiciens véreux et des mafiosi, à l’instar du film « Bentornato présidente » de Giancarlo Fontana et Giuseppe G. Stasi. Huit années ont passé depuis la nomination de Peppino Garibaldi à la Présidence de la République. Aujourd’hui, il vit isolé dans un chalet de montagne avec sa famille. Quand sa compagne est rappelée à Rome, il sera contraint de revenir au Quirinal pour la reconquérir.

Cette comédie satirique met en scène ironiquement l’accession au pouvoir et le ridicule qui procède à l’élaboration de lois sans financement. Au-delà de la truculence des situations illustrant leurs propos, les réalisateurs semblent dire que si l’intervention des mafias internationales n’est pas remise en cause, l’Italie ne se remettra pas. Entre le cocasse de l’idylle et les désopilantes séquences de la grève de l’État, le film est inquiétant.

Dans « La mafia non è più quella di una volta », Franco Maresco accompagné de Letizia Battaglia photographe et de Ciccio Mira protagoniste de « Berlluscone » « fouillent le passé de l’Italie par le biais d’un faux documentaire. 25 ans après le double homicide des juges Falcone et Borselino, les trois comparses interrogent les Italiens sur l’existence actuelle de la mafia lors d’une fête dédiée à la mémoire des deux juges. Mine de rien, sous l’aspect d’une fable grotesque prouvant que personne ne tient à évoquer la mafia, le réalisateur termine le film en interrogeant un homme politique : “en cas d’homicide dans la rue, qui a tué ?” demande-t-il ingénument : “Personne” répond l’interviewé. Par ce procédé du faux reportage Franco Maresco met l’accent sur l’inévitable transformation de l’Italie et du monde.

Puisque nous parlons des fictions politiques, évoquons ici “Sulla mia pelle” (“Sur ma peau”) d’Alessio Cremonini, film sur la mort de Stefano Cucchi alors qu’il était détenu par la police pour trafic de drogue. Ce film dont le sujet est un crime d’État fait désormais partie du cinéma citoyen engagé. L’influence du long-métrage tiré de faits réels, a amené un carabinier à s’expliquer devant le juge.

 La compétition

“Effetto Domino” (“Effet domino”) d’Alessandro Rosseto (Prix du Jeune Public et Prix du Jury) commence par quelques mots mis en exergue : “en 2050, la population âgée dépassera la population jeune pour la première fois”. C’est la raison pour laquelle un agent immobilier et un géomètre initient un projet ambitieux : convertir de grands hôtels abandonnés en résidences de luxe pour personnes âgées aisées. Mais la perte du soutien financier des banques entraine un effet domino. Non seulement ils ne réaliseront pas leur projet, mais ils s’endetteront, appauvriront leurs fournisseurs, perdront l’estime de leur famille, et seront guettés par le désespoir, voire même le suicide…

“Le film est nourri par la réalité, expliquait le réalisateur. Dans cette région de Vénétie, il existe de nombreux établissements thermaux qui font l’éloge du bien-être. Pendant l’écriture du film, nous avons appris que des compagnies de Hong Kong, de Shanghaï et de Londres avaient cette idée de gérer la dernière partie de la vie”.

Le film d’Alessandro Rosseto se tient sur le fil du documentaire et de la fiction. Il n’a pas eu besoin de recréer un décor pour réaliser son film : “nous avons décidé d’emmener les acteurs sur des lieux qui existaient, des chantiers. On part du scénario écrit et on réalise le film dans la réalité. Cela change la performance”. Le film est une fresque puissante sur le capitalisme global puisqu’à la fin, le projet sera réalisé par des investisseurs chinois. “Il est difficile de rester sur une mer qui ne veut que des yachts et des bateaux de croisière” dira un des protagonistes.

À la fin du film, des personnes âgées se prélassent dans des jacuzzis. Le symbole de cette construction est la méduse déclinée en néons, dans l’eau et sur les cloisons. La méduse symbole des résidences de luxe est aussi celle du capitalisme ; elle se régénère naturellement.

“La Scomparsa di mia madre” (“La disparition de ma mère”) de Beniamino Barrese a obtenu le Grand Prix du Festival italien 2019 et le Prix Art cinéma award–Sicae. Pour son premier long-métrage, le cinéaste a choisi de filmer sa mère âgée au moment où elle dit vouloir disparaître. De quelle disparition s’agit-il ? Premier paradoxe : une femme décide de disparaître au moment où il décide de la filmer (la faire apparaître) et c’est toute la question du film, car sa mère est la célèbre Benedetta Barzini, ex-top model, muse d’Andy Wharol, Salvator Dali, Irving Penn et Richard Avedon. Devenue féministe, Benedetta Barzini apparaît dans ce duel filmique avec son fils en abordant sans cesse la question de la beauté. D’où son refus de paraître : “il existe une contradiction de raconter le désir de disparition avec des images.

Il y avait un double désir, celui d’éclairer son conflit intérieur et celui de parler des images comme cinéaste. La relation à l’image nous touche tous. Nous sommes tous esclaves des images, surtout pour la représentation de soi” expliquait le réalisateur. Quand on lui parle de l’engagement du cinéaste, il s’explique : “J’étais embarrassé d’utiliser ma mère dans le film et le sex-symbole qu’elle représente. C’était une histoire importante et je ne voulais pas être dans le film ; il y a trop de surexposition de vies individuelles. Ce travail que nous avons fait est un travail de séparation.” Éloge de l’imperfection plutôt que la beauté froide et sans rides, le film creuse un sillon sur l’être et le paraître.

 “Maternal” de Maura Delpero, Prix du Public, s’en prend à une question sociétale : dans un pays, l’Argentine où l’avortement n’est pas légalisé, un centre d’accueil reçoit des femmes enceintes en difficulté, des femmes seules avec leurs enfants. Le centre est géré par des religieuses qui ne connaitront pas la maternité. De façon habile et délicate, la réalisatrice met en place les antagonismes sans juger ; alors que les jeunes femmes mettent du déodorant dans leurs culottes pour sortir, les religieuses proposent aux enfants des dessins animés évangélistes. Maura Delpero construit son récit sans manichéisme avec un regard juste fait de silences et d’une caméra fixe, jusqu’à l’apparition de la question du désir d’enfant chez une religieuse qui vient de faire ses vœux.

 D’autres rétrospectives et la venue de Toni Servillo

Le festival rendait hommage aux films italiens de Pietro Marcello avant de lui remettre lors de la clôture le Prix Sergio Leone pour son œuvre. Son dernier film “Martin Eden” sortira le 18 octobre ; nous en reparlerons.

Autre regard sur le monde, les films de Giovanni Cioni. Son film “Pour d’Ulysse” tourné dans un centre florentin qui accueille d’anciens toxicomanes, des gens sortis de prisons ou avec des antécédents psychiatriques montre le long voyage de chaque personnage vers soi : “Chacun est Ulysse. Chacun a vécu d’être perdu. Vous êtes Ulysse”. Le premier plan tourné en bordure de mer montre un homme en lutte contre la noyade et son arrivée sur la grève. Cette image-choc nous renvoie au présent des migrants.

Toni Servillo (La Grande bellezza) et l’auteur de la BD et réalisateur Igort sont venus présenter l’avant-première de “5 est le numéro parfait”. Peppino lo Cicero, ex-tueur à gages de la Camorra, est fier de son fils qui suit ses traces, Mais la mort de celui-ci pousse le père à chercher la vérité avec l’aide de Toto le boucher, déclenchant une spirale de vengeances.

Toni Servillo, allure fière et large sourire, se considère comme un acteur de théâtre. Pour lui le cinéma est “un job d’été”. Avec une douce ironie, il a présenté le film comme une comédie française tournée à Naples !

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