Festival de La Rochelle : reprises et découvertes

Ce festival estival a fait se croiser le passé et le présent. Des rétrospectives de grands, mais aussi la Russie de Poutine (Une Femme douce) et la survie dans un monde à l'agonie (Petit paysan), la fiction et le documentaire, la guerre (Insyriated),, le nouveau cinéma italien (Cuori puori), la Colombie (Memorias del cavalero), Ceaucescu et la Roumanie...

Insyriated, Une Famille syrienne, de Philippe van Leeuw, huit clos de vingt-quatre heures...

Pour sa 45 ème édition, en juillet, Le Festival de La Rochelle ouvrait des fenêtres sur le monde d’aujourd’hui. Sans oublier plusieurs rétrospective des plus grands cinéastes : Hitchcock, Tarkowski, Schlöndorf, Laurent Cantet… Un Festival où le passé croise le présent avec la découverte de cinéastes peu connus et de pans oubliés de l’histoire du cinéma

Images de Russie

Un triste paysage de neige. Des arbres au-dessus d’une étendue d’eau. Un couple se déchire. Ils vont se séparer. Dans la pièce d’à côté, l’enfant entend toute la conversation et pleure dans son lit. Les parents commencent une nouvelle liaison où l’enfant ne trouve pas sa place. Raconter le dénouement de Faute d’amour, de Andrei Zviaguintsev, serait trop en dire. D’ores et déjà, on est en face d’une métaphore d’aujourd’hui où chaque personnage vit derrières son écran (jeux vidéo ou téléphone) ; ce qui donne lieu à un désert des sentiments, à ce défaut d’amour dont il est question dans le titre du film.

Une femme douce, de Sergei Loznitsa, commence avec  lyrisme sur fond de champs de blés et de musique populaire. Une femme se voit refuser le colis qu’elle essaie de poster à son mari en prison. Face à plusieurs obstacles, elle décide de lui porter. Et c’est son trajet dans une Russie absurdement oppressive que filme avec désespérance le cinéaste. Véritable métaphore du délabrement moral de l’ère poutinienne, le film dresse un état des lieux kafkaïen. A la fin du film, une bifurcation onirique (presque fellinienne) achève la lourdeur du propos en convoquant tous les personnages qui font l’apologie du système. Est-ce un mauvais rêve où la réalité ?

La survie

Petit paysan, d’Hubert Charuel est le premier long métrage d’un cinéaste de 31 ans issu d’une famille d’agriculteurs champenois. Il s’agit d’une fiction sur les difficultés d’un petit éleveur de vaches laitières qui se confronte à une maladie susceptible de décimer son troupeau. En référence explicite à l’épidémie de la vache folle, le film explore façon thriller l’angoisse d’un petit paysan solitaire face à l’éventualité de perdre son troupeau. Mine de rien,  de fil en aiguille, le film montre un paysan qui assiste jusqu’à la fin à l’agonie d’un monde en train de disparaître.

Survie encore, celle de Kabwita Kasongo dans Makala  (charbon en swahili), le documentaire d’Emmanuel Gras. Cet homme de la République démocratique du Congo avance inlassablement dans la lumière vers le travail qui l’attend : abattre un arbre géant, le débiter et l’enfumer pour ensuite aller vendre le charbon à la ville. L’essentiel du film est le trajet de cet homme qui pousse son lourd chargement sur son vélo sur plusieurs dizaines de kilomètres.  La caméra ne le lâche jamais et semble faire corps avec lui au point que le spectateur est en empathie avec sa souffrance. Mais ce qui intéresse le cinéaste, c’est la résistance de son personnage. La façon dont il avance pour soutenir sa famille : les quelques séquences filmées dans sa case, à l’instar de celle où sa femme Lydie cuisine un rat, montrent la pauvreté de cette famille dans une région minière et une nature devenue inhospitalière.

Entre fiction et documentaire

Gabriel et la montagne, autre film impressionnant de cette sélection, raconte l’histoire vraie de Gabriel Buchmann, disparu en 2009 sur le Mont Mulanje, au terme d’un voyage de plusieurs mois effectué en 2009. Ce film de fiction, réalisé par Fellipe Barbosa, prend soin, par souci de vérité, de croiser les vrais personnages rencontrés par Buchmann et des personnages de fiction (la copine de Gabriel et la dernière personne rencontrée avant sa disparition). Ce souci de vérité affecte le film et le transforme en lui donnant une sorte de parenté avec certains films de Werner Herzog  (Fitzcaraldo) et la quête qui habite le personnage.

Avant la fin de l’été, de Maryam Goormaghtigh, fait partie d’un certain courant fictionnel où les acteurs interviennent dans le film en apportant quelque chose de ce qu’ils sont. Arash veut rentrer en Iran après ses études. Ses deux amis Hossein et Ashkan entreprennent avec lui un voyage vers le Sud afin de le faire changer d’avis. Les trois personnages arpentent les routes départementales distillant humour et poésie.

Dans la même perspective de construire une histoire avec du réel, Jean-Gabriel-Périot commence Une lumière d’été par un long entretien avec Madame Takeda, survivante de Hiroshima. Puis le réel s’échappe lorsque celui qui la filme pour la télévision poursuit sa quête avec une jeune femme rencontrée dans le Parc de la Paix. Le film se transforme en fiction où plane l’ombre de fantômes.

Présenté lors d’une séance spéciale, Latifa, le cœur au combat, de Cyril Brody et Olivier Peyon, est le portrait de Latifa Ibn Ziaten, mère d’Imad, militaire français assassiné en 2012 par le terroriste Mohammed Merah. Cette femme a décidé de se battre et de parler aux jeunes dans les écoles, les quartiers, les prisons. Porteuse d’un message d’espoir, elle décide contre vents et marées de prôner la tolérance. C’est le portrait d’une femme courageuse que dressent les deux réalisateurs. La caméra la suit à chaque déplacement (de trop près peut-être). Même si le message est fort, quelque chose à l’image se délite à l’image dans la répétition des situations et fait que le film piétine.

La réalité de la guerre

Nous sommes dans une ville de Syrie qui pourrait en d’autres temps être Sarajevo ou Beyrouth. Une ville où la guerre fait rage. Des bruits de snipers. Une famille vit dans la peur. Le père n’est pas là. Le grand-père et les femmes de la famille vivent cachés dans un appartement avec un couple et leur bébé. Un lieu cossu, vestige d’une autre vie. Tout le monde a fui sauf eux. On voit seulement l’extérieur depuis une fenêtre. On entend en permanence d’insupportables bruits de tir.

Insyriated, de Philippe van Leeuw, est un huit clos de vingt-quatre heures. La journée de la vie d’une famille dans l’angoisse des bombes, des pillards et des snipers.  Loin des images de conflits armés diffusées à la télévision, le réalisateur choisit de montrer comment une famille prise en otage par la guerre se confronte à cette réalité au quotidien ; les alertes répétées, l’attente, la peur, la claustration. Et ce sont les femmes qui vivent retranchés dans cet appartement. Elles attendent le retour de leur mari (l’un au combat, l’autre parti pour régler les formalités de son départ). Elles portent le film et lorsque l’une d’elle subit une extrême violence intime, c’est le visage de la Syrie blessée qui apparaît à l ‘écran. Ceux qui protestent contre l’arrivée des réfugiés politiques en Europe devraient voir ce film et comprendre pourquoi de nombreux Syriens se précipitent vers des pays en paix. Un grand film.

Le nouveau cinéma italien

Cuori puori, histoire d’une jeune fille qui doit rester vierge avant son mariage et rencontre un jeune de la banlieue. Rien ne relie ces deux mondes, celui du bénévolat et des limites édictées par un prêtre, et celui des petits trafics et virées en motos. Sur cette trame hasardeuse, Roberto de Paolis réalise un film tout en nuance et en poésie qui rappelle le Pasolini d’Ali a les yeux bleus

Du côté de la Colombie

Ruben Mendoza se situe en marge du cinéma ; il excelle dans l’approche des laissés pour compte de ceux dont on ne parle pas à l’instar de La société du feu rouge, où il filme un homme qui s’entête à contrôler la durée du feu rouge afin que ses amis, acrobates, handicapés et vendeurs ambulants aient plus de temps pour mendier. En tournant ce film, il rencontre El cucho et fait de lui le personnage principal de son road movie Memorias del cavalero dans lequel il suit le parcours d’El Cucho vers sa terre natale. El valle sin sombras est un pur documentaire. Dans la nuit du 13 novembre 1985, la ville d’Arlero, connu une catastrophe sans précédent : le réveil du volcan Nevado del ruiz engloutissant 25.000 habitants. Aucune mesure d’évacuation n’avait été prise. Ruben Mendoza questionne la souffrance des survivants et la trace sous l’herbe verte des restes de la ville. Et pour montrer à quel point tout a été détruit, il filme certains habitants dans les vestiges de leur vie, devant des murs envahis par les arbres. Là où ils vivaient avant la catastrophe.

Andrei Ujica et l’Histoire de la Roumanie

Les œuvres de Andrei Ujicas ont sont peu montrées, à l’instar de la trilogie cinématographique du roumain Andrei Ujica, Vidéogrammes d’une révolution (1992)  Out of the présent (1995) Autobiographie de Nicolae Ceausescu (2010).

C’est à partir des images existantes que le cinéaste réalise ses documentaires. A titre d’exemple, Ceausescu était filmé tous les jours et il existe plus de 1000 heures de propagande. Le cinéaste les visionne et les organise ensuite à la façon d’un archéologue. Dans Autobiographie de Nicolae Ceausescu, le réalisateur montre l’ascension d’un petit cordonnier communiste devenu un véritable dictateur. On voit Ceausescu en 1965 lorsqu’il prend la tête du parti : la Roumanie connaît alors une croissance, affiche son indépendance à l’égard de Moscou, condamne en 1968 l’intervention militaire en Tchécoslovaquie. Le jeune homme parle de poésie. Cela ne dure pas longtemps puisqu’en 1971, fasciné par la Révolution culturelle chinoise et le régime nord-coréen, il advient ce que l’on sait : renforcement de l’état policier, culte de la personnalité, despotisme, misère…

Le film, qui utilise des images d’archives et de propagande, les retourne pour reconstruire l’Histoire de la Roumanie. Il n’y a pas de commentaires. Il appartient au spectateur de lire à travers la succession d’images l’affaissement du communisme. A l’image, on voit l’ascension de Ceausescu, le culte de sa personnalité, son délire de pouvoir incarné par la construction d’un grand palais. Au fil du film, son visage change jusqu’à la fin où quelques plans révèlent sa vraie nature. La grande intelligence du réalisateur consiste aussi à ne pas montrer la fin des Ceauscescu. Pas de voyeurisme. Juste la lecture de l’Histoire qui renvoie au présent.
















 

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